L'autre Tartuffe, ou La mère coupable. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
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Читать онлайн книгу L'autre Tartuffe, ou La mère coupable - Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais страница 3
Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences à radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire?
Encor faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avéré pour nous que cet astucieux Irlandais, le fléau de cette famille, après avoir chiffré, comme secrétaire, quelques ambassades auprès du Comte, s'est emparé de leurs secrets à tous? que ce profond machinateur a su les entraîner, de l'indolente Espagne, en ce pays, remué de fond en comble, espérant y mieux profiter de la désunion où ils vivent, pour séparer le mari de la femme, épouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se délâbre?
Enfin, moi! que puis-je à cela?
Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses démarches.
Mais je te rends tout ce qu'il dit.
Oh! ce qu'il dit… n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est-là qu'est le secret de l'âme! Il se trame ici quelque horreur! Il faut qu'il s'en croye assuré; car je lui trouve un air… plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succès! Ne peux-tu être aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoiqu'il demande, ne pas le refuser?..
C'est beaucoup!
Tout est bien, et tout marche au but; si j'en suis promptement instruit.
… Et si j'en instruis ma maîtresse?
Il n'est pas tems encore; ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas: tu nous perdrais, sans les sauver. Suis-le par-tout, comme son ombre… et moi, je l'épie au-dehors…
Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble… Le voilà qui descend… Ferme!.. ayons l'air de quereller bien fort. (Elle pose le bouquet sur la table.)
Moi, je ne le veux pas. Que je t'y prenne une autre fois!..
Certes!.. oui, je te crains beaucoup!
Ah! tu me crains!.. Tiens, insolente!
Des coups à moi… chez ma maîtresse?
EH! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi…
Depuis une heure!
Je sors, je trouve une femme éplorée…
Le malheureux lève la main sur moi!
Ah l'horreur! monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe?
Eh morbleu! Monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe: elle est ma femme; une insolente, qui se mêle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner…
Est-on brutal à cet excès?
Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi!
Vous me manquez, Monsieur; je vais m'en plaindre à votre maître.
Vous manquer! moi? c'est impossible.
(Il sort.)
MON enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement?
Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet… Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer; vous l'avez vu…
Laissons cela. – Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé.
Sont-ce là vos consolations?
Vas! c'est moi qui t'en vengerai! il est bien tems que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Susanne! Pour commencer, apprends un grand secret… Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? (Susanne y va voir.) (Il dit à part) Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fonds que j'ai fait faire à la Comtesse, où sont ces importantes lettres…
Eh bien! ce grand secret?
Sers ton ami; ton sort devient superbe. – J'épouse Florestine; c'est un point arrêté; son père le veut absolument.
Qui, son père?
Et d'où sors-tu donc? Règle certaine, mon enfant; lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un, comme pupille, ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. (D'un ton sérieux.) Bref, je puis l'épouser… si tu me la rends favorable.
Oh! mais Léon en est très amoureux.
Leur fils? (froidement) je l'en détacherai.
Ha!.. Elle aussi, elle est fort éprise!
De lui?..
Oui.
Je l'en guérirai.
Ha ha!.. Madame qui le sait, donne les mains à leur union!
Nous la ferons changer d'avis.
Aussi?.. Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme!
C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée?
S'il ne lui arrive aucun mal?..
Fi donc!