Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas
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– Me voilà, dit-elle; pardon, mon ami, de vous avoir fait attendre…
Maurice répondit par un mouvement de tête, et tous deux prirent une charmante allée, molle, ombreuse, touffue, qui, par un détour, devait les amener à la grand’route.
C’était une de ces délicieuses soirées de printemps où chaque plante envoie au ciel son émanation, où chaque oiseau, immobile sur la branche ou sautillant dans les broussailles, jette son hymne d’amour à Dieu, une de ces soirées enfin qui semblent destinées à vivre dans le souvenir.
Maurice était muet; Geneviève était pensive: elle effeuillait d’une main les fleurs d’un bouquet, qu’elle tenait de son autre main appuyée au bras de Maurice.
– Qu’avez-vous? demanda tout à coup Maurice, et qui vous rend donc si triste aujourd’hui?
Geneviève aurait pu lui répondre: « Mon bonheur. »
Elle le regarda de son doux et poétique regard.
– Mais vous-même, dit-elle, n’êtes-vous point plus triste que d’habitude?
– Moi, dit Maurice, j’ai raison d’être triste, je suis malheureux; mais vous?
– Vous, malheureux?
– Sans doute; ne vous apercevez-vous point quelquefois, au tremblement de ma voix que je souffre? Ne m’arrive-t-il point, quand je cause avec vous ou avec votre mari, de me lever tout à coup et d’être forcé d’aller demander de l’air au ciel, parce qu’il me semble que ma poitrine va se briser?
– Mais, demanda Geneviève embarrassée, à quoi attribuez-vous cette souffrance?
– Si j’étais une petite-maîtresse, dit Maurice en riant d’un rire douloureux, je dirais que j’ai mal aux nerfs.
– Et, dans ce moment, vous souffrez?
– Beaucoup, dit Maurice.
– Alors, rentrons.
– Déjà, madame?
– Sans doute.
– Ah! c’est vrai, murmura le jeune homme, j’oubliais que M. Morand doit revenir de Rambouillet à la tombée de la nuit et que voilà la nuit qui tombe.
Geneviève le regarda avec une expression de reproche.
– Oh! encore? dit-elle.
– Pourquoi donc m’avez-vous fait, l’autre jour, de M. Morand un si pompeux éloge? dit Maurice. C’est votre faute.
– Depuis quand, devant les gens qu’on estime, demanda Geneviève, ne peut-on pas dire ce qu’on pense d’un homme estimable?
– C’est une estime bien vive que celle qui fait hâter le pas, comme vous le faites en ce moment, de peur d’être en retard de quelques minutes.
– Vous êtes, aujourd’hui, souverainement injuste, Maurice; n’ai-je point passé une partie de la journée avec vous?
– Vous avez raison, et je suis trop exigeant, en vérité, reprit Maurice, se laissant aller à la fougue de son caractère. Allons revoir M. Morand, allons!
Geneviève sentait le dépit passer de son esprit à son cœur.
– Oui, dit-elle, allons revoir M. Morand. Celui-là, du moins, est un ami qui ne m’a jamais fait de peine.
– Ce sont des amis précieux que ceux-là, dit Maurice étouffant de jalousie, et je sais que pour ma part, je désirerais en connaître de pareils.
Ils étaient en ce moment sur la grand’route, l’horizon rougissait; le soleil commençait à disparaître, faisant étinceler ses derniers rayons aux moulures dorées du dôme des Invalides. Une étoile, la première, celle qui, dans une autre soirée, avait déjà attiré les regards de Geneviève, étincelait dans l’azur fluide du ciel.
Geneviève quitta le bras de Maurice avec une tristesse résignée.
– Qu’avez-vous à me faire souffrir? dit-elle.
– Ah! dit Maurice, j’ai que je suis moins habile que des gens que je connais; j’ai que je ne sais point me faire aimer.
– Maurice! fit Geneviève.
– Oh! madame, s’il est constamment bon, constamment égal, c’est qu’il ne souffre pas, lui.
Geneviève appuya de nouveau sa blanche main sur le bras puissant de Maurice.
– Je vous en prie, dit-elle d’une voix altérée, ne parlez plus, ne parlez plus!
– Et pourquoi cela?
– Parce que votre voix me fait mal.
– Ainsi, tout vous déplaît en moi, même ma voix?
– Taisez-vous, je vous en conjure.
– J’obéirai, madame.
Et le fougueux jeune homme passa sa main sur son front humide de sueur.
Geneviève vit qu’il souffrait réellement. Les natures dans le genre de celle de Maurice ont des douleurs inconnues.
– Vous êtes mon ami, Maurice, dit Geneviève en le regardant avec une expression céleste; un ami précieux pour moi: faites, Maurice, que je ne perde pas mon ami.
– Oh! vous ne le regretteriez pas longtemps! s’écria Maurice.
– Vous vous trompez, dit Geneviève, je vous regretterais longtemps, toujours.
– Geneviève! Geneviève! s’écria Maurice, ayez pitié de moi!
Geneviève frissonna.
C’était la première fois que Maurice disait son nom avec une expression si profonde.
– Eh bien, continua Maurice, puisque vous m’avez deviné, laissez-moi tout vous dire, Geneviève; car, dussiez-vous me tuer d’un regard… il y a trop longtemps que je me tais; je parlerai, Geneviève.
– Monsieur, dit la jeune femme, je vous ai supplié, au nom de notre amitié, de vous taire; monsieur, je vous en supplie encore; que ce soit pour moi, si ce n’est point pour vous. Pas un mot de plus, au nom du ciel, pas un mot de plus!
– L’amitié, l’amitié. Ah! si c’est une amitié pareille à celle que vous me portez, que vous avez pour M. Morand, je ne veux plus de votre amitié, Geneviève; il me faut à moi plus qu’aux autres.
– Assez, dit madame Dixmer avec un geste de reine, assez, monsieur Lindey; voici notre voiture, veuillez me reconduire chez mon mari.
Maurice tremblait de fièvre et d’émotion; lorsque Geneviève, pour rejoindre la voiture, qui, en effet, se tenait à quelques pas seulement, posa sa main sur le bras de Maurice, il sembla au jeune homme que cette main était de flamme. Tous deux montèrent dans la voiture: Geneviève s’assit au fond, Maurice se plaça sur