Anna Karénine (l'intégrale, Tome 1 & 2). León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Anna Karénine (l'intégrale, Tome 1 & 2) - León Tolstoi страница 26
— Merci mille fois, la journée d’hier a passé trop rapidement. Au revoir, comtesse.
— Adieu, ma chère, répondit la comtesse. Laissez-moi embrasser votre joli visage et vous dire tout simplement, comme une vieille femme peut le faire, que vous avez fait ma conquête.»
Quelque banale que fût cette phrase, MmeKarénine en parut touchée; elle rougit, s’inclina légèrement et pencha son visage vers la vieille comtesse; puis elle tendit la main à Wronsky avec ce même sourire qui semblait appartenir autant à ses yeux qu’à ses lèvres. Il serra cette petite main, heureux comme d’une chose extraordinaire d’en sentir la pression ferme et énergique.
MmeKarénine sortit d’un pas rapide.
«Charmante, dit encore la comtesse. Le fils était du même avis, et suivit des yeux la jeune femme tant qu’il put apercevoir sa taille élégante; il la vit s’approcher de son frère, le prendre par le bras et lui parler avec animation; il était clair que ce qui l’occupait n’avait aucun rapport avec lui, Wronsky, et il en fut contrarié.
— Eh bien, maman, vous allez tout à fait bien? Demanda-t-il à sa mère en se tournant vers elle.
— Très bien, Alexandre a été charmant, Waria a beaucoup embelli: elle a un air intéressant. – Et elle parla de ce qui lui tenait au cœur: du baptême de son petit-fils, but de son voyage à Pétersbourg, et de la bienveillance de l’empereur pour son fils aîné.
— Voilà Laurent, dit Wronsky en apercevant le vieux domestique. Partons, il n’y a plus beaucoup de monde.»
Il offrit le bras à sa mère, tandis que le domestique, la femme de chambre et un porteur se chargeaient des bagages. Comme ils quittaient le wagon, ils virent courir plusieurs hommes, suivis du chef de gare, vers l’arrière du train. Un accident était survenu, tout le monde courait du même côté.
«Qu’y a-t-il? Où? Il est tombé? écrasé?» disait-on. Stépane Arcadiévitch et sa sœur étaient aussi revenus et, tout émus, se tenaient près du wagon pour éviter la foule.
Les dames rentrèrent dans la voiture, pendant que Wronsky et Stépane Arcadiévitch s’enquéraient de ce qui s’était passé.
Un homme d’équipe ivre, ou la tête trop enveloppée à cause du froid pour entendre le recul du train, avait été écrasé.
Les dames avaient appris le malheur par le domestique avant le retour de Wronsky et d’Oblonsky; ceux-ci avaient vu le cadavre défiguré; Oblonsky était tout bouleversé et prêt à pleurer.
«Quelle chose affreuse! Si tu l’avais vu, Anna! Quelle horreur!» disait-il.
Wronsky se taisait; son beau visage était sérieux, mais absolument calme.
«Ah! Si vous l’aviez vu, comtesse, continuait Stépane Arcadiévitch; et sa femme est là, c’est terrible; elle s’est jetée sur le corps de son mari. On dit qu’il était seul à soutenir une nombreuse famille. Quelle horreur!
— Ne pourrait-on faire quelque chose pour elle?» murmura MmeKarénine.
Wronsky la regarda.
«Je reviens tout de suite, maman,» dit-il en se tournant vers la comtesse.
Et il sortit du wagon.
Quand il revint au bout de quelques minutes, Stépane Arcadiévitch parlait déjà à la comtesse de la nouvelle cantatrice, et celle-ci regardait avec impatience du côté de la porte.
«Partons maintenant,» dit Wronsky.
Ils sortirent tous ensemble. Wronsky marchait devant avec sa mère, et derrière eux venaient MmeKarénine et son frère, ils furent rejoints par le chef de gare qui courait après Wronsky.
«Vous avez remis 200 roubles au sous-chef de gare. Veuillez indiquer, monsieur, l’usage auquel vous destinez cette somme.
— C’est pour la veuve, répondit Wronsky en haussant les épaules; à quoi bon cette question?
— Vous avez donné cela? – cria Oblonsky derrière lui; et, serrant le bras de sa sœur, il ajouta:
— Très bien, très bien! N’est-ce pas que c’est un charmant garçon? Mes hommages, comtesse.»
Et il s’arrêta avec sa sœur pour chercher la femme de chambre de celle-ci.
Quand ils sortirent de la gare, la voiture des Wronsky était déjà partie; on parlait de tous côtés du malheur qui venait d’arriver.
«Quelle mort affreuse! Disait un monsieur en passant près d’eux. On dit qu’il est coupé en deux.
— Quelle belle mort, au contraire, fit observer un autre: elle a été instantanée.
— Comment ne prend-on pas plus de précautions,» dit un troisième.
MmeKarénine monta en voiture, et son frère remarqua avec étonnement que ses lèvres tremblaient, et qu’elle retenait avec peine ses larmes.
«Qu’as-tu, Anna? Lui demanda-t-il quand ils se furent un peu éloignés.
— C’est un présage funeste, répondit-elle.
— Quelle folie! Dit son frère. Tu es ici, c’est l’essentiel. Tu ne saurais croire combien je fonde d’espérances sur ta visite.
— Connais-tu Wronsky depuis longtemps? Demanda-t-elle.
— Oui. Tu sais que nous avons l’espoir qu’il épouse Kitty.
— Vraiment? Dit Anna doucement. Maintenant parlons de toi, ajouta-t-elle en secouant la tête comme si elle eût voulu repousser une pensée importune et pénible. Parlons de tes affaires. J’ai reçu ta lettre et me voilà.
— Oui, tout mon espoir est en toi, dit Stépane Arcadiévitch.
— Raconte-moi tout, alors.»
Stépane Arcadiévitch commença son récit.
En arrivant à la maison, il fit descendre sa sœur de voiture, et, après lui avoir serré la main en soupirant, il retourna à ses occupations.
XIX
Lorsque Anna entra, Dolly était assise dans son petit salon, occupée à faire lire en français un beau gros garçon à tête blonde, le portrait de son père.
L’enfant lisait, tout en cherchant à arracher de sa veste un bouton qui tenait à peine; sa mère l’avait grondé plusieurs fois, mais la petite main potelée revenait toujours à ce malheureux bouton; il fallut l’arracher tout à fait et le mettre en poche.
«Laisse donc tes mains tranquilles, Grisha,» disait la mère, en reprenant sa couverture au tricot, ouvrage qui durait depuis longtemps, et qu’elle retrouvait toujours dans les moments difficiles; elle travaillait nerveusement,