Consuelo. George Sand

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Consuelo - George Sand страница 54

Consuelo - George  Sand

Скачать книгу

style="font-size:15px;">      – Non, il n’en est pas resté, répondit Albert, qui n’avait pas perdu une seule parole du chapelain, bien que celui-ci eût parlé assez bas, et qu’Albert, qui se promenait avec agitation, fût en ce moment à l’autre bout du grand salon. Vous savez bien monsieur le chapelain, que vous avez tout détruit, et que vous avez encore, au lendemain de son dernier jour, cherché et fureté dans tous les coins de sa chambre.

      – Qui donc a ainsi aidé ou égaré votre mémoire, Albert? demanda le comte Christian d’un ton sévère. Quel serviteur infidèle ou imprudent s’est donc avisé de troubler votre jeune esprit par le récit, sans doute exagéré, de ces événements domestiques?

      – Aucun, mon père; je vous le jure sur ma religion et sur ma conscience.

      – L’ennemi du genre humain est intervenu dans tout ceci, dit le chapelain consterné.

      – Il serait plus vraisemblable et plus chrétien de penser, observa l’abbé, que le comte Albert est doué d’une mémoire extraordinaire, et que des événements dont le spectacle ne frappe point ordinairement l’âge tendre sont restés gravés dans son esprit. Ce que j’ai vu de sa rare intelligence me fait aisément croire que sa raison a dû avoir un développement fort précoce; et quant à sa faculté de garder le souvenir des choses, j’ai reconnu qu’elle était prodigieuse en effet.

      – Elle ne vous semble prodigieuse que parce que vous en êtes tout à fait dépourvu, répondit Albert sèchement. Par exemple, vous ne vous rappelez pas ce que vous avez fait en l’année 1619, après que Withold Podiebrad le protestant, le vaillant, le fidèle (votre grand-père, ma chère tante), le dernier qui porta notre nom, eut rougi de son sang la pierre d’épouvante? Vous avez oublié votre conduite en cette circonstance, je le parierais, monsieur l’abbé?

      – Je l’ai oubliée entièrement, je l’avoue, répondit l’abbé avec un sourire railleur qui n’était pas de trop bon goût dans un moment où il devenait évident pour nous tous qu’Albert divaguait complètement.

      – Eh bien! je vais vous la rappeler, reprit Albert sans se déconcerter. Vous allâtes bien vite conseiller à ceux des soldats impériaux qui avaient fait le coup de se sauver ou de se cacher, parce que les ouvriers de Pilsen, qui avaient le courage de s’avouer protestants, et qui adoraient Withold, venaient pour venger la mort de leur maître, et s’apprêtaient à les mettre en pièces. Puis, vous vîntes trouver mon aïeule Ulrique, la veuve tremblante et consternée de Withold, et vous lui promîtes de faire sa paix avec l’empereur Ferdinand II, de lui conserver ses biens, ses titres, sa liberté, et la tête de ses enfants, si elle voulait suivre vos conseils et vous payer vos services à prix d’or; elle y consentit: son amour maternel lui suggéra cet acte de faiblesse. Elle ne respecta pas le martyre de son noble époux. Elle était née catholique, et n’avait abjuré que par amour pour lui. Elle ne sut point accepter la misère, la proscription, la persécution, pour conserver à ses enfants une foi que Withold venait de signer de son sang, et un nom qu’il venait de rendre plus illustre encore que tous ceux de ses ancêtres hussites, calixtins, taborites, orphelins, frères de l’union, et luthériens. (Tous ces noms, ma chère Porporina, sont ceux des diverses sectes qui joignent l’hérésie de Jean Huss à celle de Luther, et qu’avait probablement suivies la branche des Podiebrad dont nous descendons.) Enfin, continua Albert, la Saxonne eut peur, et céda. Vous prîtes possession du château, vous en éloignâtes les bandes impériales, vous fîtes respecter nos terres. Vous fîtes un immense autodafé de nos titres et de nos archives. C’est pourquoi ma tante, pour son bonheur, n’a pu rétablir l’arbre généalogique des Podiebrad, et s’est rejetée sur la pâture moins indigeste des Rudolstadt. Pour prix de vos services, vous fûtes riche, très riche. Trois mois après, il fut permis à Ulrique d’aller embrasser à Vienne les genoux de l’empereur, qui lui permit gracieusement de dénationaliser ses enfants, de les faire élever par vous dans la religion romaine, et de les enrôler ensuite sous les drapeaux contre lesquels leur père et leurs aïeux avaient si vaillamment combattu. Nous fûmes incorporés mes fils et moi, dans les rangs de la tyrannie autrichienne…

      – Tes fils et toi!… dit ma tante désespérée, voyant qu’il battait la campagne.

      – Oui, mes fils Sigismond et Rodolphe, répondit très sérieusement Albert.

      – C’est le nom de mon père et de mon oncle, dit le comte Christian. Albert, où est ton esprit? Reviens à toi, mon fils. Plus d’un siècle nous sépare de ces événements douloureux accomplis par l’ordre de la Providence.

      Albert n’en voulut point démordre. Il se persuada et voulut nous persuader qu’il était le même que Wratislaw, fils de Withold, et le premier des Podiebrad qui eût porté le nom maternel de Rudolstadt. Il nous raconta son enfance, le souvenir distinct qu’il avait gardé du supplice du comte Withold, supplice dont il attribuait tout l’odieux au jésuite Dithmar (lequel, selon lui, n’était autre que l’abbé, son gouverneur), la haine profonde que, pendant son enfance, il avait éprouvée pour ce Dithmar, pour l’Autriche, pour les impériaux et pour les catholiques. Et puis, ses souvenirs parurent se confondre, et il ajouta mille choses incompréhensibles sur la vie éternelle et perpétuelle, sur la réapparition des hommes sur la terre, se fondant sur cet article de la croyance hussitique, que Jean Huss devait revenir en Bohême cent ans après sa mort, et compléter son œuvre; prédiction qui s’était accomplie, puisque, selon lui, Luther était Jean Huss ressuscité. Enfin ses discours furent un mélange d’hérésie, de superstition, de métaphysique obscure, de délire poétique; et tout cela fut débité avec une telle apparence de conviction, avec des souvenirs si détaillés, si précis, et si intéressants, de ce qu’il prétendait avoir vu, non seulement dans la personne de Wratislaw, mais encore dans celle de Jean Ziska, et de je ne sais combien d’autres morts qu’il soutenait avoir été ses propres apparitions dans la vie du passé, que nous restâmes tous béants à l’écouter, sans qu’aucun de nous eût la force de l’interrompre ou de le contredire. Mon oncle et ma tante, qui souffraient horriblement de cette démence, impie selon eux, voulaient du moins la connaître à fond; car c’était la première fois qu’elle se manifestait ouvertement, et il fallait bien en savoir la source pour tâcher ensuite de la combattre. L’abbé s’efforçait de tourner la chose en plaisanterie, et de nous faire croire que le comte Albert était un esprit fort plaisant et fort malicieux, qui prenait plaisir à nous mystifier par son incroyable érudition.

      – Il a tant lu, nous disait-il, qu’il pourrait nous raconter ainsi l’histoire de tous les siècles, chapitre par chapitre, avec assez de détails et de précision pour faire accroire à des esprits un peu portés au merveilleux, qu’il a véritablement assisté aux scènes qu’il raconte.»

      La chanoinesse, qui, dans sa dévotion ardente, n’est pas très éloignée de la superstition, et qui commençait à croire son neveu sur parole, prit très mal les insinuations de l’abbé, et lui conseilla de garder ses explications badines pour une occasion plus gaie; puis elle fit un grand effort pour amener Albert à rétracter les erreurs dont il avait la tête remplie.

      – Prenez garde, ma tante; s’écria Albert avec impatience, que je ne vous dise qui vous êtes. Jusqu’ici je n’ai pas voulu le savoir; mais quelque chose m’avertit en ce moment que la Saxonne Ulrique est auprès de moi.

      – Eh quoi, mon pauvre enfant, répondit-elle, cette aïeule prudente et dévouée qui sut conserver à ses enfants la vie, et à ses descendants l’indépendance, les biens et les honneurs dont ils jouissent, vous pensez qu’elle revit en moi? Eh bien, Albert, je vous aime tant, que pour vous je ferais plus encore: je sacrifierais ma vie, si je pouvais, à ce prix, calmer votre esprit égaré.

      Albert la regarda quelques instants avec des yeux à la fois sévères et attendris.

      – Non,

Скачать книгу