Création et rédemption: Le docteur mystérieux. Alexandre Dumas

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Création et rédemption: Le docteur mystérieux - Alexandre Dumas

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du XVIIIe siècle, le bonheur du genre humain.

      Il interrogeait avec M. de Condorcet le moment, encore éloigné sans doute (mais qu'importe la distance!) où la raison perfectible de l'homme découvrirait les causes premières des choses, où les nations ne se feraient plus la guerre, et où les hommes, délivrés des maux qu'engendrent la misère et l'ignorance, accompliraient sur la terre une existence indéfinie. L'Écriture sainte n'avoue-t-elle pas elle-même que la mort est la dette du péché, c'est-à-dire la violation des lois naturelles? Or, le jour où l'homme connaîtrait ces lois et où il les observerait, l'homme s'affranchirait de sa dette, et, comme cette dette, c'était la mort, l'homme ne mourrait plus.

      Créer et ne plus mourir, n'est-ce point l'idéal de la science? Car la science est la rivale de Dieu. L'homme connût-il les mystères de toutes les choses de ce monde, l'homme arrivât-il à exposer devant Dieu lui-même d'irréfutables théories, Dieu lui répondra:

      —Si tu sais tout, tu n'es qu'à la moitié de ta route; maintenant, crée un ver ou une étoile, et tu seras mon égal.

      Abîmé dans ces rêves de bonheur lointain, dans cet espoir de puissance indéfinie, dans cet âge d'or de l'humanité que les poètes avaient placé au commencement du monde, parce que les poètes sont les sublimes enfants de la nature, Jacques Mérey voyait avec un frémissement d'impatience les obstacles moraux et les barrières matérielles qu'opposait la classe des privilégiés à l'accomplissement des destinées de l'homme sur la terre.

      Nature douce et sensible, comme on disait alors, il était venu à la haine par l'amour.

      C'est parce qu'il aimait les opprimés qu'il détestait les oppresseurs.

      À part les deux ou trois fois qu'il l'avait croisé sur son chemin, le seigneur de Chazelay lui était personnellement inconnu. Il est vrai que Jacques Mérey, esprit supérieur, n'en voulait point aux hommes, mais aux abus et aux inégalités sociales dont les nobles étaient la vivante incarnation. Il refusa l'or du château avec le même dédain qu'il eût refusé les présents d'un ennemi.

      Cette sombre apparition du Moyen Âge féodal remuait dans son sang plébéien des souvenirs de colère; il voyait dans ces vieux murs le signe d'une domination qui, bien que diminuée, durait encore; il se demandait quelle force pourrait jamais déraciner ces titaniques monuments de la race conquérante. Alors, découragé par la lenteur du progrès, par l'énormité des obstacles que rencontre l'affranchissement d'un peuple, il se plongeait avec désespoir dans l'étude de la nature, seul asile que la société telle qu'elle était faite eût laissé à la science.

      Seul, il faisait souvent des promenades au plus profond des bois, et, là, grave, attentif, pareil à Œdipe devant le Sphinx, il semblait interroger l'âme de l'univers.

      Le chien qu'il avait sauvé de sa propre fureur était devenu son ami le plus sincère et le plus dévoué; il suivait le docteur dans toutes ses courses; doux et caressant, il lui obéissait comme l'ombre de sa pensée.

      Aussi le curé de Chazelay ne manqua-t-il pas de dire qu'il y avait dans l'histoire des sorciers plusieurs exemples de cette accointance d'un esprit familier sous la forme d'un animal domestique. Cet animal à coup sûr devait avoir des cornes, et s'il ne les montrait point, c'était pour mieux cacher son jeu.

      Un jour que Jacques Mérey était parti de bonne heure pour herboriser, il se trouva, sans trop savoir comment il était arrivé là, sur la lisière d'un bois touffu, emmêlé, impénétrable, comme il en existe encore dans cette partie du Berri, véritable forêt d'Amérique en petit, où nulle route frayée ne gardait la trace d'un pas humain.

      La solitude plaisait au docteur, nous l'avons déjà dit; il aimait à se rapprocher de la nature, nous l'avons dit encore; mais la profonde nuit qui régnait dans ce bois sauvage, l'aspect menaçant des herbes et des broussailles remplies de couleuvres; la masse compacte des rochers qui découpaient leur verdure de mousse sur la sombre verdure des chênes, tout cela saisit le docteur aux entrailles; il hésitait à l'entrée de ce bois comme un initié des mystères d'Eleusis au seuil du temple, où l'attendaient les redoutables épreuves et les ténèbres.

      Alors, le chien s'approcha du docteur avec une physionomie étrange; léchant les mains de son maître et le tirant par l'habit, il semblait le conjurer de le suivre dans l'épaisseur du bois.

      C'était un de ces points de doctrine sur lesquels Jacques Mérey s'accordait avec les illuminés, les cabalistes et même les historiens, que les animaux sont doués quelquefois d'un esprit de divination. La science des présages et des augures, cette science vieille comme le monde, à laquelle ont cru tous les sages de l'antiquité depuis Homère jusqu'à Cicéron, n'était point une chimère aux yeux du docteur.

      Il pensait que les animaux, les plantes, les objets inanimés eux-mêmes, ont un langage, et que ce langage, interprète des éléments de la nature, peut donner à l'homme des avertissements salutaires.

      Et, en effet, interrogez à la fois la fable et l'histoire, et vous les trouverez toutes deux d'accord sur ce sujet.

      N'est-ce point un bélier qui découvrit à Bacchus, mourant de soif, ces sources du désert autour desquelles verdissent aujourd'hui les oasis d'Ammon? Ne sont-ce point deux colombes qui conduisirent Énée du cap Misène au rameau d'or caché sur les rives du lac Averne? Et n'est-ce point une biche blanche qui fraya le chemin d'Attila à travers les Palus-Méotides?

      Jacques Mérey suivi donc le chien, persuadé qu'il le conduisait à un but quelconque.

      L'animal s'avança dans le bois; le docteur marchait derrière lui, péniblement, le visage à chaque instant fouetté par les branches, les jambes perdues dans les herbes, ne voyant devant lui que la queue de son chien, boussole vivante, et n'entendant que le froissement des plantes et le bruit des reptiles fuyant sous les orties.

      Après un quart d'heure de marche, l'homme et le chien, le chien d'abord, parvinrent à une clairière au milieu de laquelle, appuyée au tronc d'un chêne immense, s'élevait une cabane.

      La queue du chien remua de joie.

      Cette cabane devait appartenir soit à un bûcheron, soit à un braconnier; peut-être celui qui l'habitait exerçait-il ces deux états.

      Elle était située au centre d'une forêt appartenant à M. de Chazelay. Comment M. de Chazelay, si grand amateur de la chasse, permettait-il qu'un braconnier, dont il était impossible qu'il ignorât l'existence, s'établît ainsi sur ses terres?

      Jacques Mérey s'adressa vaguement toutes ces questions; mais l'habitude où il était de sacrifier les choses importantes aux choses secondaires fit qu'il laissa de côté la cause et ne s'occupa que de l'effet.

      Le chien se dressa contre la porte; puis, comme la pression n'était pas assez forte, il laissa retomber ses deux pattes de devant à terre et poussa la porte avec son museau.

      La porte céda assez à temps pour que de sa main le docteur l'empêchât de se refermer. Une vieille femme assise sur un escabeau filait tranquillement sa quenouille, tandis qu'un homme d'une trentaine d'années, qui devait être le fils de cette femme, nettoyait les pièces démontées de la batterie d'un fusil. Devant la cheminée, où flambaient des branches sèches, un quartier de chevreuil était en train de rôtir et répandait ce fumet à la fois aromatique et appétissant de la venaison.

      Au moment où le chien entra, la vieille femme poussa un cri de plaisir et l'homme bondit de joie. Jamais on ne vit reconnaissance plus touchante; c'étaient

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