Michel Strogoff. Jules Verne
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Michel Strogoff s’étendit donc dans son coin, comme un digne bourgeois que ses affaires n’inquiètent pas outre mesure, et qui cherche à tuer le temps par le sommeil.
Néanmoins, comme il n’était pas seul dans son compartiment, il ne dormit que d’un œil et il écouta de ses deux oreilles.
En effet, le bruit du soulèvement des hordes kirghises et de l’invasion tartare n’était pas sans avoir transpiré quelque peu. Les voyageurs, dont le hasard faisait ses compagnons de voyage, en causaient, mais non sans quelque circonspection.
Ces voyageurs, ainsi que la plupart de ceux que transportait le train, étaient des marchands qui se rendaient à la célèbre foire de Nijni-Novgorod. Monde nécessairement très mêlé, composé de Juifs, de Turcs, de Cosaques, de Russes, de Géorgiens, de Kalmouks et autres, mais presque tous parlant la langue nationale.
On discutait donc le pour et le contre des graves événements qui s’accomplissaient alors au-delà de l’Oural, et ces marchands semblaient craindre que le gouvernement russe ne fût amené à prendre quelques mesures restrictives, surtout dans les provinces confinant à la frontière, – mesures dont le commerce souffrirait certainement.
Il faut le dire, ces égoïstes ne considéraient la guerre, c’est-à-dire la répression de la révolte et la lutte contre l’invasion, qu’au seul point de vue de leurs intérêts menacés. La présence d’un simple soldat, revêtu de son uniforme, – et l’on sait combien l’importance de l’uniforme est grande en Russie, – eût certainement suffi à contenir les langues de ces marchands. Mais, dans le compartiment occupé par Michel Strogoff, rien ne pouvait faire soupçonner la présence d’un militaire, et le courrier du czar, voué à l’incognito, n’était pas homme à se trahir.
Il écoutait donc.
– On affirme que les thés de caravane sont en hausse, disait un Persan, reconnaissable à son bonnet fourré d’astrakan et à sa robe brune à larges plis, usée par le frottement.
– Oh ! les thés n’ont rien à craindre de la baisse, répondit un vieux Juif à mine renfrognée. Ceux qui sont sur le marché de Nijni-Novgorod s’expédieront facilement par l’ouest, mais il n’en sera malheureusement pas de même des tapis de Boukhara !
– Comment ! Vous attendez donc un envoi de Boukhara ? lui demanda le Persan.
– Non, mais un envoi de Samarcande, et il n’en est que plus exposé ! Comptez donc sur les expéditions d’un pays qui est soulevé par les khans depuis Khiva jusqu’à la frontière chinoise !
– Bon ! répondit le Persan, si les tapis n’arrivent pas, les traites n’arriveront pas davantage, je suppose !
– Et le bénéfice, Dieu d’Israël ! s’écria le petit Juif, le comptez-vous pour rien ?
– Vous avez raison, dit un autre voyageur, les articles de l’Asie centrale risquent fort de manquer sur le marché, et il en sera des tapis de Samarcande comme des laines, des suifs et des châles d’Orient.
– Eh ! prenez garde, mon petit père ! répondit un voyageur russe à l’air goguenard. Vous allez horriblement graisser vos châles, si vous les mêlez avec vos suifs !
– Cela vous fait rire ! répliqua aigrement le marchand, qui goûtait peu ce genre de plaisanteries.
– Eh ! quand on s’arracherait les cheveux, quand on se couvrirait de cendres, répondit le voyageur, cela changerait-il le cours des choses ? Non ! pas plus que le cours des marchandises !
– On voit bien que vous n’êtes pas marchand ! fit observer le petit Juif.
– Ma foi, non, digne descendant d’Abraham ! Je ne vends ni houblon, ni édredon, ni miel, ni cire, ni chènevis, ni viandes salées, ni caviar, ni bois, ni laine, ni rubans, ni chanvre, ni lin, ni maroquin, ni pelleteries !…
– Mais en achetez-vous ? demanda le Persan, qui interrompit la nomenclature du voyageur.
– Le moins que je peux, et seulement pour ma consommation particulière, répondit celui-ci en clignant de l’œil.
– C’est un plaisant ! dit le Juif au Persan.
– Ou un espion ! répondit celui-ci en baissant la voix. Défions-nous, et ne parlons pas plus qu’il ne faut ! La police n’est pas tendre par le temps qui court, et on ne sait trop avec qui l’on voyage !
Dans un autre coin du compartiment, on parlait un peu moins des produits mercantiles, mais un peu plus de l’invasion tartare et de ses fâcheuses conséquences.
– Les chevaux de Sibérie vont être réquisitionnés, disait un voyageur, et les communications deviendront bien difficiles entre les diverses provinces de l’Asie centrale !
– Est-il certain, lui demanda son voisin, que les Kirghis de la horde moyenne aient fait cause commune avec les Tartares ?
– On le dit, répondit le voyageur en baissant la voix, mais qui peut se flatter de savoir quelque chose dans ce pays !
– J’ai entendu parler de concentration de troupes à la frontière. Les Cosaques du Don sont déjà rassemblés sur le cours du Volga, et on va les opposer aux Kirghis révoltés.
– Si les Kirghis ont descendu le cours de l’Irtyche, la route d’Irkoutsk ne doit pas être sûre ! répondit le voisin. D’ailleurs, hier, j’ai voulu envoyer un télégramme à Krasnoiarsk, et il n’a pas pu passer. Il est à craindre qu’avant peu les colonnes tartares n’aient isolé la Sibérie orientale !
– En somme, petit père, reprit le premier interlocuteur, ces marchands ont raison d’être inquiets pour leur commerce et leurs transactions. Après avoir réquisitionné les chevaux, on réquisitionnera les bateaux, les voitures, tous les moyens de transport, jusqu’au moment où il ne sera plus permis de faire un pas sur toute l’étendue de l’empire.
– Je crains bien que la foire de Nijni-Novgorod ne finisse pas aussi brillamment qu’elle a commencé ! répondit le second interlocuteur, en secouant la tête. Mais la sûreté et l’intégrité du territoire russe avant tout. Les affaires ne sont que les affaires !
Si, dans ce compartiment, le sujet des conversations particulières ne variait guère, il ne variait pas davantage dans les autres voitures du train ; mais partout un observateur eût observé une extrême circonspection dans les propos que les causeurs échangeaient entre eux. Lorsqu’ils se hasardaient quelquefois sur le domaine des faits, ils n’allaient jamais jusqu’à pressentir les intentions du gouvernement moscovite, ni à les apprécier.
C’est ce qui fut très justement remarqué par l’un des voyageurs d’un wagon placé en tête du train. Ce voyageur – évidemment un étranger – regardait de tous ses yeux et faisait vingt questions auxquelles on ne répondait que très évasivement. À chaque instant, penché hors de la portière, dont il tenait la vitre baissée, au vif désagrément de ses compagnons de voyage, il ne perdait pas un point de vue de l’horizon de droite. Il demandait le nom des localités les plus insignifiantes, leur orientation, quel était leur commerce, leur industrie, le nombre de leurs habitants, la moyenne