Orgueil et préjugés. Jane Austen
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Le projet de Lydia d’aller à Meryton n’était point oublié: toutes les sœurs, excepté Mary, consentaient à l’accompagner, et M. Colins devait les escorter, à la prière de M. Bennet, qui trouva ce moyen de s’en débarrasser et d’être enfin seul dans son cabinet. M. Colins l’y avait suivi aussitôt après le déjeûner et s’y était établi, comme pour lire un des in-folios de la bibliothèque, mais bien plus occupé de la description détaillée qu’il faisait de sa maison et de son jardin d’Hunsford.
M. Bennet perdait patience. „Dans mon cabinet je trouve le repos, avait-il coutume de dire à Élisabeth; et, habitué à ne voir que folie et vanité dans le reste de la maison, là du moins rien ne me blesse…“
Il fut donc très-pressant dans son invitation à M. Colins d’accompagner ses filles; et lui, à qui la promenade convenait mieux que la lecture, fut fort aise d’y aller et de fermer son gros livre.
Fades complimens de son côté, réponses polies de la part des demoiselles formèrent toute leur conversation jusqu’à Meryton. Là cessa le peu d’attention que lui prêtaient les deux plus jeunes; uniquement occupées des officiers, leurs yeux les cherchaient avec impatience: une mousseline d’un nouveau goût, le magasin de modes le mieux assorti purent à peine les distraire un moment.
Mais bientôt un jeune homme de l’air le plus distingué attira l’attention de toutes ces dames, qui le voyaient pour la première fois; il paraissait se promener de l’autre côté de la rue avec un officier.
L’officier n’était autre que ce M. Denny dont Lydia avait parlé la veille; il les reconnut aussitôt et, s’approchant d’elles, demanda la permission de leur présenter son ami M. Wickham, avec lui arrivé nouvellement de Londres, et nouveau sous-lieutenant dans le même régiment; circonstance fort heureuse, car il ne manquait au jeune homme que des épaulettes pour être tout à fait charmant… grand, bien fait, d’une jolie figure et se présentant avec grâce. Après les premiers complimens, il leur adressa la parole d’une manière aisée; une conversation s’engagea, qui fut interrompue par des pas de chevaux, et l’on vit arriver Darcy et Bingley; ceux-ci, reconnaissant ces dames, descendirent et s’approchèrent d’elles. Dès ce moment, Bingley fit presque tous les frais de la conversation, et Mlle Bennet en fut le principal objet. Il était, dit-il, en chemin pour se rendre à Longbourn et savoir de ses nouvelles. M. Darcy appuya ce dire de son ami, et ses yeux, qui semblaient éviter ceux d’Élisabeth, tombèrent tout à coup sur l’étranger. Élisabeth, au même moment, non sans une extrême surprise, aperçoit l’effet de ce regard, différent sur tous deux, mais également prompt… L’un pâlit, l’autre rougit, M. Wickham fit un commencement de salut, que l’autre à peine daigna apercevoir.
Que voulait dire cela? Il était impossible de le deviner, et plus impossible encore de ne pas désirer le savoir.
L’instant d’après, M. Bingley, sans paraître avoir remarqué ce qui venait de se passer, prit congé d’elles et s’éloigna avec son ami.
M. Denny et M. Wickham accompagnèrent ces demoiselles jusqu’à la porte de Mme Philips, et là firent leur révérence. Lydia les pria d’entrer, et sa tante, ouvrant la fenêtre du parloir, secondait à haute voix cette invitation, mais le tout inutilement.
Mme Philips était toujours fort aise de voir ses nièces; les deux aînées surtout, absentes depuis quelques jours, furent reçues à merveille: elle leur exprimait sa surprise de leur prompt retour à Longbourn, qu’elle n’aurait même pas su (car ce n’était pas leur voiture qui les avait reconduites), si M. Jones, par hasard la rencontrant, ne lui eût dit qu’il n’envoyait plus de drogues à Netherfield parce que les demoiselles Bennet étaient retournées chez elles.
Elle fut interrompue par Hélen, qui lui présenta M. Colins. Pour le recevoir, elle se mit en frais de politesse, qu’il lui rendit avec usure, demandant mille pardons de s’être ainsi présenté sans la connaître. Il espérait, il se flattait que sa conduite serait justifiée par sa parenté avec ces demoiselles, qui lui avaient fait la grâce de lui permettre de les accompagner.
Cette profusion de civilités mit en extase Mme Philips, mais son attention fut bientôt détournée par les remarques, les questions et les exclamations de ses nièces sur l’étranger qui les quittait; elle ne put leur en dire que ce qu’elles savaient déjà; qu’il venait de Londres, et qu’il était sous-lieutenant dans le… régiment.
Elle était restée plus d’une heure, ajouta-t-elle, à le regarder quand il se promenait dans la rue. Kitty et Lydia en eussent fait autant si M. Wickham eût reparu; mais, par malheur, il ne passa sous les fenêtres que quelques officiers qui, comparés à l’étranger, n’étaient alors que des hommes si communs, si insupportables, si ennuyeux… Plusieurs d’entre eux devaient dîner le lendemain chez Mme Philips; et elle promit à ses nièces que, si elles voulaient y venir passer la soirée, son mari rendrait une visite à M. Wickham dans le dessein de l’inviter. Cette proposition acceptée, leur tante assura qu’elle prendrait soin d’arranger un joli loto, bien bruyant et bien agréable; après quoi viendrait impromptu un bon petit souper chaud. L’assurance de plaisirs aussi délicieux répandit la joie; on se sépara en se disant: „À demain.“ M. Colins, au moment du départ, voulut renouveler ses excuses mais on lui protesta, avec une politesse égale, qu’elles n’étaient nullement nécessaires.
Pendant la route, Élisabeth apprit à Hélen ce qui s’était passé entre les deux messieurs. Hélen, toute disposée qu’elle était à défendre celui qui aurait pu avoir tort, ou même tous les deux, si on les avait blâmés, ne sut trouver à cet incident nulle explication raisonnable.
M. Colins, à son retour à Longbourn, enchanta Mme Bennet par l’éloge pompeux qu’il fit de la politesse et des manières de Mme Philips; il assura que, excepté lady Catherine et sa fille, il ne connaissait point de dame qui eût des formes si gracieuses. Elle l’avait reçu avec une honnêteté incomparable, et de plus avait daigné le comprendre dans ses invitations pour le lendemain, faveur d’autant plus distinguée qu’elle le connaissait à peine: il pouvait attribuer une partie de ces civilités à des liaisons de famille; cependant il n’avait rencontré, dans nulle circonstance de sa vie, des prévenances aussi flatteuses.
CHAPITRE XVI
Mme Bennet approuvant l’engagement de ses filles avec leur tante, les scrupules de M. Colins de quitter tout un soir ses hôtes furent levés par les argumens de la compagnie entière; et aussitôt après le dîner, lui et ses cinq cousines se rendirent en voiture à Meryton. Ces demoiselles eurent le plaisir, en entrant au salon, d’apprendre que M. Wickham avait accepté l’invitation de leur oncle, et était encore à table avec les autres convives. Après quelques commentaires sur cette heureuse nouvelle, tout le monde s’étant assis, M. Colins eut le loisir de regarder et d’admirer tout ce qui l’entourait. Frappé de la grandeur de l’appartement, de la beauté des meubles, il déclara qu’il croyait être dans un des boudoirs de Rosings; exclamation qui d’abord ne fut pas appréciée de Mme Philips; mais lorsqu’elle eut appris ce que c’était que Rosings, à qui appartenait cette terre; quand elle eut écouté la description entière d’un des grands salons de lady Catherine, sachant alors que le marbre seul de la cheminée coûtait huit cents livres sterlings, elle sentit toute la valeur du compliment, et se serait à peine formalisée de la même comparaison avec l’appartement de la femme de charge.
Ensuite dépeignant à Mme Philips toutes les magnificences du château de Rosings, non sans quelques digressions sur son humble demeure, et les embellissemens qu’on y faisait, il fut agréablement occupé jusqu’à l’arrivée des Messieurs. Elle l’écoutait