L'enfer et le paradis de l'autre monde. Emile Chevalier

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L'enfer et le paradis de l'autre monde - Emile Chevalier

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n’y a plus place ici pour toi.

      – Oh! Édouard, Édouard, pardonne-lui cette fois.

      – Bah! qu’est-ce que ça fait? s’écria le jeune homme échappant, en chancelant, à l’étreinte de son père. Il nous faut de l’ouvrage, n’est-ce pas? Ils sont riches – nous prenons garde à ça – ils reconstruiront, ça ne les appauvrira pas et ça nous donnera du pain. Justice! c’est tout ce que nous voulons! hurla-t-il en se jetant tout de son long devant le foyer éteint.

      – Tais-toi, dit le père.

      – Voyez, reprit Mark montrant du doigt sa mère et ses sœurs qui s’étaient groupées avec effroi au milieu de la chambre; voyez, elles n’ont ni feu ni à manger. Brûlez donc tout, c’est moi qui vous le dis; c’est ce que je ferais, moi!

      – Je te dis que tu ne coucheras pas ici, dit Mordaunt. Si tu ne viens pas m’aider à remédier au mal que tu as fait, j’irai te dénoncer moi-même, quoique tu sois mon propre fils – oui, Mark!

      Il se leva et courut à la porte.

      – Bon Dieu! exclama-t-il, après l’avoir ouverte, en voyant les lueurs embrasées qui se réfléchissaient au ciel et rougissaient jusqu’au tapis de neige étendu sur les rues et les maisons; bon Dieu! quel spectacle! Marguerite, amène-le ici. Tu m’entends, je ne puis supporter ça, quoique je sois son père! Mon Dieu! mon Dieu! ajouta-t-il en étendant ses bras vers la populeuse cité et en se précipitant à travers la neige; voyez, mon Dieu, ce que font de nous ces ministres aveugles! nous venons leur demander du travail, et ils nous rendent criminels…

      Montrez-vous maintenant, grands champions du peuple, et contemplez ce spectacle! vous qui vous posez comme les défenseurs des droits du peuple et le grisez de vos fables politiques, contemplez-le! Il n’y a pas d’invention ici. Le tocsin a souvent retenti à vos oreilles, et les sinistres lueurs d’une conflagration ont souvent brillé sur vos maisons. Êtes-vous capable de calmer les souffrances de ce pauvre père? Pouvez-vous sécher les larmes qui jaillissent des yeux de cette mère outragée, et pouvez-vous mettre un terme aux tiraillements qui déchirent les entrailles de leurs enfants affamés? Ils sont venus pour travailler, pour être honnêtes au milieu de vous, pour vous être utiles, et voyez ce qu’ils sont!

      Le jeune homme fit peu attention à l’excitation qu’il avait causée.

      Au lieu de suivre son père, il s’étendit sur le plancher à demi défoncé et commença à discuter, par des lambeaux de phrases alcoolisées, la justice et la convenance de ce qu’il avait fait.

      La mère revint s’asseoir en pleurant; elle ne dit rien, de peur d’irriter son fils; aussi le silence rentra-t-il dans le taudis, chacun de nos personnages s’enfonçant sous le suaire de ses afflictions.

      Depuis longtemps ils étaient dans cette position, quand la silhouette d’un homme se dessina, en passant et repassant à diverses reprises, devant la fenêtre de la cabane.

      Seule, Madeleine remarqua cette apparition.

      À sa première vue, la jeune fille se leva. Elle était pâle comme un linceul. Ses yeux se portèrent tour à tour sur la fenêtre et sur sa mère et sur sa sœur, mais celles-ci n’avaient rien aperçu.

      Un instant Madeleine resta debout, hagarde, incertaine. Ses paupières étaient mouillées de larmes; son sein battait à rompre sa poitrine.

      Elle se tordit les mains avec une expression de douleur navrante.

      Elle lutta violemment. Mille émotions la torturaient. Son amour pour ses parents, pour sa religion, et puis…

      Qui pourrait expliquer les sensations qui soulèvent son cœur? qui pourrait dire d’où lui viennent ces affreuses incertitudes? Personne! À personne donc le pouvoir de la juger.

      L’âme est une puissance étrange. Dieu seul peut lire et bien lire dans ses replis.

      À vous, cela est défendu.

      – Ellen! s’écria tout à coup madame Mordaunt sortant en sursaut d’une longue rêverie, où est Madeleine?

      – Mais je ne sais pas, répliqua celle-ci d’un ton à demi éveillé; je ne l’ai point vue sortir…

      – Seigneur mon Dieu! elle est sortie avec son chapeau[1]! Où peut-elle être? s’écria la pauvre mère, s’élançant vers la porte.

      Tout était calme au dehors. La lune brillait d’un éclat mat sur la blanche neige; le vent avait cessé de souffler, mais il faisait très froid.

      Madeleine ne paraissait point auprès de la maison.

      Sa mère appela; mais Madeleine ne répondit pas.

      Pauvre mère, elle lut dans cette pâleur livide et dans cette tranquillité glaciale répandues autour d’elle une autre page du livre de ses chagrins!

      Rentrant dans la chambre, elle tâcha de réveiller son fils, qui gisait presque sans connaissance sur le plancher.

      – Mark, Mark! ta sœur Madeleine est partie; Vite, Mark, mon brave garçon, cours après ta sœur. Oh! Madeleine, Madeleine, ma pauvre fille!

      – Aller où? balbutia le dormeur se soulevant sur le coude et étendant sur sa mère un regard hébété.

      – Oh! le ciel me vienne en aide, car je ne sais où… Mark, va la chercher, si tu l’aimes, va! Je t’en prie, ramène-la, Mark, ramène-la!

      Le jeune homme passa la main sur son front appesanti par l’ivresse, regarda vaguement çà et là, mais ne parut pas comprendre.

      – Madeleine partie! dit-il pourtant en se mettant debout. Où ça partie? Comment? – où est-elle allée?

      – Mais elle vient de partir… Tu peux la sauver… tu peux la trouver; mais va, cours après elle. Ça me tuerait, vois-tu, Mark, s’il lui arrivait quelque chose!

      – Ma mère, dit Mark, qui parut renaître quelque peu au sentiment… elle n’est jamais sortie ainsi; avez-vous jamais su quelque chose?… Le connaissez-vous, ma mère?… Mais c’est impossible!… Elle ne serait pas partie comme ça… Donnez-moi mon bâton. Je les trouverai; n’ayez pas peur… Allons, ça donnera encore lieu à d’autres crimes qu’à des incendie… Je les trouverai; n’ayez pas peur… pas peur… ma mère!

      En prononçant ces mots, il s’élança furieusement sur la voie publique et suivit une petite trace qui semblait avoir été nouvellement faite sur la neige et allait du côté de la ville.

      Le père revient du théâtre de l’incendie allumé par son fils.

      Sa femme et sa fille Ellen pleurent à chaudes larmes; leurs sanglots font saigner son cœur.

      – Marguerite, quel nouveau malheur? pourquoi pleures-tu?

      – Oh! Édouard, cher Édouard! notre Madeleine, notre pauvre Madeleine est partie… je ne sais où. Et je n’ose te dire ce que je soupçonne…

      Ce qu’elle voulait lui cacher, il le voit dans ses yeux rougis de larmes. Ce coup manquait à ses douleurs.

      – Marguerite, nous la retrouverons, dit-il d’une voix sombre; calme tes craintes jusqu’à mon retour. Madeleine a toujours été fidèle

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