Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau
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Lecoq eut un si terrible geste que le vieux recula épouvanté.
– Malheureux !… s’écria-t-il, livrer notre plan à l’ennemi !…
Mais il reprit vite son calme. D’abord le mal était sans remède, puis il avait encore un bon côté : il levait tous les doutes qu’eût pu laisser l’affaire de l’hôtel de Mariembourg.
– Mais ce n’est pas le moment de réfléchir, reprit le jeune policier, je suis écrasé de fatigue ; prenez un matelas au lit, pour vous, l’ancien, et couchons-nous…
Chapitre 25
Lecoq était un garçon prévoyant.
Il avait eu soin, avant de se mettre au lit, de monter un réveil, qu’il possédait, et d’en placer les aiguilles sur six heures.
– Comme cela, dit-il au père Absinthe, en soufflant la bougie, nous ne manquerons pas le coche.
Mais il comptait sans son extrême lassitude, à lui ; sans les fumées de l’alcool qui emplissaient encore la cervelle de son vieux collègue.
Quand six heures sonnèrent à Saint-Eustache, le réveil fonctionna fidèlement, mais le bruit strident de l’ingénieuse mécanique ne suffit pas pour interrompre le lourd sommeil des deux policiers.
Ils auraient vraisemblablement dormi longtemps encore, si vers les sept heures et demie deux vigoureux coups de poing n’eussent ébranlé la porte de la chambre.
D’un bond Lecoq fut debout, stupéfait de voir le jour levé, furieux de l’inanité de ses précautions.
– Entrez !… cria-t-il au visiteur matinal.
Le jeune policier n’avait pas encore d’ennemis, à cette époque, il pouvait sans imprudence dormir la clé sur sa serrure.
La porte aussitôt s’entrebâilla, et la figure futée du père Papillon se montra.
– Eh !… c’est mon brave cocher !… s’écria Lecoq. Il y a donc du nouveau ?
– Faites excuse, bourgeois, c’est au contraire toujours la même cause qui m’amène, vous savez, les trente francs des coquines … Je ne dormirai pas tranquille, tant que je ne vous aurai pas conduit, gratis pour pareille somme. Vous vous êtes servi hier de ma voiture pour cent sous, c’est vingt-cinq francs que je vous redois.
– Mais c’est de la folie, mon ami !
– Possible !… c’est la mienne. Je me suis juré, si vous ne me prenez pas, de stationner onze heures d’horloge devant votre porte. À deux francs vingt-cinq centimes l’heure, nous serons quitte. Décidez-vous.
Son œil suppliait ; il était clair qu’un refus l’eût sérieusement désobligé.
– Soit, dit Lecoq, je vous prends pour la matinée ; seulement, je dois vous prévenir que nous allons débuter par un véritable voyage.
– Cocotte a de bonnes jambes.
– Nous avons affaire, mon collègue et moi, dans votre quartier. Il faut absolument que nous dénichions la bru de la veuve Chupin, et j’ai tout lieu d’espérer que nous trouverons son adresse chez le commissaire de l’arrondissement.
– Ah ! nous irons où vous voudrez ; je suis à vos ordres.
Ils partirent quelques instants plus tard.
Papillon, fier sur son siège, faisait claquer son fouet, et la voiture filait comme s’il y eût en cent sous de pour-boire.
Seul le père Absinthe était triste. Lecoq l’avait pardonné et même lui avait juré le secret, mais il ne se pardonnait pas, lui ! Il ne pouvait se consoler d’avoir été, lui, un vieux policier, joué comme un provincial naïf. Si encore il n’eût pas livré le secret de l’instruction ! Mais, il ne le comprenait que trop, il avait, par cela seul, doublé les difficultés de la tâche.
Du moins, la longue course ne fut pas inutile. Le secrétaire du commissaire de police du treizième arrondissement apprit à Lecoq que la femme Polyte Chupin demeurait avec son enfant aux environs, dans la ruelle de la Butte-aux-Cailles.
Il ne put indiquer le numéro précis, mais il donna des détails.
La bru de la mère Chupin était Auvergnate, et elle était cruellement punie d’avoir préféré un Parisien à un compatriote.
Arrivée à Paris à douze ans, elle était entrée comme servante dans une grosse fabrique de Montrouge et y était toujours restée. Après dix ans de privations et d’un travail acharné, elle avait amassé, sou à sou, trois mille francs, quand son mauvais génie jeta Polyte Chupin sur sa route.
Elle s’éprit de ce pâle et cynique gredin, et lui l’épousa pour ses économies.
Tant que dura l’argent, c’est-à-dire pendant trois ou quatre mois, le ménage alla cahin-caha. Mais avec le dernier écu, Polyte s’envola et reprit avec délices sa vie de paresse, de maraude et de débauche.
Dès lors il ne reparut plus chez sa femme que pour la voler, quand il lui soupçonnait quelques petites épargnes. Et périodiquement elle se laissait dépouiller de tout.
Il eût voulu la pousser plus bas, alléché par l’espoir d’ignobles profits ; elle résista.
De cette résistance même était venue la haine de la vieille Chupin contre sa belle-fille, haine qui se traduisait par tant de mauvais traitements, que la pauvre femme dut fuir un soir avec les seules guenilles qui la couvraient.
La mère et le fils comptaient peut-être que la faim ferait ce que n’avaient pu faire leurs menaces et leurs conseils.
Leurs honteux calculs devaient être trompés.
Le secrétaire ajoutait que ces faits étaient de notoriété publique, et que tout le monde rendait justice à la vaillante Auvergnate.
– Même, disait-il, un sobriquet qu’on lui avait donné : Toinon-la-Vertu, était un grossier mais sincère hommage.
C’est muni de ces renseignements que Lecoq remonta en voiture.
La ruelle de la Butte-aux-Cailles, où le conduisit rapidement Papillon, ressemble peu au boulevard Malesherbes. Y demeure-t-il des millionnaires ? on ne le devine pas. Ce qui est sûr, c’est que tous les habitants s’y connaissent comme dans un village. La première personne à qui le jeune policier demanda madame Polyte Chupin le tira d’embarras.
– Toinon-la-Vertu demeure dans cette maison, à droite, lui fut-il répondu ; tout en haut de l’escalier, la porte en face.
L’indication était si précise, que du premier coup Lecoq et le père Absinthe arrivèrent au logis qu’ils cherchaient.
C’était une triste et froide mansarde carrelée, assez spacieuse, éclairée par une fenêtre à tabatière.
Un lit de noyer disloqué, une table boiteuse, deux chaises et de misérables ustensiles de ménage constituaient le mobilier.
Mais la propreté, en dépit de la