Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas
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Tout à coup une porte basse s’ouvrit, et l’enfant royal, chassé par le fouet de son gardien, fit, en fuyant, plusieurs pas dans la cour; mais, derrière lui, quelque chose de lourd retentit sur le pavé et l’atteignit à la jambe.
– Ah! cria l’enfant.
Et il trébucha et tomba sur un genou.
– Rapporte-moi ma forme, petit monstre, ou sinon…
L’enfant se releva et secoua la tête en manière de refus.
– Ah! c’est comme ça? cria la même voix. Attends, attends, tu vas voir.
Et le savetier Simon déboucha de sa loge, comme une bête fauve de sa tanière.
– Holà! holà! dit Lorin en fronçant le sourcil; où allons-nous comme cela, maître Simon?
– Châtier ce petit louveteau, dit le savetier.
– Et pourquoi le châtier? dit Lorin.
– Pourquoi?
– Oui.
– Parce que ce petit gueux ne veut ni chanter comme un bon patriote, ni travailler comme un bon citoyen.
– Eh bien, qu’est-ce que cela te fait? répondit Lorin; est-ce que la nation t’a confié Capet pour lui apprendre à chanter?
– Ah çà! dit Simon étonné, de quoi te mêles-tu, citoyen sergent? Je te le demande.
– De quoi je me mêle? Je me mêle de ce qui regarde tout homme de cœur. Or, il est indigne d’un homme de cœur qui voit battre un enfant, de souffrir qu’on le batte.
– Bah! le fils du tyran.
– Est un enfant, un enfant qui n’a point participé aux crimes de son père, un enfant qui n’est point coupable, et que, par conséquent, on ne doit point punir.
– Et moi, je te dis qu’on me l’a donné pour en faire ce que je voudrais. Je veux qu’il chante la chanson de Madame Veto, et il la chantera.
– Mais, misérable, dit Lorin, madame Veto, c’est sa mère, à cet enfant; voudrais-tu qu’on forçât ton fils à chanter que tu es une canaille?
– Moi? hurla Simon. Ah! mauvais aristocrate de sergent!
– Ah! pas d’injures, dit Lorin; je ne suis pas Capet, moi… et l’on ne me fait pas chanter de force.
– Je te ferai arrêter, mauvais ci-devant.
– Toi, dit Lorin, tu me feras arrêter? Essaye donc un peu de faire arrêter un Thermopyle!
– Bon! bon! rira bien qui rira le dernier. En attendant, Capet, ramasse ma forme et viens faire ton soulier, ou, mille tonnerres!…
– Et moi, dit Lorin en pâlissant affreusement et en faisant un pas en avant, les poings roidis et les dents serrées, moi, je te dis qu’il ne ramassera pas ta forme; moi, je te dis qu’il ne fera pas de souliers, entends-tu, mauvais drôle? Ah! oui, tu as là ton grand sabre, mais il ne me fait pas plus peur que toi. Ose le tirer seulement!
– Ah! massacre! hurla Simon blêmissant de rage.
En ce moment, deux femmes entrèrent dans la cour: l’une des deux tenait un papier à la main; elle s’adressa à la sentinelle.
– Sergent! cria la sentinelle, c’est la fille Tison qui demande à voir sa mère.
– Laisse passer, puisque le conseil du Temple le permet, dit Lorin, qui ne voulait pas se détourner un instant, de peur que Simon ne profitât de cette distraction pour battre l’enfant.
La sentinelle laissa passer les deux femmes; mais à peine eurent-elles monté quatre marches de l’escalier sombre, qu’elles rencontrèrent Maurice Lindey, qui descendait un instant dans la cour.
La nuit était presque venue, de sorte qu’on ne pouvait distinguer les traits de leur visage.
Maurice les arrêta.
– Qui êtes-vous, citoyennes, demanda-t-il, et que voulez-vous?
– Je suis Sophie Tison, dit l’une des deux femmes. J’ai obtenu la permission de voir ma mère, et je viens la voir.
– Oui, dit Maurice; mais la permission est pour toi seule, citoyenne.
– J’ai amené mon amie pour que nous soyons deux femmes, au moins, au milieu des soldats.
– Fort bien; mais ton amie ne montera pas.
– Comme il vous plaira, citoyen, dit Sophie Tison en serrant la main de son amie, qui, collée contre la muraille, semblait frappée de surprise et d’effroi.
– Citoyens factionnaires, cria Maurice en levant la tête et en s’adressant aux sentinelles qui étaient placées à chaque étage, laissez passer la citoyenne Tison; seulement, son amie ne peut point passer. Elle attendra sur l’escalier, et vous veillerez à ce qu’on la respecte.
– Oui, citoyen, répondirent les sentinelles.
– Montez donc, dit Maurice.
Les deux femmes passèrent.
Quant à Maurice, il sauta les quatre ou cinq marches qui lui restaient à descendre, et s’avança rapidement dans la cour.
– Qu’y a-t-il donc, dit-il aux gardes nationaux, et qui cause ce bruit? On entend des cris d’enfant jusque dans l’antichambre des prisonnières.
– Il y a, dit Simon, qui, habitué aux manières des municipaux, crut, en apercevant Maurice, qu’il lui arrivait du renfort; il y a que c’est ce traître, cet aristocrate, ce ci-devant qui m’empêche de rosser Capet.
Et il montra du poing Lorin.
– Oui, mordieu! je l’en empêche, dit Lorin en dégainant, et, si tu m’appelles encore une fois ci-devant, aristocrate ou traître, je te passe mon sabre au travers du corps.
– Une menace! s’écria Simon. À la garde! à la garde!
– C’est moi qui suis la garde, dit Lorin; ne m’appelle donc pas, car, si je vais à toi, je t’extermine.
– À moi, citoyen municipal, à moi! s’écria Simon, sérieusement menacé cette fois par Lorin.
– Le sergent a raison, dit froidement le municipal que Simon appelait à son aide; tu déshonores la nation; lâche, tu bats un enfant.
– Et pourquoi le bat-il, comprends-tu, Maurice? parce que l’enfant ne veut pas chanter Madame Veto, parce que le fils ne veut pas insulter sa mère.
– Misérable! dit Maurice.
– Et toi aussi? dit Simon. Mais je suis donc entouré de traîtres?
– Ah! coquin, dit le municipal en saisissant Simon à la gorge et en lui arrachant sa lanière