Michel Strogoff. Jules Verne

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Michel Strogoff - Jules  Verne

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cousine ». Mais, naturellement, on le prenait pour un espion, et on ne disait pas devant lui un mot qui eût trait aux événements du jour.

      Aussi, voyant qu’il ne pouvait rien apprendre de relatif à l’invasion tartare, écrivit-il sur son carnet :

      « Voyageurs d’une discrétion absolue. En matière politique, très durs à la détente. »

      Et tandis qu’Alcide Jolivet notait minutieusement ses impressions de voyage, son confrère, embarqué comme lui dans le même train, et voyageant dans le même but, se livrait au même travail d’observation dans un autre compartiment. Ni l’un ni l’autre ne s’étaient rencontrés, ce jour-là, à la gare de Moscou, et ils ignoraient réciproquement qu’ils fussent partis pour visiter le théâtre de la guerre.

      Seulement, Harry Blount, parlant peu, mais écoutant beaucoup, n’avait point inspiré à ses compagnons de route les mêmes défiances qu’Alcide Jolivet. Aussi ne l’avait-on pas pris pour un espion, et ses voisins, sans se gêner, causaient-ils devant lui, en se laissant même aller plus loin que leur circonspection naturelle n’aurait dû le comporter. Le correspondant du Daily Telegraph avait donc pu observer combien les événements préoccupaient ces marchands qui se rendaient à Nijni-Novgorod, et à quel point le commerce avec l’Asie centrale était menacé dans son transit.

      Aussi n’hésita-t-il pas à noter sur son carnet cette observation on ne peut plus juste :

      Voyageurs extrêmement inquiets. Il n’est question que de la guerre, et ils en parlent avec une liberté qui doit étonner entre le Volga et la Vistule !

      Les lecteurs du Daily Telegraph ne pouvaient manquer d’être aussi bien renseignés que la « cousine » d’Alcide Jolivet.

      Et, de plus, comme Harry Blount, assis à la gauche du train, n’avait vu qu’une partie de la contrée, qui était assez accidentée, sans se donner la peine de regarder la partie de droite, formée de longues plaines, il ne manqua pas d’ajouter avec l’aplomb britannique :

      Pays montagneux entre Moscou et Wladimir.

      Cependant, il était visible que le gouvernement russe, en présence de ces graves éventualités, prenait quelques mesures sévères, même à l’intérieur de l’empire. Le soulèvement n’avait pas franchi la frontière sibérienne, mais dans ces provinces du Volga, si voisines du pays kirghis, on pouvait craindre l’effet des mauvaises influences.

      En effet, la police n’avait encore pu retrouver les traces d’Ivan Ogareff. Ce traître, appelant l’étranger pour venger ses rancunes personnelles, avait-il rejoint Féofar-Khan, ou bien cherchait-il à fomenter la révolte dans le gouvernement de Nijni-Novgorod, qui, à cette époque de l’année, renfermait une population composée de tant d’éléments divers ? N’avait-il pas parmi ces Persans, ces Arméniens, ces Kalmouks, qui affluaient au grand marché, des affidés chargés de provoquer un mouvement à l’intérieur ? Toutes ces hypothèses étaient possibles, surtout dans un pays tel que la Russie.

      En effet, ce vaste empire, qui compte douze millions de kilomètres carrés, ne peut pas avoir l’homogénéité des États de l’Europe occidentale. Entre les divers peuples qui le composent, il existe forcément plus que des nuances. Le territoire russe, en Europe, en Asie, en Amérique, s’étend du quinzième degré de longitude est au cent trente-troisième degré de longitude ouest, soit un développement de près de deux cents degrés[3], et du trente-huitième parallèle sud au quatre-vingt-unième parallèle nord, soit quarante-trois degrés[4]. On y compte plus de soixante-dix millions d’habitants. On y parle trente langues différentes. La race slave y domine sans doute, mais elle comprend, avec les Russes, des Polonais, des Lithuaniens, des Courlandais. Que l’on y ajoute les Finnois, les Estoniens, les Lapons, les Tchérémisses, les Tchouvaches, les Permiaks, les Allemands, les Grecs, les Tartares, les tribus caucasiennes, les hordes mongoles, kalmoukes, samoyèdes, kamtschadales, aléoutes, et l’on comprendra que l’unité d’un aussi vaste État ait été difficile à maintenir, et qu’elle n’ait pu être que l’œuvre du temps, aidée par la sagesse des gouvernements.

      Quoi qu’il en soit, Ivan Ogareff avait su, jusqu’alors, échapper à toutes les recherches, et, très probablement, il devait avoir rejoint l’armée tartare. Mais, à chaque station où s’arrêtait le train, des inspecteurs se présentaient qui examinaient les voyageurs et leur faisaient subir à tous une inspection minutieuse, car, par ordre du grand maître de police, ils étaient à la recherche d’Ivan Ogareff. Le gouvernement, en effet, croyait savoir que ce traître n’avait pas encore pu quitter la Russie européenne. Un voyageur paraissait-il suspect, il allait s’expliquer au poste de police, et, pendant ce temps, le train repartait sans s’inquiéter en aucune façon du retardataire.

      Avec la police russe, qui est très péremptoire, il est absolument inutile de vouloir raisonner. Ses employés sont revêtus de grades militaires, et ils opèrent militairement. Le moyen, d’ailleurs, de ne pas obéir sans souffler mot à des ordres émanant d’un souverain qui a le droit d’employer cette formule en tête de ses ukases : « Nous, par la grâce de Dieu, empereur et autocrate de toutes les Russies, de Moscou, Kief, Wladimir et Novgorod, czar de Kazan, d’Astrakan, czar de Pologne, czar de Sibérie, czar de la Chersonèse Taurique, seigneur de Pskof, grand prince de Smolensk, de Lithuanie, de Volhynie, de Podolie et de Finlande, prince d’Estonie, de Livonie, de Courlande et de Semigallie, de Bialystok, de Karélie, de Iougrie, de Perm, de Viatka, de Bolgarie et de plusieurs autres pays, seigneur et grand prince du territoire de Nijni-Novgorod, de Tchernigof, de Riazan, de Polotsk, de Rostof, de Jaroslavl, de Bielozersk, d’Oudorie, d’Obdorie, de Kondinie, de Vitepsk, de Mstislaf, dominateur des régions hyperboréennes, seigneur des pays d’Ivérie, de Kartalinie, de Grouzinie, de Kabardinie, d’Arménie, seigneur héréditaire et suzerain des princes tcherkesses, de ceux des montagnes et autres, héritier de la Norvège, duc de Schleswig-Holstein, de Stormarn, de Dittmarsen et d’Oldenbourg. » Puissant souverain, en vérité, que celui dont les armes sont un aigle à deux têtes, tenant un sceptre et un globe, qu’entourent les écussons de Novgorod, de Wladimir, de Kief, de Kazan, d’Astrakan, de Sibérie, et qu’enveloppe le collier de l’ordre de Saint-André, surmonté d’une couronne royale !

      Quant à Michel Strogoff, il était en règle, et, par conséquent, à l’abri de toute mesure de police.

      À la station de Wladimir, le train s’arrêta pendant quelques minutes, – ce qui parut suffire au correspondant du Daily Telegraph pour prendre, au double point de vue physique et moral, un aperçu extrêmement complet de cette ancienne capitale de la Russie.

      À la gare de Wladimir, de nouveaux voyageurs montèrent dans le train. Entre autres, une jeune fille se présenta à la portière du compartiment occupé par Michel Strogoff.

      Une place vide se trouvait devant le courrier du czar. La jeune fille s’y plaça, après avoir déposé près d’elle un modeste sac de voyage en cuir rouge qui semblait former tout son bagage. Puis, les yeux baissés, sans même avoir regardé les compagnons de route que le hasard lui donnait, elle se disposa pour un trajet qui devait durer encore quelques heures.

      Michel Strogoff ne put s’empêcher de considérer attentivement sa nouvelle voisine. Comme elle se trouvait placée de manière à aller en arrière, il lui offrit même sa place, qu’elle pouvait préférer, mais elle le remercia en s’inclinant légèrement.

      Cette jeune fille devait avoir de seize à dix-sept ans. Sa tête, véritablement charmante, présentait le type slave dans toute sa pureté, – type un peu sévère, qui la destinait à devenir plutôt belle que jolie,

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<p>3</p>

Soit 2500 lieues environ.

<p>4</p>

Soit 1000 lieues.