Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau
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– Quoi !… c’est vous, Goguet, fit doucement M. Segmuller, vous, un vieux greffier, qui parlez ainsi. Auriez-vous peur ?…
– Peur, moi ?… Certainement non, mais….
– Bast !… interrompit Lecoq, d’un ton qui trahissait sa confiance en sa prodigieuse vigueur, ne suis-je pas là !
Rien qu’en s’asseyant à son bureau, M. Segmuller eût eu comme un rempart entre le prévenu et lui. Il s’y tenait d’habitude ; mais après le mouvement d’effroi de son greffier, il eût rougi de paraître craindre.
Il se plaça donc près du feu, comme l’instant d’avant, quand il interrogeait la Chupin, et sonna pour donner l’ordre d’introduire l’homme, seul. Il insista sur ce mot : seul.
La seconde d’après, la porte s’ouvrait avec une violence terrible, et le meurtrier entrait, se précipitait, plutôt, dans le cabinet.
Le taureau qui s’échappe de l’abattoir, après avoir été manqué par la masse du boucher, a ces allures affolées, ces mouvements désordonnés et sauvages.
Goguet en blêmit derrière sa table, et Lecoq fit un pas, prêt à s’élancer.
Mais, arrivé au milieu de la pièce, l’homme s’arrêta, promenant autour de lui un regard perçant.
– Où est le juge ?… demanda-t-il d’une voix rauque.
– Le juge, c’est moi, répondit M. Segmuller.
– Non … l’autre.
– Quel autre ?
– Celui qui est venu me questionner hier soir.
– Il lui est arrivé un accident. En vous quittant il s’est cassé la jambe.
– Oh !…
– Et c’est moi qui le remplace….
Mais le prévenu semblait hors d’état d’entendre. À son exaltation frénétique succédait subitement un anéantissement mortel. Ses traits contractés par la rage se détendaient. Il était devenu livide, il chancelait…
– Remettez-vous, lui dit le juge d’un ton bienveillant, et si vous vous sentez trop faible pour rester debout, prenez un siège….
Déjà, par un prodige d’énergie, l’homme s’était redressé. Même une flamme, aussitôt éteinte, avait brillé dans ses yeux….
– Bien des merci de votre bonté, monsieur, répondit-il, mais ça ne sera rien… j’ai eu comme un éblouissement, il est passé.
– Il y a longtemps peut-être que vous n’avez mangé ?…
– Je n’ai rien mangé depuis que celui-ci, – il montrait Lecoq, – m’a apporté du pain et du jambon, au violon, là-bas.
– Sentez-vous le besoin de prendre quelque chose ?
– Non !… Quoique cependant … si c’était un effet de votre bonté… je boirais bien un verre d’eau.
– Voulez-vous du vin avec ?…
– J’aime mieux de l’eau pure.
On lui apporta ce qu’il demandait.
Aussitôt il se versa un premier verre qu’il avala d’un trait, puis un second qu’il vida lentement.
On eût dit qu’il buvait la vie. Il semblait renaître.
Chapitre 18
Sur vingt prévenus qui arrivent à l’instruction, dix-huit au moins se présentent armés d’un système complet de défense, conçu et discuté dans le silence des « secrets. »
Coupables ou innocents, ils ont adopté un rôle qui commence à l’instant où, le cœur battant et la gorge sèche, ils franchissent le seuil du cabinet redoutable où les attend le magistrat instructeur.
Ce moment de l’entrée du prévenu est donc un de ceux où le juge met en jeu toute la puissance de sa pénétration.
L’attitude de l’homme doit trahir le système, comme une table résume les matières d’un volume.
Mais ici, M. Segmuller n’avait pas, croyait-il, à se défier de trompeuses apparences. Il était évident pour lui que le prévenu n’avait pu songer à feindre, que le désordre de son arrivée était aussi réel que son anéantissement présent.
Du moins, tous les dangers dont avait parlé le directeur du Dépôt étaient écartés. Le juge alla donc s’établir à son bureau. Il s’y sentait plus à l’aise, et pour ainsi dire plus fort. Là, il tournait le dos au jour, sa tête s’effaçait dans l’ombre, et au besoin il pouvait, rien qu’en se baissant, dissimuler une surprise, une impression trop vive.
Le prévenu, au contraire, restait en pleine lumière, et pas un des tressaillements de sa face, pas un des battements de sa paupière ne devait échapper à une attention sérieuse.
Il paraissait alors complètement remis, et ses traits avaient repris l’insoucieuse immobilité de la résignation.
– Vous sentez-vous tout à fait mieux ?… lui demanda M. Segmuller.
– Je vais très bien.
– J’espère, poursuivit paternellement le juge, que vous saurez vous modérer, maintenant. Hier, vous avez essayé de vous donner la mort. C’eût été un grand crime ajouté aux autres, un crime qui…
D’un geste brusque, le prévenu l’interrompit.
– Je n’ai pas commis de crime, dit-il, d’une voix rude encore, mais non plus menaçante. Attaqué, j’ai défendu ma peau, ce qui est le droit de chacun. Ils étaient trois sur moi, des enragés … j’ai tué pour ne pas être tué. C’est un grand malheur, et je donnerais ma main pour le réparer, mais ma conscience ne me reproche pas ça.
Ça … c’était le claquement de l’ongle de son pouce sous ses dents.
– Cependant, continua-t-il, on m’a arrêté et traité comme un assassin. Quand je me suis vu tout seul dans ce cercueil de pierre que vous appelez « le secret, » j’ai eu peur, j’ai perdu la tête. Je me suis dit : « Mais, mon garçon, on t’a enterré vivant, il s’agit de mourir, et vite, si tu ne veux pas souffrir. » Là-dessus, j’ai cherché à m’étrangler. Ma mort ne faisait de tort à personne, je n’ai ni femme ni petits qui comptent sur le travail de mes bras, je m’appartiens. Ce qui n’empêche qu’après la saignée, on m’a lié dans un sac de toile, comme un fou … Fou ! j’ai cru que je le deviendrais. Toute la nuit les geôliers ont été après moi, comme des enfants qui tourmentent une bête enchaînée. Ils me tâtaient, ils me regardaient, ils passaient la chandelle devant mes yeux…
Tout cela était débité avec un sentiment d’amertume profonde, mais sans colère, violemment,