Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen

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gagnèrent l’estime d’Élisabeth et ajoutaient aux agrémens qu’elle lui trouvait déjà.

      „Mais qui donc a pu l’engager, dit-elle, à se conduire aussi mal envers vous?

      » — La haine qu’il me porte, et que je ne puis attribuer qu’à des motifs de jalousie. Si feu M. Darcy m’eût moins aimé, son fils ne m’aurait vu qu’avec indifférence; mais l’intérêt particulier que le père me témoignait a, de bonne heure, irrité celui-ci contre moi; il n’était point d’une humeur à supporter l’espèce de rivalité qui existait entre nous deux, et encore moins les légères préférences qu’on m’accordait quelquefois.

      » — Je ne pensais pas que M. Darcy fût d’une méchanceté si noire; je ne l’ai jamais aimé, mais j’étais loin de le juger aussi sévèrement qu’il le mérite… J’avais cru qu’il méprisait les hommes en général, ne le soupçonnant pourtant pas capable de tant d’injustice et d’inhumanité, et surtout d’une si basse vengeance.“

      Après quelques instans de réflexion, elle reprit:

      „En effet, je me rappelle, il se vanta un jour, c’était à Netherfield, que son ressentiment était implacable, que jamais il ne pardonnait. Son caractère doit être horrible?

      » — Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’en décider, répondit-il; à peine puis-je me résoudre à être juste envers lui.“

      Ces mots plongèrent Élisabeth dans de nouvelles réflexions, et tout à coup elle s’écria:

      „Traiter ainsi le filleul, l’ami, le favori de son père!“ Elle eût volontiers ajouté: „Et un jeune homme aussi aimable que vous l’êtes, et dont l’air seul annonce le caractère“; mais elle se contenta de dire: „Vous qui sans doute étiez le compagnon de son enfance.

      » — Nous sommes nés dans la même paroisse, sous le même toit; nos premières années se sont passées ensemble, partageant les mêmes plaisirs, objets des mêmes soins paternels. Mon père débuta dans la carrière où monsieur votre oncle semble avoir acquis tant de réputation; mais bientôt il y renonça pour se rendre utile à feu M. Darcy, et consacrer son temps à la gestion de la terre de Pemberley. M. Darcy ayant pour lui la plus haute estime, le regardait comme son conseil, son intime ami. Il a souvent avoué que le zèle désintéressé de mon père lui avait rendu les services les plus essentiels, et lorsqu’au moment de la mort de mon père, M. Darcy s’engagea volontairement à prendre soin de ma fortune, je suis persuadé qu’en cela il agissait autant par reconnaissance envers lui que par attachement pour moi.

      » — Chose incroyable! s’écria Élisabeth: la fierté seule devait rendre le fils juste envers vous. Comment s’avilir au point d’agir avec tant de mauvaise foi?

      » — J’en suis moi-même quelquefois surpris, répondit Wickham, car l’orgueil est la base de toutes ses actions; l’orgueil a souvent été son meilleur conseiller, et lui a tenu lieu de vertus; mais un sentiment encore plus impérieux a influé sur sa conduite à mon égard.

      » — Un orgueil tel que le sien a-t-il jamais pu le porter au bien?

      » — Oui, souvent, il l’engage à être libéral, généreux, hospitalier, à assister ses fermiers, et à secourir les pauvres. Un orgueil de famille…; il est fier de ce qu’était son père…; il craint par-dessus tout de perdre du crédit de sa famille, de voir diminuer l’influence de la maison de Pemberley. Il a aussi un orgueil fraternel qui, joint à l’amitié, le rend pour sa sœur un tuteur soigneux et zélé; vous entendrez généralement parler de lui comme du meilleur et du plus attentif des frères.

      » — Et Mlle Darcy?

      » — Je voudrais pouvoir dire qu’elle est aimable, il m’est toujours pénible de mal parler d’une Darcy; mais malheureusement elle ne ressemble que trop à son frère, sa fierté aujourd’hui est intolérable. Étant enfant, elle fut bonne et gentille, elle m’aimait beaucoup, et alors je passais des heures à l’amuser, maintenant il ne m’en reste que le souvenir. Elle a quinze ou seize ans, et, avec de la beauté, on la dit fort instruite. Depuis la mort de son père, elle vit à Londres, avec une dame chargée de présider à son éducation.“

      Après avoir essayé plus d’une fois de quitter ce sujet, Élisabeth ne put s’empêcher d’y revenir, et elle dit:

      „Je m’étonne que M. Darcy soit si étroitement lié avec M. Bingley. Comment M. Bingley, qui paraît la bonté même, peut-il être ami d’un tel homme? Connaissez-vous M. Bingley?

      » — Pas du tout.

      » — C’est un homme fort aimable; sans doute il ne connaît point le vrai caractère de M. Darcy?

      » — Cela est croyable. Mais M. Darcy peut plaire quand il veut; il ne manque point d’esprit, et possède l’art de rendre une conversation intéressante. Sa conduite envers ses égaux est bien différente de celle qu’il tient avec ceux que la fortune a moins favorisés. Son orgueil ne le quitte point, mais avec les gens riches, il est juste, sincère, d’excellent ton, et peut-être même, en lui tenant compte de sa fortune, pourrait-on le trouver aimable.“

      La partie de whist ayant fini, les joueurs s’assemblèrent autour de l’autre table, et M. Colins vint se placer entre Élisabeth et Mme Philips. Celle-ci lui demanda le succès de son jeu… Il avait perdu tous les points…; mais quand Mme Philips voulut lui en témoigner ses regrets, il l’interrompit et l’assura d’un air grave que sa perte n’était pas de la moindre importance, qu’il regardait l’argent comme une pure misère, et la suppliait de n’être point en peine de cet événement.

      „Je sais bien, madame, ajouta-t-il, que lorsqu’on se met au jeu il faut courir la chance, et heureusement cinq shillings ne sont pas un objet pour moi. Il y a certainement bien des gens qui n’en pourraient pas dire autant, mais, grâce aux bontés de lady Catherine de Brough, je me trouve au-dessus de ces petites choses.“

      Ce discours attira l’attention de M. Wickham; il regarda quelques instans M. Colins, et demanda d’une voix basse à Élisabeth, si son cousin connaissait intimement la famille de Brough.

      „Lady Catherine de Brough, répondit-elle, lui a depuis peu donné un bénéfice assez considérable. Je ne sais trop par qui M. Colins lui fut présenté, mais très-assurément il y a peu de temps qu’il la connaît.

      » — Vous savez sans doute que lady Catherine de Brough et lady Anne Darcy étaient sœurs, et que par conséquent elle est tante de M. Darcy.

      » — Non, en vérité, je l’ignorais; je ne connais point la famille de lady Catherine, et il y a deux jours que je ne savais même pas qu’elle existât.

      » — Sa fille, Mlle de Brough, sera très-riche, et on la croit destinée à M. Darcy.“

      Cette nouvelle fit sourire Élisabeth en lui rappelant Mlle Bingley…, dont elle vit alors les espérances déçues; en vain la pauvre fille témoignait-elle tant d’affection à Mlle Darcy, et à lui tant d’admiration: que de soins inutiles, que de complimens perdus! s’il était déjà promis à une autre…

      „M. Colins, dit-elle, célèbre hautement lady Catherine et sa fille; mais par quelques petits détails qu’il nous a donnés concernant cette dame, je crois m’apercevoir que la reconnaissance l’aveugle; et, malgré toute la protection qu’elle lui accorde, je la juge une femme très-vaine et très-arrogante.

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