Les quatre cavaliers de l'apocalypse. Vicente Blasco Ibanez

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Les quatre cavaliers de l'apocalypse - Vicente Blasco Ibanez

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de Marguerite qui devina l'intrigue et qui la fit connaître au mari par une lettre anonyme? Fut-ce Marguerite qui se trahit elle-même par ses rentrées tardives, par ses gaîtés inexplicables, par l'aversion qu'elle témoigna inopinément à l'ingénieur dans l'intimité conjugale? Le fait est que Laurier se mit à épier sa femme et n'eut aucune peine à constater les rendez-vous qu'elle avait avec Jules. Comme il aimait Marguerite d'une passion profonde et se croyait trahi beaucoup plus irréparablement qu'il ne l'était en réalité, des idées violentes et contradictoires se heurtèrent dans son esprit. Il songea à la tuer; il songea à tuer Desnoyers; il songea à se tuer lui-même. Finalement il ne tua personne, et, par bonté pour cette femme qui le traitait si mal, il accepta sa disgrâce. En somme, c'était sa faute, s'il n'avait pas su se faire aimer. Mais il était homme d'honneur et ne pouvait accepter le rôle de mari complaisant. Il eut donc avec Marguerite une brève explication qui se termina par cet arrêt:

      —Désormais nous ne pouvons plus vivre ensemble. Retourne chez ta mère et demande le divorce. Je n'y ferai aucune opposition et je faciliterai le jugement qui sera rendu en ta faveur. Adieu.

      Après cette rupture, le peintre était parti pour l'Amérique afin de prendre des arrangements avec les fermiers des biens qu'il y possédait en propre, de vendre quelques pièces de terre, et de réunir la grosse somme dont il avait besoin pour son mariage et pour l'organisation de sa maison.

      Lorsque Jules eut franchi la grille par où l'on entre du boulevard Haussmann dans le jardin de la Chapelle expiatoire, il y trouva les allées pleines d'enfants qui couraient et piaillaient. Il reçut dans les jambes un cerceau poussé par un bambin; il fit un faux pas contre un ballon. Autour des châtaigniers fourmillait le public ordinaire des jours de chaleur. C'étaient des servantes des maisons voisines, qui cousaient ou qui babillaient, tout en suivant d'un regard distrait les jeux des petits confiés à leur garde; c'étaient des bourgeois du quartier, venus là pour lire leur journal avec l'illusion d'y jouir de la paix d'un bocage. Tous les bancs étaient occupés. Les chaises de fer, sièges payants, servaient d'asile à des femmes chargées de paquets, à des bourgeoises des environs de Paris qui attendaient des personnes de leur famille pour prendre le train à la gare Saint-Lazare.

      Après trois semaines de traversée pendant lesquelles Jules avait évolué sur la piste ovale d'un pont de navire avec l'automatisme d'un cheval de manège, il avait plaisir à se mouvoir librement sur cette terre ferme où ses chaussures faisaient grincer le sable. Ses pieds, habitués à un sol instable, gardaient encore une sensation de déséquilibrement. Il se promenait de long en large; mais ses allées et venues n'attiraient l'attention de personne. Une préoccupation commune semblait s'être emparée de tout le monde, hommes et femmes; les gens échangeaient à haute voix leurs impressions; ceux qui tenaient un journal à la main voyaient leurs voisins s'approcher avec un sourire interrogatif. Il n'y avait plus trace de la méfiance et de la crainte instinctives qui portent les habitants des grandes villes à s'ignorer mutuellement ou à se dévisager comme des ennemis.

      «Ils parlent de la guerre, pensa Jules. A cette heure, la possibilité de la guerre est pour les Parisiens l'unique sujet de conversation.»

      Hors du jardin, même anxiété et même tendance à une sympathie fraternelle. Lorsque les vendeurs de journaux passaient en criant les éditions du soir, ils étaient arrêtés dans leur course par les mains avides des passants qui se disputaient les feuilles. Tout lecteur était aussitôt entouré d'un groupe de gens qui lui demandaient des nouvelles ou qui essayaient de déchiffrer par-dessus ses épaules les manchettes imprimées en caractères gras. De l'autre côté du square, dans la rue des Mathurins, sous la tente d'un débit de vin, des ouvriers écoutaient les commentaires d'un camarade qui, avec des gestes oratoires, montrait le texte d'une dépêche. La circulation dans les rues, le mouvement général de la cité étaient les mêmes que les autres jours; mais il semblait que les voitures marchaient plus vite, qu'il y avait dans l'air comme un frisson de fièvre, que l'on discourait et que l'on souriait d'une façon différente. Tout le monde paraissait connaître tout le monde. Les femmes du jardin regardaient Jules comme si elles l'avaient déjà vu cent fois. Il aurait pu s'approcher d'elles et engager la conversation sans qu'elles en éprouvassent la moindre surprise.

      «Ils parlent de la guerre», se répéta-t-il, mais avec la commisération d'un esprit supérieur qui connaît l'avenir et qui s'élève au-dessus des opinions communes.

      L'inquiétude publique n'était, selon lui, que la surexcitation nerveuse d'un peuple qui, accoutumé à une vie paisible, s'alarme dès qu'il entrevoit un danger pour son bien-être. On avait parlé si souvent d'une guerre imminente à propos de conflits qui, à la dernière minute, s'étaient résolus pacifiquement! Au surplus, l'homme est enclin à considérer comme logique et raisonnable tout ce qui flatte son égoïsme, et il répugnait à Jules que la guerre éclatât, parce qu'elle aurait dérangé ses plans de vie.

      «Mais non, il n'y aura pas de guerre! s'affirma-t-il encore à lui-même. Ces gens sont fous. Il n'est pas possible qu'on fasse la guerre à une époque comme la nôtre.»

      Et il regarda sa montre. Cinq heures. Marguerite arriverait d'un moment à l'autre. Il crut la reconnaître de loin dans une dame qui entrait au jardin par la rue Pasquier; mais, quand il eut fait quelques pas vers elle, il constata son erreur. Déçu, il reprit sa promenade. La mauvaise humeur lui fit voir beaucoup plus laid qu'il ne l'est en réalité le monument dont la Restauration a orné l'ancien cimetière de la Madeleine. Le temps passait, et elle n'arrivait pas. Il surveillait de ses yeux impatients toutes les entrées du jardin. Et il advint ce qui advenait à presque tous leurs rendez-vous: elle se présenta devant lui à l'improviste, comme si elle tombait du ciel ou surgissait de la terre, telle une apparition.

      —Marguerite! Oh! Marguerite!

      Il hésitait presque à la reconnaître. Il éprouvait une sorte d'étonnement à revoir ce visage qui avait occupé son imagination pendant les trois mois du voyage, mais qui, d'un jour à l'autre, s'était pour ainsi dire spiritualisé par le vague idéalisme de l'absence. Puis, tout à coup, il lui sembla qu'au contraire le temps et l'espace étaient abolis, qu'il n'avait fait aucun voyage et que quelques heures seulement s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue.

      Ils allèrent s'asseoir sur des chaises de fer, à l'abri d'un massif d'arbustes. Mais, à peine assise, elle se leva. L'endroit était dangereux: les gens qui passaient sur le boulevard n'avaient qu'à tourner les yeux pour les découvrir, et elle avait beaucoup d'amies qui, à cette heure, sortaient peut-être des grands magasins du quartier. Ils cherchèrent donc un meilleur refuge dans un coin du monument; mais ce n'était pas encore la solitude. A quelques pas d'eux, un gros monsieur myope lisait son journal; un peu plus loin, des femmes bavardaient, leur ouvrage sur les genoux.

      —Tu es bruni, lui dit-elle; tu as l'air d'un marin. Et moi, comment me trouves-tu?

      Jules ne l'avait jamais trouvée si belle. Marguerite était un peu plus grande que lui, svelte et harmonieuse. Sa démarche avait un rythme aisé, gracieux, presque folâtre. Les traits de son visage n'étaient pas fort réguliers, mais avaient une grâce piquante.

      —As-tu pensé beaucoup à moi? reprit-elle. Ne m'as-tu pas trompée? Dis-moi la vérité: tu sais que, quand tu mens, je m'en aperçois tout de suite.

      —Je n'ai pas cessé un instant de penser à toi! répondit-il en mettant sa main sur son cœur, comme s'il prêtait serment devant un juge d'instruction. Et toi, qu'as-tu fait pendant que j'étais en Amérique?

      Ce disant, il lui prit une main qu'il caressa; puis il essaya doucement d'introduire un doigt entre le gant et la peau satinée. En dépit de la discrétion de ce geste, le monsieur qui lisait son journal remarqua le manège et jeta vers eux des regards indignés. Faire des niaiseries amoureuses dans un jardin public, alors que l'Europe

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