L'enfer et le paradis de l'autre monde. Emile Chevalier
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Sa tête est brûlante et son âme est en proie à mille tourments.
III. La maison abandonnée
La nuit s’est écoulée; la matinée grise et froide commence à se montrer, sa lueur terne arrive paresseusement dans la cabane.
Qu’y voyons-nous?
Une mère et ses enfants, étendus sur le même grabat, goûtent les bienfaits du sommeil, cet avant-coureur du ciel qui apporte le repos même à l’âme troublée.
Regardez-les.
Elle est couchée dans un coin, là où la neige s’est introduite et a mêlé à la paille ses glaciales constellations. Sur elle, pauvre femme, le froid de la nuit a jeté une mantille de frimas et souffle la bise pénétrante. Son nourrisson est cramponné à sa poitrine et l’haleine du pauvre petit se gèle en blanches concrétions le long de la chevelure de sa mère, qui pend par mèches éparses, épaisses, roidies sur son front.
Elle tressaille, soulève la tête, et ses yeux injectés de sang sont tournés vers la porte.
Elle écoute.
Mais tout est encore tranquille au dehors et, avec un profond soupir, elle se laisse retomber et presse l’enfant contre son cœur.
Elle tressaille encore, soulève de nouveau sa tête et la laisse choir sur le grossier oreiller.
Son haleine est sifflante, ses yeux rouges et obscurcis; mais aussi, durant cette longue et fatigante nuit, le sommeil n’a pas un seul moment versé sur elle son baume réparateur.
Ellen est couchée à côté de sa mère.
Elle dort, mais d’un sommeil agité interrompu par la fièvre et le frisson; ses dents s’entrechoquent; elle étire ses membres engourdis et pousse des cris rauques, en demandant qu’on chasse la neige qui tombe sur son corps demi-nu; elle ne jouit d’aucun repos, car son misérable lit est trop froid, ses douleurs trop poignantes.
De l’autre côté est le petit voleur.
Souvent sa mère le couvre de baisers passionnés, car dans son sommeil il demande, en suppliant, du pain.
Infortunée, cette prière la remplit de terreurs; elle soupire profondément, et, tremblante, serre plus fort l’enfant contre son sein.
Venez donc, vous dont les membres s’étendent voluptueusement chaque soir sur l’édredon, dans l’oubli des fatigues et le charme des rêves agréables, venez donc voir cette scène! Ce n’est pas une fable: les faits sont devant vous.
La matinée était déjà bien avancée, et les yeux de Marguerite, qui avaient été si longtemps rivés sur la porte, s’étaient fermés de lassitude, alors que ses enfants devenaient plus remuants, comme il arrivait ordinairement aux approches de ce réveil à leur détresse réelle dont les songes n’étaient que les ombres, quand la porte s’ouvrit doucement pour laisser entrer le mari et le père de toutes ces misères.
Son maintien était calme et la résignation semblait de nouveau gravée sur son visage.
Mais quand ses regards tombèrent sur les dormeurs, sa quiétude apparente l’abandonna; il recula en joignant les mains et leva les yeux au ciel.
Pauvre homme!
Ses yeux se reportèrent sur les dormeurs et les considérèrent pendant quelques secondes; puis il poussa un gros soupir, se retourna, sortit sans bruit de la chambre et fit signe d’entrer à un individu qui se tenait au dehors.
C’était un jeune homme qui, malgré le mauvais état de ses vêtements, le désordre de sa barbe et de ses cheveux, paraissait bien fait et même de bonne mine.
Sur son front large, découvert, on voyait briller la bienveillance et la générosité qui animaient son âme.
Il portait du bois dans ses bras.
L’ayant déposé aussi doucement que possible sur le sol, il alluma du feu.
– Merci, merci, Guillaume; tu es un digne garçon.
– Oh! Édouard, Édouard! s’écria Marguerite s’éveillant au son de cette voix. Où est-elle? L’a-t-on ramenée?
– Marguerite, mon enfant, répliqua le mari en affectant un sang-froid bien loin de son cœur, Madeleine s’est éloignée de nous pour quelque temps, Dieu sait dans quel but. Il nous la ramènera, mais à présent nous devons laisser la pauvre fille entre ses mains. Ah! c’est un grand malheur, bien grand, Marguerite, ça fend le cœur; mais il faut se faire violence. Nous avons beaucoup à faire, un devoir sacré devant nous aujourd’hui, ma bonne femme.
L’infortunée le regarda avec égarement, et retomba sur la paillasse en poussant un faible cri.
– Marguerite, reprit-il en s’agenouillant à son chevet et en posant la main sur sa tête en feu, nous l’avons perdue pour peu de temps; mais, si chère qu’elle puisse nous être, elle est seule aux yeux du ciel. Il nous en reste quatre, Marguerite, que nous devons pourvoir de pain et tenir hors de la mauvaise voie. Ferons-nous notre devoir ou souffriront-ils tous pour une seule? Nous pouvons leur éviter un sort semblable, pire peut-être; mais, pour elle, la pauvre enfant, si sa droiture naturelle ne la protège pas, c’est fini, et nous ne pourrons que la réclamer. C’est un devoir sacré, ma pauvre femme. Nous lui donnerons nos prières, mais nous devons la laisser à présent, afin de chercher à subvenir aux besoins des autres. Guillaume et Mark ont juré de la chercher et de nous la ramener. – Allons, enfants, il fait bien froid; levez-vous. Guillaume a fait du feu; venez vous chauffer pour la dernière fois ici. Nous avons fort à faire: j’attends de vous tous obéissance et courage; la Providence fera le reste.
Madame Mordaunt leva les yeux sur son mari et lui pressa tendrement la main.
Puis elle se sortit de sa couche glacée, en montrant cette sérénité que donne la résignation.
Son mari lui sut gré de ce calme apparent, car il sentait la violence du combat intérieur qu’elle avait à soutenir, et qu’il lui faudrait encore remporter sur ses affections pour lui obéir et le suivre là où il jugerait convenable d’aller.
– Guillaume, dit-elle au jeune homme qui attisait le feu, vous êtes bien obligeant et nous vous sommes très reconnaissants.
Elle le regarda et secoua mélancoliquement la tête.
Il lui rendit son regard dans un silence solennel. Leurs âmes s’entendirent; mais ce qu’ils sentaient était trop élevé pour pouvoir être traduit par des paroles, et ils demeurèrent muets.
– Enfants, dit Mordaunt quand ils furent tous réunis autour du feu et que le dernier morceau de pain leur eut été distribué, nous quitterons ce lieu dans une heure. C’est la seule chance qui nous reste; et, bien que nous devions nous attendre à en voir de dures pendant le voyage, nous devons tout faire pour supporter notre sort du mieux que nous pourrons; avec l’aide de la Providence, nous nous tirerons de ce mauvais pas. Tu connais les Barton et les Williams, Marguerite, eh bien, ils s’en vont tous et nous attendent. De cette façon nous formerons une grosse troupe et nous nous tiendrons compagnie en chemin. Ils ont réussi à construire un grand traîneau pour le voyage. Nous le tirerons à tour de rôle, puisque nous n’avons pas d’autres moyens de nous en aller.