Gabriel Lambert. Alexandre Dumas
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«A propos! et toi, avec qui te bats-tu?
—Avec lui.
—Qui, lui?
—Avec ton monsieur Henry de Faverne.
—Comment! c'est à moi qu'il en veut, et c'est avec toi qu'il se bat?
—Oui; il aura su que les renseignemens venaient de moi, et il se sera tout naturellement adressé à moi.
—Oh! un instant! un instant! s'écria Alfred, c'est que je vais lui dire....
—Tu ne diras rien. Ce monsieur est un manant à qui on ne parle pas; d'ailleurs ton affaire n'a aucun rapport avec la mienne; il m'a insulté, c'est à moi de me battre: voilà tout. Après moi tu auras ton tour.
—Ah! oui, avec cela que tu les arranges bien quand tu t'en mêles. Mais celui-là, je t'en prie, ne me le tue pas tout à fait; ce n'est qu'à cette condition-là que je te le laisse. Veux-tu un cigare?
—Merci.
—Tu ne sais pas ce que tu refuses; ce sont de véritables cigares du roi d'Espagne, que Vernon a rapportés de la Havane.
—Vous ne fumez pas, docteur?
—Non.
—Vous avez tort.
Et Alfred alluma son cigare, s'accouda dans un coin de la voiture, et, tout entier à l'agréable occupation qu'il venait de se créer, s'abîma dans la volupté de la fumée.
V
L'ALLÉE DE LA MUETTE
Pendant ce temps-là, un jour pâle et maladif venait de se lever, et l'on commençait d'apercevoir le bois de Boulogne perdu au milieu du brouillard.
Une voiture marchait devant la nôtre, et, comme elle prit la porte Maillot, nous ne doutâmes plus que ce fût celle de notre adversaire; nous ordonnâmes donc à notre cocher de la suivre. Elle se dirigea vers l'allée de la Muette, au tiers de laquelle elle s'arrêta; la nôtre la joignit, et s'arrêta à son tour; nous descendîmes.
Ces messieurs avaient déjà mis pied à terre.
Je jetai alors un coup d'œil sur Olivier.
Un changement complet s'était opéré en lui; le mouvement nerveux qui l'agitait la veille avait complètement disparu, il était calme et froid; un sourire de suprême dédain arquait sa bouche, et un léger pli entre les deux sourcils était la seule contraction qu'on pût remarquer sur son visage; pas un mot ne sortait de sa bouche.
Son adversaire présentait un aspect tout opposé; il parlait haut, riait avec éclat, gesticulait avec force; mais, avec tout cela, son visage grimaçant était pâle et contracté; de temps en temps un spasme nerveux lui serrait la poitrine et le forçait de bâiller.
Nous nous approchâmes de ses deux témoins, qui furent forcés de lui dire de s'éloigner.
Alors il fit en arrière quelques pas en sifflant, et se mit à piquer si violemment dans la terre la badine qu'il tenait qu'il la brisa.
Les préparatifs du combat étaient faciles à régler. Monsieur de Faverne avait indiqué l'heure, Olivier avait choisi les armes, tout arrangement était impossible.
La question était donc purement et simplement de savoir si l'on arrêterait le combat après une première blessure, ou si on lui laisserait telle suite qu'il plairait aux combattans de lui donner.
Olivier s'était prononcé à ce sujet, c'était un droit de sa position d'offensé: rien ne devait arrêter les épées que la chute d'un des deux adversaires.
Les témoins discutèrent un instant, mais furent obligés de céder; nous ne les connaissions ni l'un ni l'autre; c'étaient des amis de monsieur Henry de Faverne; et, à part leur tranchant et leurs manières de sous-officiers, nous les trouvâmes assez au fait des fonctions qu'ils remplissaient.
Je leur présentai les épées, qu'ils examinèrent.
Pendant cet examen, je revins vers Olivier.
Il était occupé à faire remarquer une faute héraldique qui s'était glissée dans le blason, sans doute improvisé, de son adversaire: le vicomte portait couleur sur couleur.
En me voyant, il me prit à part.
—Tenez, me dit-il, voici deux lettres, l'une pour ma mère, l'autre pour....
Il ne prononça point le nom, mais me montra ce nom écrit sur la lettre: c'était celui d'une jeune personne qu'il aimait et qu'il était sur le point d'épouser.
«On ne sait pas ce qui peut arriver, continua-t-il; s'il m'arrivait malheur, faites porter cette lettre à ma mère; quant à l'autre, cher ami, ne la remettez qu'en main propre.
Je lui promis.
Puis, voyant que, plus le moment du combat approchait, plus son visage devenait calme:
—Mon cher Olivier, lui dis-je, je commence à croire que ce monsieur a eu tort de vous insulter, et qu'il va payer cher son imprudence.
—Oui, dit le docteur, surtout si votre sang-froid est réel.
Un sourire effleura les lèvres d'Olivier.
—Docteur, dit-il, dans l'état de santé ordinaire, combien de fois le pouls d'un homme qui n'a aucun motif d'agitation bat-il à la minute?
—Mais, répondit Fabien, soixante-quatre ou soixante-cinq fois.
—Tâtez mon pouls, docteur, dit Olivier en tendant la main à Fabien.
Fabien tira sa montre, appuya son doigt sur l'artère, e; au bout d'une minute:
—Soixante-six pulsations, dit-il; c'est miraculeux d'empire sur vous-même; ou votre adversaire est un Saint-Georges, ou c'est un nomme mort.
—Mon cher Olivier, dit Alfred en se retournant, es-tu prêt?
—Moi? dit Olivier, j'attends.
—Eh bien! alors, messieurs, dit-il, rien n'empêche que l'affaire se vide?
—Oui, oui, s'écria monsieur de Faverne; oui, vite, vite, sacrebleu!
Olivier le regarda avec un léger sourire de mépris; puis voyant qu'il jetait bas son habit et son gilet, il ôta les siens.
C'est alors qu'apparut une nouvelle différence entre ces deux hommes.
Olivier était mis avec une coquetterie charmante: il avait fait toilette complète pour se battre; sa chemise était de la plus fine batiste, fraîche et soigneusement plissée; sa barbe était nouvellement faite, ses cheveux ondulaient comme s'ils sortaient du fer de son valet de chambre.
Tout