La comédie de la mort. Theophile Gautier

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La comédie de la mort - Theophile  Gautier

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Ver

      A moi tes bras d’ivoire, à moi ta gorge blanche,

      A moi tes flancs polis avec ta belle hanche

      A l’ondoyant contour;

      A moi tes petits pieds, ta main douce et ta bouche,

      Et ce premier baiser que ta pudeur farouche

      Refusait à l’amour.

      La Trépassée

      C’en est fait! c’en est fait! Il est là! sa morsure

      M’ouvre au flanc une lame et profonde blessure;

      Il me ronge le coeur.

      Quelle torture! O Dieu, quelle angoisse cruelle!

      Mais que faites-vous donc lorsque je vous appelle,

      O ma mère, ô ma soeur?

      Le Ver

      Dans leur âme déjà ta mémoire est fanée,

      Et pourtant sur ta fosse, ô pauvre abandonnée,

      L’oranger est tout frais.

      La tenture funèbre à peine repliée,

      Comme un songe d’hier elles t’ont oubliée,

      Oubliée à jamais.

      La Trépassée

      L’herbe pousse plus vite au coeur que sur la fosse;

      Une pierre, une croix, le terrain qui se hausse,

      Disent qu’un mort est là.

      Mais quelle croix fait voir une tombe dans l’âme!

      Oubli! seconde mort, néant que je réclame,

      Arrivez, me voilà!

      Le Ver

      Console-toi.—La mort donne la vie.—Eclose

      A l’ombre d’une croix l’églantine est plus rose

      Et le gazon plus vert.

      La racine des fleurs plongera sous tes côtes;

      A la place où tu dors les herbes seront hautes;

      Aux mains de Dieu tout sert!

      Un mort qu’ils réveillaient les pria de se taire;

      Un pâle éclair parti non du ciel mais de terre

      Me fit dans leurs tombeaux

      Voir tous les trépassés cadavres ou squelettes,

      Avec leurs os jaunis ou leurs chairs violettes,

      S’en allant par lambeaux;

      Les jeunes et les vieux, peuple du cimetière,

      Pauvres morts oubliés n’entendant sur leur pierre

      Gémir que l’ouragan,

      Et dévorés d’ennui dans leur froide demeure,

      De leurs yeux sans regard cherchant à savoir l’heure

      A l’éternel cadran.

      Puis tout devint obscur, et je repris ma route,

      Pâle d’avoir tant vu, plein d’horreur et de doute,

      L’esprit et le corps las;

      Et me suivant partout, mille cloches fêlées,

      Comme des voix de mort me jetaient par volées

      Les râlements du glas.

III

      Et je rentrai chez moi.—De lugubres pensées

      Tournaient devant mes yeux sur leurs ailes glacées

      Et me rasaient le front.

      Comme on voit sur le soir autour des cathédrales,

      Des essaims de corbeaux dérouler leurs spirales

      Et voltiger en rond.

      Dans ma chambre, où tremblait une jaune lumière,

      Tout prenait une forme horrible et singulière,

      Un aspect effrayant.

      Mon lit était la bière et ma lampe le cierge,

      Mon manteau déployé le drap noir qu’on asperge

      Sous la porte en priant.

      Dans son cadre terni, le pâle Christ d’ivoire

      Cloué les bras en croix sur son étoffe noire,

      Redoublait de pâleur;

      Et comme au Golgotha, dans sa dure agonie,

      Les muscles en relief de sa face jaunie

      Se tordaient de douleur.

      Les tableaux ravivant leurs nuances éteintes

      Aux reflets du foyer prenaient d’étranges teintes,

      Et, d’un air curieux,

      Comme des spectateurs aux loges d’un théâtre,

      Vieux portraits enfumés, pastels aux tons de plâtre,

      Ouvraient tout grands leurs yeux.

      Une tête de mort sur nature moulée

      Se détachait en blanc, grimaçante et pelée,

      Sous un rayon blafard.

      Je la vis s’avancer au bord de la console;

      Ses mâchoires semblaient rechercher leur parole

      Et ses yeux leur regard.

      De ses orbites noirs où manquaient les prunelles,

      Jaillirent tout à coup de fauves étincelles

      Comme d’un oeil vivant.

      Une haleine passa par ses dents déchaussées…

      Les rideaux à plis droits tombaient sur les croisées;

      Ce n’était pas le vent.

      Faible comme ces voix que l’on entend en rêve,

      Triste comme un soupir des vagues sur la grève

      J’entendis une voix.

      Or, comme ce jour-là j’avais vu tant de choses,

      Tant d’effets merveilleux dont j’ignorais les causes,

      J’eus moins peur cette fois.

      Raphael

      Je suis le Raphaël, le Sanzio, le grand maître!

      O frère, dis-le-moi, peux-tu me reconnaître

      Dans ce crâne hideux?

      Car je n’ai rien parmi ces plâtres et ces masques,

      Tous ces crânes luisants, polis comme des casques,

      Qui me distingue d’eux.

      Et pourtant c’est bien moi! Moi, le divin jeune homme,

      Le roi de la beauté, la lumière de Rome,

      Le Raphaël d’Urbin!

      L’enfant aux cheveux bruns qu’on voit aux galeries,

      Mollement accoudé, suivre ses rêveries,

      La tête dans sa main.

      O ma Fornarina! ma blanche bien aimée,

      Toi qui dans un baiser pris mon âme pâmée

      Pour la remettre au ciel;

      Voilà donc ton amant, le beau peintre au nom d’ange,

      Cette tête qui fait une grimace étrange:

      Eh bien, c’est Raphaël!

      Si ton ombre endormie au fond de la

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