Quatrevingt treize. Victor Hugo

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Quatrevingt treize - Victor  Hugo

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y a dessus?

      – Qui flotte?

      – Oui.

      – C’est un drapeau.

      – Tricolore, dit l’homme.

      C’était l’objet qui avait déjà attiré l’attention du marquis quand il était au haut de la dune.

      – Ne sonne-t-on pas le tocsin? demanda le marquis.

      – Oui.

      – À cause de quoi?

      – Évidemment à cause de vous.

      – Mais on ne l’entend pas?

      – C’est le vent qui empêche.

      L’homme continua:

      – Vous avez vu votre affiche?

      – Oui.

      – On vous cherche.

      Et, jetant un regard du côté de la métairie, il ajouta:

      – Il y a là un demi-bataillon.

      – De républicains?

      – Parisiens.

      – Eh bien, dit le marquis, marchons.

      Et il fit un pas vers la métairie.

      L’homme lui saisit le bras.

      – N’y allez pas.

      – Et où voulez-vous que j’aille?

      – Chez moi.

      Le marquis regarda le mendiant.

      – Écoutez, monsieur le marquis, ce n’est pas beau chez moi, mais c’est sûr. Une cabane plus basse qu’une cave. Pour plancher un lit de varech, pour plafond un toit de branches et d’herbe. Venez. À la métairie vous seriez fusillé. Chez moi vous dormirez. Vous devez être las; et demain matin les bleus se seront remis en marche, et vous irez où vous voudrez.

      Le marquis considérait cet homme.

      – De quel côté êtes-vous donc? demanda le marquis; êtes-vous républicain? êtes-vous royaliste?

      – Je suis un pauvre.

      – Ni royaliste, ni républicain?

      – Je ne crois pas.

      – Êtes-vous pour ou contre le roi?

      – Je n’ai pas le temps de ça.

      – Qu’est-ce que vous pensez de ce qui se passe?

      – Je n’ai pas de quoi vivre.

      – Pourtant vous venez à mon secours.

      – J’ai vu que vous étiez hors la loi. Qu’est-ce que c’est que cela, la loi? On peut donc être dehors. Je ne comprends pas. Quant à moi, suis-je dans la loi? suis-je hors la loi? Je n’en sais rien. Mourir de faim, est-ce être dans la loi?

      – Depuis quand mourez-vous de faim?

      – Depuis toute ma vie.

      – Et vous me sauvez?

      – Oui.

      – Pourquoi?

      – Parce que j’ai dit: Voilà encore un plus pauvre que moi. J’ai le droit de respirer, lui ne l’a pas.

      – C’est vrai. Et vous me sauvez?

      – Sans doute. Nous voilà frères, monseigneur. Je demande du pain, vous demandez la vie. Nous sommes deux mendiants.

      – Mais savez-vous que ma tête est mise à prix?

      – Oui.

      – Comment le savez-vous?

      – J’ai lu l’affiche.

      – Vous savez lire?

      – Oui. Et écrire aussi. Pourquoi serais-je une brute?

      – Alors, puisque vous savez lire, et puisque vous avez lu l’affiche, vous savez qu’un homme qui me livrerait gagnerait soixante mille francs?

      – Je le sais.

      – Pas en assignats.

      – Oui, je sais, en or.

      – Vous savez que soixante mille francs, c’est une fortune?

      – Oui.

      – Et que quelqu’un qui me livrerait ferait sa fortune?

      – Eh bien, après?

      – Sa fortune!

      – C’est justement ce que j’ai pensé. En vous voyant je me suis dit: Quand je pense que quelqu’un qui livrerait cet homme-ci gagnerait soixante mille francs et ferait sa fortune! Dépêchons-nous de le cacher.

      Le marquis suivit le pauvre.

      Ils entrèrent dans un fourré. La tanière du mendiait était là. C’était une sorte de chambre qu’un grand vieux chêne avait laissé prendre chez lui à cet homme; elle était creusée sous ses racines et couverte de ses branches. C’était obscur, bas, caché, invisible. Il y avait place pour deux.

      – J’ai prévu que je pouvais avoir un hôte, dit le mendiant.

      Cette espèce de logis sous terre, moins rare en Bretagne qu’on ne croit, s’appelle en langue paysanne carnichot. Ce nom s’applique aussi à des cachettes pratiquées dans l’épaisseur des murs.

      C’est meublé de quelques pots, d’un grabat de paille ou de goémon lavé et séché, d’une grosse couverture de créseau, et de quelques mèches de suif avec un briquet et des tiges creuses de brane-ursine pour allumettes.

      Ils se courbèrent, rampèrent un peu, pénétrèrent dans la chambre où les grosses racines de l’arbre découpaient des compartiments bizarres, et s’assirent sur un tas de varech sec qui était le lit. L’intervalle de deux racines par où l’on entrait et qui servait de porte donnait quelque clarté. La nuit était venue, mais le regard se proportionne à la lumière, et l’on finit par trouver toujours un peu de jour dans l’ombre. Un reflet du clair de lune blanchissait vaguement l’entrée. Il y avait dans un coin une cruche d’eau, une galette de sarrasin et des châtaignes.

      – Soupons, dit le pauvre.

      Ils se partagèrent les châtaignes; le marquis donna son morceau de biscuit; ils mordirent à la même miche de blé noir et burent à la cruche l’un après l’autre.

      Ils causèrent.

      Le marquis se mit à interroger cet homme.

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