L'autre Tartuffe, ou La mère coupable. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
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Diderot comparant les ouvrages de Richardson avec tous ces romans que nous nommons l'Histoire, s'écrie, dans son enthousiasme pour cet auteur juste et profond: Peintre du cœur humain! c'est toi seul qui ne ments jamais! Quel mot sublime! Et moi aussi j'essaye encor d'être peintre du cœur humain: mais ma palette est desséchée par l'âge et les contradictions. La Mère coupable a dû s'en ressentir!
Que si ma faible exécution nuit à l'intérêt de mon plan; le principe que j'ai posé n'en a pas moins toute sa justesse! Un tel essai peut inspirer le dessein d'en offrir de plus fortement concertés. Qu'un homme de feu l'entreprenne, y mêlant, d'un crayon hardi, l'intrigue avec le pathétique! Qu'il broye et fonde savament les vives couleurs de chacun! Qu'il nous peigne à grands traits l'homme vivant en société, son état, ses passions, ses vices, ses vertus, ses fautes et ses malheurs, avec la vérité frappante que l'exagération même, qui fait briller les autres genres, ne permet pas toujours de rendre aussi fidèlement! Touchés, intéressés, instruits, nous ne dirons plus que le Drame est un genre décoloré, né de l'impuissance de produire ou Tragédie, ou Comédie. L'art aura pris un noble essor; il aura fait encore un pas.
O mes Concitoyens, vous à qui j'offre cet essai! s'il vous parait faible ou manqué; critiqués-le, mais sans m'injurier. Lorsque je fis mes autres Pièces, on m'outragea long-temps pour avoir osé mettre au théâtre ce jeune Figaro, que vous avez aimé depuis. J'étais jeune aussi, j'en riais. En vieillissant l'esprit s'attriste; le caractère se rembrunit. J'ai beau faire, je ne ris plus quand un méchant ou un fripon insulte à ma personne, à l'occasion de mes ouvrages: on n'est pas maître de cela.
Critiqués la Pièce: fort bien. Si l'Auteur est trop vieux pour en tirer du fruit, votre leçon peut profiter à d'autres. L'injure ne profite à personne, et même elle n'est pas de bon goût. On peut offrir cette remarque à une Nation renommée par son ancienne politesse, qui la fesait servir de modèle en ce point, comme elle est encore aujourd'hui celui de la haute vaillance.
PERSONNAGES
LE COMTE ALMAVIVA, grand seigneur espagnol, d'une fierté noble, et sans orgueil.
LA COMTESSE ALMAVIVA, très-malheureuse, et d'une angélique piété.
LE CHEVALIER LÉON, leur fils; jeune homme épris de la liberté, comme toutes les âmes ardentes et neuves.
FLORESTINE, pupille et filleule du comte Almaviva; jeune personne d'une grande sensibilité.
M. BÉGEARSS, Irlandais, major d'infanterie espagnole, ancien secrétaire des ambassades du Comte; homme très-profond, et grand machinateur d'intrigues, fomentant le trouble avec art.
FIGARO, valet de chambre, chirurgien et homme de confiance du Comte; homme formé par l'expérience du monde et des évènemens.
SUSANNE, première camariste de la Comtesse; épouse de Figaro; excellente femme, attachée à sa maîtresse, et revenue des illusions du jeune âge.
M. FAL, notaire du Comte; homme exact et très-honnête.
GUILLAUME, valet allemand de M. Bégearss; homme trop simple pour un tel maître.
La Scène est à Paris, dans l'hôtel occupé par la famille du Comte, et se passe à la fin de 1790.
L'AUTRE TARTUFFE, OU LA MÈRE COUPABLE
ACTE PREMIER
QUE Madame s'éveille et sonne; mon triste ouvrage est achevé. (Elle s'assied avec abandon.) A peine il est neuf heures, et je me sens déjà d'une fatigue… Son dernier ordre, en la couchant, m'a gâté ma nuit toute entière… Demain, Susanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets.– Au portier: —Que, de la journée, il n'entre personne pour moi. – Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncé, un seul œillet blanc au milieu… Le voilà. – Pauvre Maîtresse! elle pleurait!.. Pour qui ce mélange d'apprêts?.. Eeeh! si nous étions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fête de son fils Léon… (avec mystère.) et d'un autre homme qui n'est plus! (Elle regarde les fleurs.) Les couleurs du sang et du deuil! (Elle soupire.) Ce cœur blessé ne guérira jamais! – Attachons-le d'un crêpe noir, puisque c'est-là sa triste fantaisie! (Elle attache le bouquet.)
ENTRE donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme!
Peut-on vous parler librement?
Oui, si la porte reste ouverte.
Et pourquoi cette précaution?
C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment à l'autre.
Honoré-Tartuffe – Bégearss?
Et c'est un rendez-vous donné. – Ne t'accoutume donc pas à charger son nom d'épithètes; cela peut se redire et nuire à tes projets.
Il s'appelle Honoré!
Mais non pas Tartuffe.
Morbleu!
Tu as le ton bien soucieux!
Furieux! (Elle se lève.) Est-ce là notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, à prévenir un grand désordre? Serais-tu dupe encore de ce très-méchant homme?
Non; mais je crois qu'il se méfie de moi; il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vérité, qu'il ne nous croye raccommodés.
Feignons toujours d'être brouillés.
Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur?
Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes à Paris, et que M. Almaviva… (Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur…)
C'est beau! et Madame sort sans livrée! nous avons l'air de tout le monde!
Depuis, dis-je, qu'il a perdu, par une querelle du jeu, son libertin de fils aîné, tu sais comment tout a changé pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible!
Tu n'es pas mal bourru non plus!
Comme son autre fils paraît lui devenir odieux!
Que trop!
Comme Madame