Histoire d'un casse-noisette. Alexandre Dumas
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Pendant tous ces arrangements, la soirée s'était fort avancée; il allait être minuit, et le parrain Drosselmayer était déjà parti depuis longtemps; qu'on n'avait pas encore pu arracher les enfants devant leur armoire.
Contre l'habitude, ce fut Fritz qui rendit le premier aux raisonnements de ses parents, qui lui faisaient observer qu'il était temps de se coucher.
—Au fait, dit-il, après l'exercice qu'ils ont fait toute l soirée, mes pauvres diables de hussards doivent être fatigués; or, je lès connais, ce sont de braves soldats qui connaissent leur devoir envers moi; et comme, tant que je serai là; il n'y en aurait pas un qui se permettrait de fermer l'oeil, je vais me retirer.
Et, à ces mots; après leur avoir donné le mot d'ordre pour qu'ils ne fussent pas surpris par quelque patrouille ennemie, Fritz se retira effectivement.
Mais il n'en fut pas ainsi de Marie; et comme la présidente, qui avait hâte de rejoindre son mari qui était déjà passé dans sa chambre, l'invitait à se séparer de sa chère armoire:
—Encore un instant, un tout petit instant; chère maman, dit-elle, laisse-moi finir mes affaires; j'ai encore une foule de choses importantes à terminer; et, dès que j'aurai fini, je te promets que j'irai me coucher.
Marie demandait cette grâce d'une voix si suppliante, d'ailleurs c'était une enfant à la fois si obéissante et si sage, que sa mère ne vit aucun inconvénient à lui accorder ce qu'elle désirait; cependant, comme mademoiselle Trudchen était déj remontée pour préparer le coucher de la petite fille, de peur que celle-ci, dans la préoccupation que lui inspirait la vue de ses nouveaux joujoux, n'oubliât de souffler les bougies, la présidente s'acquitta elle-même de ce soin, ne laissant brûler que la lampe du plafond, laquelle répandait dans la chambre une douce et pâle lumière, et se retira à son tour en disant:
—Rentre bientôt, chère petite Marie, car, si tu restais trop tard, tu serais fatiguée, et peut-être ne pourrais-tu plus te lever demain.
Et, à ces mots, la présidente sortit du salon et ferma la porte derrière elle.
Dès que Marie se trouva seule, elle en revint à la pensée qui la préoccupait avant toutes les autres, c'est-à-dire à son pauvre petit casse-noisette, qu'elle avait toujours continué de porter sur son bras, enveloppé dans son mouchoir de poche. Elle le déposa doucement sur la table, le démaillotta et visita ses blessures. Le casse-noisette avait l'air de beaucoup souffrir, et paraissait fort mécontent.
—Ah! cher petit bonhomme, dit-elle bien bas, ne sois pas en colère, je t'en prie, de ce que mon frère Fritz t'a fait tant de mal; il n'avait pas mauvaise intention, sois-en bien sûr; seulement, ses manières sont devenues un peu rudes, et son coeur s'est tant soit peu endurci dans sa vie de soldat. C'est, du reste, un fort bon garçon, je puis te l'assurer, et je suis convaincue que, lorsque tu le connaîtras davantage, tu lui pardonneras. D'ailleurs, par compensation du mal que mon frère t'a fait, moi, je vais te soigner si bien et si attentivement, que, d'ici à quelques jours, tu seras redevenu joyeux et bien portant. Quant à te replacer les dents et à te rattacher le menton, c'est l'affaire du parrain Drosselmayer, qui s'entend très bien à ces sortes de choses.
Mais Marie ne put achever son petit discours. Au moment où elle prononçait le nom du parrain Drosselmayer, le casse-noisette, auquel ce discours s'adressait, fit une si atroce grimace, et il sortit de ses deux yeux verts un double éclair si brillant, que la petite fille, tout effrayée, s'arrêta et fit un pas en arrière. Mais, comme aussitôt la casse-noisette reprit sa bienveillante physionomie et son mélancolique sourire, elle pensa qu'elle avait été le jouet d'une illusion, et que la flamme de la lampe, agitée par quelque courant d'air, avait défiguré ainsi le petit bonhomme.
Elle en vint même à se moquer d'elle-même et à se dire:
—En vérité, je suis bien sotte d'avoir pu croire un instant que cette figure de bois était capable de me faire des grimaces. Allons, rapprochons-nous de lui et soignons-le comme son état l'exige.
Et, à la suite de ce monologue intérieur, Marie reprit son protégé entre ses bras, set rapprocha de l'armoire vitrée, frappa à la porte qu'avait fermée Fritz, et dit à la poupée neuve:
—Je t'en prie, mademoiselle Claire, abandonne ton lit à mon casse-noisette qui est malade, et, pour une nuit, accommode-toi du sofa; songe que tu te portes à merveille et que tu es pleine de santé, comme le prouvent tes joues rouges et rebondies. D'ailleurs, une nuit est bientôt passée; le sofa est bon, et il n'y aura pas encore à Nuremberg beaucoup de poupées aussi bien couchées que toi.
Mademoiselle Claire, comme on le pense bien, ne souffla pas le mot; mais il sembla à Marie qu'elle prenait un air fort pincé et fort maussade. Mais Marie, qui trouvait, dans sa conscience, qu'elle avait pris avec mademoiselle Claire tous les ménagements convenables, ne fit pas davantage de façons avec elle, et, tirant le lit à elle, elle y coucha avec beaucoup de soin le casse-noisette malade, lui ramenant les draps jusqu'au menton. Alors elle réfléchit qu'elle ne connaissait pas encore le fond du caractère de mademoiselle Claire, puisqu'elle l'avait depuis quelques heures seulement; qu'elle avait paru de fort mauvaise humeur quand elle lui avait emprunté son lit, et qu'il pourrait arriver malheur au blessé, si elle le laissait à la portée de cette impertinente personne. En conséquence, elle plaça le lit et le casse-noisette sur le rayon supérieur, tout contre le beau village où la cavalerie de Fritz était cantonnée; puis, ayant posé mademoiselle Claire sur son sofa, elle ferma l'armoire, et s'apprêtait à aller rejoindre mademoiselle Trudchen dans sa chambre à coucher, lorsque, dans toute la chambre, autour de la pauvre enfant, commencèrent à se faire entendre une foule de petits bruits sourds derrière les fauteuils, derrière le poêle, derrière les armoires. La grande horloge attachée au mur, et que surmontait, au lieu du coucou traditionnel, une grosse chouette dorée, ronronnait au milieu de tout cela de plus fort en plus fort, sans cependant se décider à sonner. Marie alors jeta les yeux sur elle, et vit que la grosse chouette dorée avait abattu ses ailes de manière à couvrir entièrement l'horloge, et qu'elle avançait tant qu'elle pouvait sa hideuse tête de chat aux yeux ronds et au bec recourbé; et alors le ronronnement, devenant plus fort encore, se changea en un murmure qui ressemblait à une voix, et l'on put distinguer ces mots qui semblaient sortir du bec de la chouette:
—Horloges, horloges, ronronnez toutes bien bas: le roi des souris a l'oreille fine. Boum, boum, boum, chantez seulement, chantez-lui sa vieille chanson. Boum, boum, boum, sonnez, clochettes, sonnez sa dernière heure, car bientôt ce sera fait de lui.
Et, boum, boum, boum, on entendit retentir douze coups sourds et enroués.
Marie avait très peur. Elle commençait à frissonner des pieds la tête, et elle allait s'enfuir, quand elle aperçut le parrain Drosselmayer assis sur la pendule à la place de la chouette, et dont les deux pans de la redingote jaune avaient pris la place des deux ailes pendantes de l'oiseau de nuit. A cette vue, elle s'arrêta clouée à sa place par l'étonnement, et elle se mit crier en pleurant:
—Parrain Drosselmayer, que fais-tu là-haut?