Histoire d'un casse-noisette. Alexandre Dumas

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Histoire d'un casse-noisette - Alexandre Dumas

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ridicule à sa physionomie. Alors mademoiselle Trudchen s'approcha pour jouir à son tour de la vue du petit bonhomme, et il fallut que, pour elle aussi, le casse-noisette remplit son office, ce qu'il fit gracieusement et sans rechigner le moins du monde, quoique mademoiselle Trudchen, comme on le sait, ne fût qu'une suivante.

      Mais, tout en continuant de dresser son alezan et de faire manoeuvrer ses hussards, Fritz avait entendu le knac! knac! knac! et, à ce bruit vingt fois répété, il avait compris qu'il se passait quelque chose de nouveau. Il avait donc levé la tête, et avait tourné ses grands yeux interrogateurs vers le groupe composé du président, de Marie et de mademoiselle Trudchen, et, dans les bras de sa soeur, il avait aperçu le petit bonhomme an manteau de bois; alors il était descendu de cheval, et, sans se donner le temps de reconduire l'alezan à l'écurie, il était accouru auprès de Marie, et avait révélé sa présence par un joyeux éclat de rire que lui avait inspiré la grotesque figure que faisait le petit bonhomme en ouvrant sa grande bouche. Alors Fritz réclama sa part des noisettes que cassait le petit bonhomme, ce qui lui fut accordé; puis le droit de les lui faire casser lui-même, ce qui lui fut accordé encore, comme propriétaire par moitié. Seulement, tout au contraire de sa soeur, et malgré ses observations, Fritz choisit aussitôt, pour les lui fourrer dans la bouche, les noisettes les plus grosses et les plus dures, ce qui fit qu'à la cinquième ou sixième noisette fourrée ainsi par Fritz dans la bouche du petit bonhomme, on entendit tout à coup: Carrac! et que trois petites dents tombèrent des gencives du casse-noisette, dont le menton, démantibulé, devint à l'instant même débile et tremblotant comme celui d'un vieillard.

      —Ah! mon pauvre cher casse-noisette! s'écria Marie en arrachant le petit bonhomme des mains de Fritz.

      —En voilà un stupide imbécile! s'écria celui-ci; ça veut être casse-noisette, et cela a une mâchoire de verre: c'est un faux casse-noisette, et qui n'entend pas son métier. Passe-le-moi, Marie; il faut qu'il continue de m'en casser, dût-il y perdre le reste de ses dents, et dût son menton se disloquer tout à fait. Voyons, quel intérêt prends-tu à ce paresseux?

      —Non, non, non! s'écria Marie en serrant le petit bonhomme entre ses bras; non, tu n'auras plus mon pauvre casse-noisette, Vois donc comme il me regarde d'un air malheureux en me montrant sa pauvre mâchoire blessée. Fi! tu es un mauvais coeur, tu bats tes chevaux, et, l'autre jour encore, tu as fait fusiller un de tes soldats.

      —Je bats mes chevaux quand ils sont rétifs, répondit Fritz de son air le plus fanfaron; et, quant au soldat que j'ai fait fusiller l'autre jour, c'était un misérable vagabond dont je n'avais pu rien faire depuis un an qu'il était à mon service, et qui avait fini un beau matin par déserter avec armes et bagages, ce qui, dans tous les pays du monde, entraîne la peine de mort. D'ailleurs, toutes ces choses sont affaires de discipline qui ne regardent pas les femmes. Je ne t'empêche pas de fouetter tes poupées, ne m'empêche donc pas de battre mes chevaux et de faire fusiller mes militaires. Maintenant je veux le casse-noisette.

      —O bon père! à mon secours! dit Marie enveloppant le petit bonhomme dans son mouchoir de poche, à mon secours! Fritz veut me prendre le casse-noisette.

      Aux cris de Marie, non-seulement le président se rapprocha du groupe des enfants dont il s'était éloigné, mais encore la présidente et le parrain Drosselmayer accoururent. Les deux enfants expliquèrent chacun leurs raisons: Marie, pour garder le casse-noisette, et Fritz, pour le reprendre; et, au grand étonnement de Marie, le parrain Drosselmayer, avec un sourire qui parut féroce à la petite fille, donna raison à Fritz. Heureusement pour le pauvre casse-noisette que le président et la présidente se rangèrent à l'avis de Marie.

      —Mon cher Fritz, dit le président, j'ai mis le casse-noisette sous la protection de votre soeur, et, autant que mon peu de connaissance en médecine me permet d'en juger en ce moment, je vois que le pauvre malheureux est fort endommagé et a grand besoin de soins; j'accorde donc, jusqu'à sa parfaite convalescence, plein pouvoir à Marie, et cela, sans que personne ait rien à y redire. D'ailleurs, toi qui es fort sur la discipline militaire, où as-tu jamais vu qu'un général fasse retourner au feu un soldat blessé à son service? Les blessés vont à l'hôpital jusqu'à ce qu'ils soient guéris, et, s'ils restent estropiés de leurs blessures, ils ont droit aux Invalides.

      Fritz voulut insister; mais le président leva son index à la hauteur de l'oeil droit, et laissa échapper ces deux mots:

      —Monsieur Fritz!

      Nous avons déjà dit quelle influence ces deux mots avaient sur le petit garçon; aussi, tout honteux de s'être attiré cette mercuriale, se glissa-t-il, doucement et sans souffler le mot; du côté de ta table où étaient les hussards, qui, après avoir pos leurs sentinelles perdues et établi leurs avant-postes, se retirèrent silencieusement dans leurs quartiers de nuit.

      Pendant ce temps, Marie ramassait les petites dents du casse-noisette, qu'elle continuait de tenir enveloppe dans son mouchoir, et dont elle avait soutenu le menton avec un joli ruban blanc détaché de sa robe de soie. De son côté, le petit bonhomme, très-pâle et très-effrayé d'abord, paraissait confiant dans la bonté de sa protectrice, et se rassurait peu à peu, en se sentant tout doucement bercé par elle. Alors Marie s'aperçut que le parrain Drosselmayer regardait d'un air moqueur les soins maternels qu'elle donnait au manteau de bois, et il lui sembla même que l'oeil unique du conseiller de médecine avait pris une expression de malice et de méchanceté qu'elle n'avait pas l'habitude de lui voir. Cela fit qu'elle voulut s'éloigner de lui.

      Alors le parrain Drosselmayer se mit à rire aux éclats en disant:

      —Pardieu! ma chère filleule, je ne comprends pas comment une jolie petite fille comme toi peut être aussi aimable pour cet affreux petit bonhomme.

      Alors Marie se retourna; et, comme, dans son amour du prochain, le compliment que lui faisait son parrain n'établissait pas une compensation suffisante avec l'injuste attaque adressée à son casse-noisette, elle se sentit, contre son naturel; prisé d'une grande colère, et cette vague comparaison qu'elle avait déj faite de son parrain avec le petit homme au manteau de bois lui revenant à l'esprit:

      —Parrain Drosselmayer, dit-elle, vous êtes injuste envers mon pauvre petit casse-noisette, que vous appelez un affreux petit bonhomme; qui sait même si vous aviez sa jolie petite polonaise, sa jolie petite culotte et ses jolies petites bottes, qui sait si vous auriez aussi bon air que lui?

      A ces mots, les parents de Marie se mirent à rire, et le nez du conseiller de médecine s'allongea prodigieusement.

      Pourquoi le nez du conseiller de médecine s'était-il allong ainsi, et pourquoi le président et la présidente avaient-ils éclaté de rire? C'est ce dont Marie, étonnée de l'effet que sa réponse avait produit, essaya vainement de se rendre compte.

      Or, comme il n'y a pas d'effet sans cause, cet effet se rattachait sans doute à quelque cause mystérieuse et inconnue qui nous sera expliquée par la suite.

      Choses merveilleuses.

      Je ne sais, mes chers petits amis, si vous vous rappelez que je vous ai dit un mot de certaine grande armoire vitrée dans laquelle les enfants enfermaient leurs joujoux. Cette armoire se trouvait à droite en entrant dans le salon du président. Marie était encore au berceau, et Fritz marchait à peine seul quand le président avait fait faire cette armoire par un ébéniste fort habile, qui l'orna de carreaux si brillants, que les joujoux paraissaient dix fois plus beaux, rangés sur les tablettes, que lorsqu'on les tenait dans les mains. Sur le rayon d'en haut, que ni Marie ni même Fritz ne pouvaient atteindre, on mettait les chefs-d'oeuvre du parrain Drosselmayer. Immédiatement au-dessous était le rayon des livres d'images; enfin, les deux derniers rayons étaient abandonnés à Fritz et à Marie, qui les

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