Les quatre cavaliers de l'apocalypse. Vicente Blasco Ibanez

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Les quatre cavaliers de l'apocalypse - Vicente Blasco Ibanez

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Elle s'était ennuyée beaucoup; elle avait tâché de tuer le temps; elle était allée au théâtre avec son frère; elle avait eu plusieurs conférences avec son avocat, qui l'avait renseignée sur la marche à suivre pour le divorce.

      —Et ton mari? demanda Jules.

      —Ne parlons pas de lui, veux-tu? Le pauvre homme me fait pitié. Il est si bon, si correct! Mon avocat m'assure qu'il consent à tout, qu'il ne veut susciter aucune difficulté. Tu sais que je lui ai apporté une dot de trois cent mille francs et qu'il a mis cette somme dans ses affaires. Eh bien, il veut me rendre les trois cent mille francs, et même, quoique cela doive le gêner beaucoup, il veut me les rendre aussitôt après le divorce. Par moments, j'ai comme un remords du mal que je lui ai fait. Il est si bon, si honnête!

      —Mais moi? interrompit Jules, vexé de cette délicatesse inopportune.

      —Oh! toi, tu es mon bonheur! s'écria-t-elle avec un transport d'amour. Il y a des situations cruelles; mais qu'y faire? Chacun doit vivre sa vie, sans s'inquiéter des ennuis qui peuvent en résulter pour les autres. Être égoïste, c'est le secret du bonheur.

      Elle garda un instant le silence; puis, comme si ces pensées lui étaient pénibles, elle sauta brusquement à un autre sujet.

      —Toi qui es si bien instruit de toutes choses, crois-tu à la guerre? Tout le monde en parle; mais j'imagine que cela finira par s'arranger.

      Jules la confirma dans cet optimisme. Lui non plus, il ne croyait pas à la guerre.

      —Notre temps, reprit Marguerite, ne permet plus ces sauvageries. J'ai connu des Allemands bien élevés qui, sans aucun doute, pensent comme toi et moi. Un vieux professeur qui fréquente chez nous expliquait hier à ma mère qu'à notre époque de progrès les guerres ne sont plus possibles. Au bout de deux mois à peine on manquerait d'hommes; au bout de trois mois, il n'y aurait plus d'argent pour continuer la lutte. Je ne me rappelle pas bien comment il expliquait cela; mais il l'expliquait avec tant d'évidence que c'était plaisir de l'entendre.

      Elle réfléchit un peu, tâchant de retrouver ses souvenirs: puis, effrayée de l'effort qu'il lui faudrait faire, elle se contenta d'ajouter en son propre nom:

      —Figure-toi un peu ce que serait une guerre. Quelle horreur! La vie sociale serait abolie. Il n'y aurait plus ni réunions, ni toilettes, ni théâtres. Il serait même impossible d'inventer des modes. Toutes les femmes porteraient le deuil. Conçois-tu pareille chose? Et Paris devenu un désert! Paris qui me semblait si joli tout à l'heure, en venant au rendez-vous! Non, non, cela n'est pas possible.... Tu sais que le mois prochain nous allons à Vichy? Ma mère a besoin de prendre les eaux. Et ensuite nous irons à Biarritz. Après Biarritz, je suis invitée dans un château de la Loire. Au surplus, il y a mon divorce: j'espère que notre mariage pourra se célébrer l'été prochain. Et une guerre viendrait déranger tous ces projets? Non, je te répète que cela n'est pas possible. Mon frère et ses amis rêvent, quand ils parlent du péril allemand. Peut-être mon mari est-il aussi de ceux qui croient la guerre prochaine et qui s'y préparent; mais c'est une sottise. Dis comme moi que c'est une sottise. Dis, je le veux!

      Il dit donc que c'était une sottise; et elle, tranquillisée par cette affirmation, passa à autre chose, Comme elle venait de parler de son divorce, elle pensa à l'objet du voyage que Jules venait de faire.

      —Le plaisir de te voir, reprit-elle, m'a fait oublier le plus important. As-tu réussi à te procurer l'argent dont tu as besoin?

      Il prit l'air d'un d'homme d'affaires pour parler de ses finances. Il rapportait moins qu'il ne l'espérait. Il avait trouvé le pays dans une de ces crises économiques qui le tourmentent périodiquement. Malgré cela, il avait réussi à se procurer quatre cent mille francs représentés par un chèque. En outre, on lui ferait un peu plus tard de nouveaux envois: un propriétaire terrien, avec qui il avait quelques liens de parenté, s'occuperait de ces négociations.

      Elle parut satisfaite de la réponse et prit à son tour un air de femme sérieuse.

      —L'argent est l'argent, déclara-t-elle sentencieusement, et, sans argent, il n'y a pas de bonheur sûr. Tes quatre cent mille francs et ce que j'ai moi-même nous permettront de vivre.

      Ils se turent, les yeux dans les yeux. Ils s'étaient dit l'essentiel, ce qui intéressait leur avenir. Maintenant une préoccupation nouvelle obsédait leur âme. Ils n'osaient pas se parler en amants. D'une minute à l'autre les témoins devenaient plus nombreux autour d'eux. Les petites modistes, au sortir de l'atelier, les dames, au sortir des magasins, coupaient à travers le jardin pour raccourcir leur route. L'allée se transformait en rue, et tous les passants jetaient un regard curieux sur cette dame élégante et sur son compagnon, blottis derrière les arbustes comme des gens qui cherchent à se cacher. Quelques-uns les dévisageaient avec réprobation; d'autres, encore plus agaçants, souriaient d'un air de complicité protectrice.

      —Quel ennui! soupira Marguerite. On va nous surprendre.

      Une jeune fille la regarda fixement, et Marguerite crut reconnaître une employée d'un couturier fameux.

      —Allons-nous-en vite! dit-elle. Si on nous voyait ensemble!...

      Jules protesta. Pourquoi s'en aller? Ils couraient partout le même risque d'être reconnus. D'ailleurs c'était sa faute, à elle. Puisqu'elle avait si peur de la curiosité des gens, pourquoi n'acceptait-elle de rendez-vous que dans des lieux publics? Il y avait un endroit où elle serait à l'abri de toute surprise; mais elle s'était toujours refusée à y venir.

      —Oui, oui, je sais: ton atelier. Je t'ai déjà dit cent fois que non.

      —Mais puisque nos affaires sont presque réglées? Puisque nous serons mariés dans quelques mois?

      —N'insiste pas. Je veux que tu épouses une femme honnête.

      Il eut beau plaider avec une éloquence passionnée, elle resta ferme dans sa résolution. Il se résigna donc à faire signe à un taxi, où elle monta pour rentrer chez sa mère. Mais, au moment où il prenait congé d'elle, elle le retint par la main et lui demanda:

      —Ainsi, tu ne crois pas à la guerre?... Répète-le. Je veux l'entendre encore de ta bouche. Cela me rassure.

       LA FAMILLE DESNOYERS

       Table des matières

      Marcel Desnoyers, père de Jules, appartenait à une famille ouvrière établie dans un faubourg de Paris. Devenu orphelin à quatorze ans, il avait été mis en apprentissage par sa mère dans l'atelier d'un sculpteur ornemaniste. Le patron, content de son travail et de ses progrès, put bientôt l'employer, malgré son jeune âge, dans les travaux qu'il exécutait alors en province.

      En 1870, Marcel avait dix-neuf ans. Les premières nouvelles de la guerre le surprirent à Marseille, où il était occupé à la décoration d'un théâtre.

      Comme tous les jeunes gens de sa génération, il était hostile à l'Empire, et, chez lui, cette hostilité était encore accrue par l'influence de quelques vieux camarades qui avaient joué un rôle dans la République de 1848 et qui gardaient le vif souvenir du coup d'État du 2 décembre. Un jour, il avait assisté dans les rues de Marseille à une manifestation populaire en faveur de la paix, manifestation qui avait surtout pour objet

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