Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey

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Double-Blanc - Fortuné du Boisgobey

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entra donc bravement dans cette allée où on n’y voyait goutte et, en poussant jusqu’au bout, il finit par mettre le pied sur une marche déjetée et la main sur une rampe branlante.

      Le plus fort était fait. Il tenait maintenant le fil conducteur et il n’avait plus qu’à le suivre jusqu’au bout.

      Il pesta bien un peu contre le pauvre diable qui campait dans un taudis où on risquait de se casser le cou quand on venait le voir, mais il se reprocha aussitôt ce mouvement d’impatience et il continua son escalade en se disant que ce n’était pas la faute d’Alain, s’il était si mal logé.

      Hervé fit à tâtons la première partie du chemin; puis, les ténèbres s’éclaircirent. À chaque étage, il y avait ce que, dans la langue des propriétaires d’immeubles, on appelle un jour de souffrance, c’est-à-dire une étroite ouverture garnie d’un vitrage et recevant un peu de lumière par la cour de la maison.

      Au château de Trégunc, l’escalier d’une des tours, bâtie au seizième siècle, était éclairé de la même façon par des barbacanes percées dans l’épaisseur du mur.

      La ressemblance s’arrêtait là, mais il n’en fallut pas davantage pour rappeler à Hervé le manoir où il était né.

      Cette évocation du passé ne dura d’ailleurs que le temps qu’il mit à atteindre le dernier palier.

      Là, il s’arrêta pour reprendre haleine et il vit, se faisant vis-à-vis, deux portes, dont une n’avait pas de serrure.

      L’autre n’avait pas de sonnette, mais il y heurta, sans hésiter.

      Elle ne s’ouvrit pas à la première sommation, et après avoir un peu attendu, Hervé recommença en frappant plus fort.

      Cette fois, il entendit qu’on marchait dans l’intérieur de l’appartement, mais comme on n’ouvrait toujours pas, il cria très haut:

      – Je cherche Alain Kernoul. Est-ce ici?

      – Qu’est-ce que vous lui voulez? demanda une voix connue d’Hervé qui s’empressa de répondre:

      – Je veux te voir, mon gars. Ouvre à ton maître.

      L’effet de cette déclaration fut immédiat et décisif. La porte s’ouvrit toute grande et Alain se montra. Il n’était plus habillé en troubadour, mais peu s’en fallut que Scaër n’éclatât de rire en le voyant affublé d’une peau de bique en guise de robe de chambre, culotté d’un maillot sale et chaussé de savates éculées.

      Son costume était comme une enseigne qui indiquait tout à la fois sa nationalité, sa profession et sa misère: Bas-Breton, figurant au théâtre et va-nu-pieds à la ville.

      – Vous ici, notre maître! s’écria le pauvre diable.

      – Il faut bien que j’y vienne, puisque tu ne viens pas chez moi, répondit brusquement Hervé. Pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis deux jours?

      – Excusez-moi, monsieur. C’est que ma femme a été bien malade. Je ne pouvais pas la laisser seule.

      – Bon!… et ton théâtre?

      – J’ai manqué mon service hier et avant-hier. Je le ferai ce soir, si on veut bien me reprendre.

      – Alors, elle va mieux, ta femme?

      – Pas beaucoup mieux. Cette nuit, j’ai cru qu’elle allait passer… elle étouffait… mais la crise est finie… maintenant, elle dort.

      – Ne la réveillons pas.

      – Oh! elle ne dort jamais longtemps… malheureusement. Et elle sera bien contente de vous remercier. Je lui ai tout raconté… elle sait que je vous ai rencontré au bal, que vous m’avez donné vingt francs et que j’ai eu la chance de vous débarrasser d’un gueux qui allait vous tomber dessus. Elle se souvient très bien de vous avoir vu à Concarneau, il y a trois ans.

      – Peste! quelle mémoire!… Je ne suis entré qu’une fois dans la baraque où elle dansait et je ne lui ai pas parlé.

      – Eh bien, elle vous a remarqué tout de même… elle prétend qu’elle vous reconnaîtrait… et depuis que je lui ai dit que vous me permettriez de revenir travailler sur votre ferme de Lanriec, elle ne fait que prier le bon Dieu pour vous.

      – Je lui revaudrai ça… et à toi aussi, mon gars. Vous pouvez compter sur moi tous les deux et je vais la recommander à une dame qui lui viendra en aide. Si ta malade peut être sauvée, on la sauvera… mais tu habites une drôle de maison… pas de portier… pas d’éclairage… j’ai eu bien de la peine à te dénicher ici.

      – Je m’y suis mis parce que je n’avais pas le choix. On ne voulait de nous nulle part et on nous a permis de demeurer ici pour rien.

      – Comment!… il existe à Paris un propriétaire qui loge les gens gratis!

      – Oui, notre maître, c’est comme ça. Je ne paie pas un sou de loyer, ni pour l’appartement, ni pour les meubles.

      – Quoi! s’écria Hervé, les meubles aussi sont gratis!

      – Oh! ils ne sont pas beaux, mais j’ai été bien heureux de les trouver. On nous avait chassés du garni où nous logions, et nous étions sur le pavé, à l’entrée de l’hiver. Pour Zina, c’était la mort. Nous chantions dans les cours, quand on voulait bien nous le permettre, mais nous ne gagnions pas toujours de quoi manger et il nous est arrivé plus d’une fois de coucher dehors sur un banc.

      – Quel miracle vous a tirés de cette misère!

      – Un miracle?… oui… c’en est un. Figurez-vous qu’un soir, nous crevions de faim et nous rôdions devant les cafés du boulevard Saint-Michel… nous n’osions pas demander l’aumône, mais nous espérions qu’on nous la ferait… les étudiants ont bon cœur… malheureusement il pleuvait et il ne passait presque personne. Eh! bien, le bon Dieu voulut qu’une dame s’arrêta et nous parla. La figure de Zina lui avait plu. Elle nous questionna. Je lui dis que nous étions dans la peine, sans argent, sans abri, et que nous ne demandions qu’à travailler pour gagner notre vie. Elle voulut savoir si nous étions de Paris. Je lui répondis que nous venions d’arriver de la province et que nous n’y connaissions personne. Là-dessus, elle nous dit: je ne me charge pas de vous nourrir, mais je puis vous loger. Venez avec moi.

      – Et elle vous amena ici?

      – Tout droit. Elle avait dans sa poche la clef de la porte de la rue, la clé de l’appartement que vous voyez, des allumettes et un rat de cave pour monter l’escalier, car la maison était déjà abandonnée. Elle nous fit entrer; elle nous montra les quatre pièces et le mobilier du logement. Enfin, elle nous dit: le propriétaire voyage à l’étranger, il ne reviendra que dans un an; il a des raisons pour ne pas louer sa maison pendant son absence, mais il m’a chargé d’y installer un gardien. Je ne vous connais pas encore mais vous m’inspirez confiance et je vous offre l’emploi. Il sera bien facile à remplir, car vous n’aurez qu’à surveiller et à me rendre compte…

      – Surveiller quoi?

      – Ah! voilà!… cette dame m’explique que la propriété se composait de quatre corps de logis formant un carré, avec des façades sur trois rues et sur le quai Saint-Michel… que toutes

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