Lettres intimes. Hector Berlioz

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Lettres intimes - Hector Berlioz

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aux répétitions générales de vendredi et de samedi, que je n'avais pas la moindre inquiétude sur l'effet que produirait ma musique sur les auditeurs payants. L'ouverture de Waverley, que vous ne connaissez pas, a ouvert la séance de la manière la plus avantageuse possible, puisqu'elle a obtenu trois salves d'applaudissements. Après quoi est venue notre chère Mélodie pastorale. Elle a été indignement chantée par les solos, et le chœur de la fin ne l'a pas été du tout; les choristes, au lieu de compter leurs pauses, attendaient un signe que le chef d'orchestre ne leur a pas fait, et ils se sont aperçus qu'ils n'étaient pas entrés quand le morceau était sur le point de finir. Ce morceau n'a pas produit le quart de l'effet qu'il renferme.

      La Marche religieuse des mages, que vous ne connaissez pas non plus, a été fort applaudie. Mais, quand est venu le Resurrexit de ma Messe, que vous n'avez jamais entendu depuis que je l'ai retouché et qui était chanté pour la première fois par quatorze voix de femmes et trente hommes, la salle de l'École royale de musique a vu pour la première fois les artistes de l'orchestre quitter leurs instruments aussitôt après le dernier accord et applaudir plus fort que le public. Les coups d'archet retentissaient comme la grêle sur les basses et contre-basses: les femmes, les hommes des chœurs, tout applaudissait; quand une salve était finie, une autre recommençait; c'étaient des cris, des trépignements!..

      Enfin, ne pouvant plus y tenir dans mon coin de l'orchestre, je me suis étendu sur les timbales, et je me suis mis à pleurer.

      Ah! que n'étiez-vous là, cher ami! Vous auriez vu triompher la cause que vous défendiez avec tant de chaleur contre les gens à idées étroites et à petites vues; en vérité, dans le moment de ma plus violente émotion, je pensais à vous et je ne pouvais m'empêcher de gémir de votre absence.

      La seconde partie s'ouvrait par l'ouverture des Francs Juges. Il faut que je vous raconte ce qui était arrivé à la première répétition de ce morceau. A peine l'orchestre a-t-il entendu cet épouvantable solo de trombone et d'ophicléide sur lequel vous avez mis des paroles pour Olmerick, au troisième acte,

      que l'un des violons s'arrête et s'écrie:

      – Ah! ah! l'arc-en-ciel est l'archet de votre violon, les vents jouent de l'orgue, le temps bat la mesure.

      Là-dessus, tout l'orchestre est parti et a salué par ses applaudissements une idée dont il ne connaissait pas même l'étendue; ils ont interrompu l'exécution pour applaudir. Le jour du concert, cette introduction a produit un effet de stupeur et d'épouvante qui est difficile à décrire; je me trouvais à côté du timbalier, qui, me tenant un bras qu'il serrait de toutes ses forces, ne pouvait s'empêcher de s'écrier convulsivement, à divers intervalles:

      – C'est superbe!.. C'est sublime, mon cher!.. C'est effrayant! il y a de quoi en perdre la tête!..

      De mon autre bras, je me tenais une touffe de cheveux que je tirais avec rage; j'aurais voulu pouvoir m'écrier, oubliant que c'était de moi:

      – Que c'est monstrueux, colossal, horrible!

      Enfin, vous connaissez notre Scène héroïque grecque, le vers: Le monde entier… n'a pas pu produire la moitié de l'effet de cet épouvantable passage. A la vérité, il a été fort mal exécuté; Bloc, qui conduisait, s'est trompé de mouvement en commençant: Des sommets de l'Olympe… Et, pour ramener l'orchestre au mouvement véritable, il a causé un désordre momentané dans les violons qui a failli tout gâter. Malgré cela, l'effet est aussi grand et peut-être plus grand que vous ne vous imaginez. Cette marche précipitée des auxiliaires grecs, et cette exclamation: Ils s'avancent! sont d'un dramatique étonnant. Je ne me gêne pas avec vous, comme vous voyez, et je dis franchement ce que je pense de ma musique.

      Un artiste de l'Opéra disait, le soir de ma répétition à un de ses camarades, que cet effet des Francs Juges était la chose la plus extraordinaire qu'il eût entendue de sa vie.

      – Oh! après Beethoven, toutefois? disait l'autre.

      – Après rien, a-t-il répondu; je défie qui que ce soit de trouver une idée plus terrible que celle-là.

      Tout l'Opéra assistait à mon concert; après, c'étaient des embrassades à n'en plus finir. Ceux qui ont été les plus contents sont: Habeneck, Dérivis, Adolphe Nourrit, Dabadie, Prévost, mademoiselle Mori, Alexis Dupont, Schneitzoeffer, Hérold, Rigel, etc. Il n'a rien manqué à mon succès, pas même les critiques de MM. Panseron et Brugnières, qui trouvaient que mon genre est nouveau, mais mauvais, et qu'on a tort d'encourager cette manière d'écrire.

      Ah! mon cher ami, envoyez-moi donc un opéra! Robin Hood!… Que voulez-vous que je fasse si je n'ai pas de poème? Je vous en supplie, achevez quelque chose.

      Adieu, mon cher Ferrand. Je vous envoie des armes pour combattre les détracteurs; Castil Blaze, ne se trouvant pas à Paris, n'a pu assister à mon concert; je l'ai vu depuis; il m'a cependant promis d'en parler. Il ne se presse guère; heureusement je puis m'en passer, et largement.

      J'ai appris hier seulement que l'article du journal le Voleur, qui m'est le plus favorable, est de Despréaux, qui a concouru avec moi à l'Institut; ce suffrage d'un rival m'a beaucoup flatté.

      IV

28 juin 1828.

      O mon ami, que votre lettre s'est fait attendre! Je craignais que la mienne ne fût égarée.

      L'écho a bien répondu…

      Oui, nous nous comprenons pleinement, nous sentons de même; ce n'est pas tout à fait sans charme que nous vivons. Quoique, depuis neuf mois, je traîne une existence empoisonnée, désillusionnée, et que la musique seule me fait supporter, votre amitié est aussi un lien qui m'enchaîne et dont les nœuds se resserrent de jour en jour pendant que les autres se rompent (ne faites pas de conjectures, vous vous tromperiez). Je ferai tous mes efforts pour aller passer quelque temps à la Côte dans un mois et demi; aussitôt que mon départ sera fixé, je vous en avertirai et vous donnerai rendez-vous chez mon père.

      J'attends avec la plus vive impatience le premier et le troisième acte des Francs Juges, et je vous jure sur l'honneur que je vais vous envoyer une copie du Resurrexit en grande partition et une de la Mélodie. Je vais les faire copier le plus tôt possible, et je vous les expédierai dès que je pourrai les avoir.

      L'allocution dont vous me parlez est d'un artiste de votre connaissance et qui justifie le jugement que vous en portez: c'est Turbri. Puisque vous devez voir Duboys, il faut que je vous rapporte la conversation que j'ai eue avant-hier avec Pastou, son ancien maître de musique. Je le rencontre dans la rue Richelieu, et, sans me donner le temps de lui dire bonjour:

      – Ah! je suis aise de vous voir! me dit-il; je suis allé vous entendre. Savez-vous une chose? c'est que vous êtes le Byron de la musique. Votre ouverture des Francs Juges est un Childe Harold, et puis, vous êtes harmoniste!.. Ah! diable! L'autre jour, dans un dîner, on parlait de vous, et un jeune homme a dit qu'il vous connaissait et que vous étiez un bon garçon. «Eh! je me f… bien que ce soit un bon garçon, lui ai-je dit; quand on fait de la musique comme ça, qu'on soit le diable, ça m'est bien égal!» Je ne me doutais pas, quand nous avons applaudi ensemble Beethoven, avec cris et trépignements, qu'un mois plus tard, sur la même banquette, dans la même salle, ce serait vous qui me feriez éprouver de pareilles sensations.

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