Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Double-Blanc - Fortuné du Boisgobey страница 5
Tout était joie et chansons dans ce Paris que les Allemands devaient assiéger, sept mois plus tard.
Cependant, le mouvement et le bruit ne dépassaient guère la Chaussée-d’Antin et Hervé trouva la rue de la Paix à peu près déserte. Il s’y engagea sans regarder derrière lui et il ne lui vint pas à l’esprit qu’on pouvait l’attaquer sur ce chemin peu fréquenté à trois heures du matin. Il était du reste de force à se défendre et il ne craignait rien ni personne.
Au moment où il débouchait sur la place Vendôme, il fut dépassé par un monsieur qui le suivait à distance et qui, au lieu de piquer droit vers la rue de Castiglione, obliqua à gauche, en rasant les maisons: un monsieur en grande tenue de bal, habit noir et cravate blanche, sans paletot, par une belle gelée de février.
– Voilà un homme qui n’a pas peur de s’enrhumer, pensa Hervé, sans se préoccuper autrement de cette singulière rencontre.
Et il traversa la place en passant tout près du piédestal de la colonne. Il était arrivé devant l’hôtel du Rhin, lorsqu’il crut revoir le même individu qui l’avait devancé en hâtant le pas et qui cherchait à se dissimuler dans l’enfoncement d’une porte cochère. Scaër fut tenté d’aller lui demander l’explication de cette manœuvre suspecte, mais il se ravisa et, sans cesser de l’observer du coin de l’œil, il mit la main sur le bouton de sonnette de l’hôtel qu’il habitait.
Bien lui en prit d’être resté sur ses gardes, car, avant qu’il eût sonné, le drôle sortit tout doucement de son embuscade et s’avança à pas de loup, dans l’intention évidente de tomber sur lui par derrière.
Scaër fit aussitôt volte-face et se mit en posture de le recevoir à coups de poing, mais il n’eut pas besoin de boxer, car un homme se jeta entre lui et l’assaillant qui s’arrêta net et s’enfuit à toutes jambes.
Au même instant, Scaër stupéfait reconnut cet auxiliaire inattendu. C’était Alain Kernoul, toujours déguisé en troubadour de pendule.
D’où sortait-il et comment était-il arrivé là si à propos! Hervé, qui n’y comprenait rien, le reçut assez mal.
– De quoi te mêles-tu? lui demanda-t-il rudement.
– Ah! notre maître! s’écria le gars aux biques, vous n’avez donc pas vu qu’il tenait un couteau et qu’il allait vous tuer?
– Et pourquoi m’as-tu suivi jusqu’ici?
– Parce que je me défiais de ce coquin-là. Un voleur est bien capable d’assassiner.
– Un voleur?
– Eh! oui… c’est le même individu qui s’est jeté sur vous à la buvette et qui se sauvait parce qu’il avait filouté la bourse d’un monsieur. Ils ont eu beau lui courir après, il leur a échappé en faisant des crochets comme un lièvre… mais moi qui n’avais pas pris le même chemin que les autres, je me suis trouvé bec à bec avec lui, au pied d’un petit escalier qu’il venait de dégringoler pour les dépister.
– Et tu ne l’as pas fait arrêter!
– Non… ça ne me regardait pas, et on dit chez nous qu’il ne faut jamais se mêler d’aider les gendarmes. Mais je voulais savoir ce qu’il allait devenir et je me suis arrangé pour ne pas le perdre de vue. Vous ne devineriez jamais ce qu’il a fait… Il a enlevé la fausse barbe qui lui cachait tout le bas de la figure et, après, il a eu l’aplomb de rentrer dans le corridor des premières où il avait fouillé les poches, un quart d’heure auparavant. Ça le changeait tellement de ne plus avoir de poils au menton que le monsieur qu’il a volé ne l’aurait pas reconnu. Mais moi qui l’avais vu ôter ses postiches, j’étais sûr que c’était lui. Et puis, il a des yeux qu’on ne peut pas oublier, des yeux d’émouchet.
– Tout ce que tu me contes là ne m’explique pas pourquoi je l’ai eu sur mes talons depuis l’Opéra.
– Faut croire qu’il avait de bonnes raisons pour vous filer, car du moment qu’il vous a revu dans le couloir des premières loges, il n’a fait que tourner autour de vous, pendant que vous causiez avec vos amis, et quand vous êtes sorti du théâtre, il est sorti derrière vous, sans prendre le temps de retirer son paletot du vestiaire. Tout ça m’a paru louche, et je vous aurais averti, si j’avais osé vous parler devant ces messieurs… mais je n’ai pas osé et je me suis décidé à lui emboîter le pas, tant qu’il ne vous aurait pas lâché.
– Je ne peux pas t’en vouloir, mais je crois que tu t’es trompé… car enfin, pourquoi ce gredin se serait-il mis à mes trousses? Il m’a vu de très près en me bousculant là-bas, mais il ne me connaît pas. Il m’a suivi comme il aurait suivi le premier venu, pour me dévaliser s’il en trouvait l’occasion, et il a cru la trouver dans ce coin sombre. Il a manqué son coup et il court encore. Il ne recommencera pas.
– Que le bon Dieu vous entende, notre maître!… Mais si ce gueux-là a quelque chose contre vous, il ne sera pas en peine de vous retrouver, maintenant qu’il sait où vous demeurez.
– Eh! bien, qu’il y vienne, répondit froidement Hervé. Je le recevrai de façon à lui ôter l’envie de recommencer. Mais il s’en gardera, car il sait que je pourrais le faire arrêter… je n’aurais qu’à dire qu’il a volé au bal de l’Opéra et qu’il a essayé de m’attaquer à ma porte… tu me servirais de témoin. Seulement, il ne s’avisera pas de s’y frotter. Je ne te sais pas moins gré de l’avoir mis en fuite et tu peux compter que je t’aiderai comme je te l’ai promis.
Maintenant, mon gars, va retrouver ta malade… et ouvre l’œil en route… ce coquin n’aurait qu’à te rattraper et à te tomber dessus…
– Oh! dit Alain en secouant la tête, ce n’est pas à moi qu’il en veut et je n’ai peur que pour vous, notre maître, car, bien sûr, il ne vous a pas suivi pour rien, et si j’étais à votre place…
– Bonne nuit! interrompit Scaër en passant la porte cochère qui venait de s’ouvrir à son coup de sonnette.
Il la referma au nez du Breton trop zélé, prit un bougeoir des mains du garçon qui veillait et monta lestement au troisième étage où il occupait un joli appartement dont les fenêtres donnaient sur la place Vendôme.
Il en avait assez de ces semblants d’aventures qui n’aboutissaient à rien; il n’était pas très convaincu d’avoir couru un danger, comme le prétendait le gars aux biques, et il lui tardait d’être seul pour lire enfin la lettre de cette inconnue qui s’était dérobée au moment où elle commençait à l’intéresser.
Hervé s’était laissé entraîner au bal de l’Opéra sans songer à mal, et il en revenait la tête pleine de pensées qui n’avaient pas pour objet Mlle Solange de Bernage, sa riche et charmante future.
Ce mariage, à vrai dire, était pour lui un mariage de raison, en ce sens qu’il le sauvait d’une ruine totale, mais il ne s’était pas fiancé à contrecœur, car sa fiancée lui plaisait fort.
L’aimait-il comme il avait aimé autrefois une jeune fille qu’il avait rêvé d’épouser et dont il n’avait pas perdu le souvenir? Assurément, il ne l’aimait pas de la même façon, car en la voyant pour la première