Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1. Bastiat Frédéric

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1 - Bastiat Frédéric страница 18

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1 - Bastiat Frédéric

Скачать книгу

aux couvents, ils sont convertis en cafés, en maisons publiques, en théâtres et surtout en casernes, pour une autre espèce de dévorants plus prosaïque que l'autre. Plusieurs ont été démolis pour élargir les rues, faire des places; sur l'emplacement du plus beau de tous, et qui passait pour un chef-d'œuvre d'architecture, on a construit un passage et une halle qui se font tort mutuellement.

      Les religieuses ne sont guère moins à plaindre. Après avoir donné la volée à toutes celles qui ont voulu rentrer dans le monde, on a enfermé les autres dans deux ou trois couvents, et comme on s'est emparé de leurs propriétés, qui représentaient les dots qu'elles apportaient à leur ordre, on est censé leur faire une pension; mais, comme on ne la paye pas, on voit souvent sur la porte des couvents cette simple inscription: Pan para las pobres monjas.

      Je commence à croire, mon cher Félix, que notre M. Custine avait bien mal vu l'Espagne. La haine d'une autre civilisation lui avait fait chercher ici des vertus qui n'y sont pas. Peut-être a-t-il, en sens inverse, commis la même faute que les Espagnols qui ne voient rien à blâmer dans la civilisation anglaise. Il est bien difficile que nos préjugés nous laissent, je ne dis pas bien juger, mais bien voir les faits.

      Je rentre, mon cher Félix, et j'ai appris que demain on proclame la loi des ayuntamientos. Je ne sais pas si je t'ai parlé de cette affaire, en tout cas en voici le résumé.

      Le ministère modéré, qui vient de tomber, avait senti que, pour administrer l'Espagne, il fallait donner au pouvoir central une certaine autorité sur les provinces; ici, de temps immémorial, chaque province, chaque ville, chaque bourgade s'administre elle-même. Tant que le principe monarchique et l'influence du clergé ont compensé cette extrême diffusion de l'autorité, les choses ont marché tant bien que mal; mais aujourd'hui cet état de choses ne peut durer. En Espagne, chaque localité nomme son ayuntamiento (conseil municipal), alcades, régidors, etc. Ces ayuntamientos, outre leurs fonctions municipales, sont chargés du recouvrement de l'impôt et de la levée des troupes. Il résulte de là que, lorsqu'une ville a quelque sujet de mécontentement, fondé ou non, elle se borne à ne pas recouvrer l'impôt ou à refuser le contingent. En outre, il paraît que ces ayuntamientos sont le foyer de grands abus, et qu'ils ne rendent pas à l'État la moitié des contributions qu'ils prélèvent. Le parti modéré a donc voulu saper cette puissance. Une loi a été présentée par le ministère, adoptée par les chambres, et sanctionnée par la reine, qui dispose que la reine choisira les alcades parmi trois candidats nommés par le peuple. Les exaltés ont jeté de hauts cris; de là la révolution de Barcelone et l'intervention du sabre d'Espartero. Mais, chose qui ne se voit qu'ici, la reine, quoique contrainte à changer de ministère, en a nommé un autre qui maintient la loi déjà, votée et sanctionnée. Sans doute que, parvenu au pouvoir par une violation de la constitution, il a cru devoir manifester qu'il la respectait en laissant promulguer une loi qui avait reçu la sanction des trois pouvoirs. C'est donc demain qu'on proclame cette loi: cela se passera-t-il sans trouble? je ne l'espère guère. En outre, comme on attribue à la France et à notre nouvel ambassadeur une mystification aussi peu attendue, après les événements de Barcelone, il est à craindre que la rage des exaltés ne se dirige contre nos compatriotes; aussi j'aurai soin d'écrire à ma tante après-demain, parce que les journaux ne manqueront pas de faire bruit de l'insurrection qui se prépare. Elle ne laisse pas que d'être effrayante, quand on songe qu'il n'y a ici, pour maintenir l'ordre, que quelques soldats dévoués à Espartero, qui doit être mortellement blessé de la manière dont son coup d'État a été déjoué.

      Mais quel sujet de réflexions que cette Espagne qui, pour arriver à la liberté, perd la monarchie et la religion qui lui étaient si chères; et, pour arriver à l'unité, est menacée dans ses franchises locales qui faisaient le fond même de son existence!

      Adieu! ton ami dévoué. Je n'ai pas le temps de relire ce fatras, tire-t'en comme tu pourras.

      P. S. Mon cher Félix, la tranquillité de Madrid n'a pas été un moment troublée. Ce matin, les membres de l'ayuntamiento se sont réunis en séance publique pour promulguer la nouvelle loi qui ruine leur institution. Ils ont fait suivre cette cérémonie d'une énergique protestation, où ils disent qu'ils se feront tous tuer plutôt que d'obéir à la loi nouvelle. On dit aussi qu'ils ont payé quelques hommes pour crier les vivas et les mueras d'usage, mais le peuple ne s'est pas plus ému que ne s'en émouvraient les paysans de Mugron; et l'ayuntamiento n'a réussi qu'à démontrer de plus en plus la nécessité de la loi. Car enfin, ne serait-ce point un bien triste spectacle que de voir une ville troublée et la sûreté des citoyens compromise par ceux-là mêmes qui sont chargés de maintenir l'ordre?

      On m'a assuré que les exaltés n'étaient pas d'accord entre eux; les plus avancés (je ne sais pas pourquoi on a donné du crédit à cette expression en s'accordant à l'adopter) disaient:

      «Il est absurde de faire un mouvement qui n'ait pas de résultat. Un mouvement ne peut être décisif qu'autant que le peuple s'en mêle; or le peuple ne veut pas intervenir pour des idées; il faut donc lui montrer le pillage en perspective.»

      Et malgré cette terrible logique, l'ayuntamiento n'a pas reculé devant la première provocation! Du reste, je te parle là de bruits publics, car, quant à moi, j'étais à la Bibliothèque royale, et je ne me suis aperçu de rien.

Lisbonne, le 24 octobre 1840.

      Mon cher Félix, voilà bien longtemps que je ne t'ai écrit. C'est que nous sommes si éloignés et qu'il faut si longtemps pour avoir une réponse de Mugron, que je ne suis jamais sûr de la recevoir ici. Enfin me voilà à peu près décidé, et sauf circonstances imprévues, à dire adieu à la Péninsule de lundi en huit. Mon intention est d'aller à Londres; je ne puis, selon le conseil que tu me transmets, de la part de ma tante, aller d'abord à Plymouth. Le steamboat va directement à Londres. J'avais d'abord pensé à m'embarquer pour Liverpool. Je satisferais ainsi à l'économie et à mon goût pour la marine, parce que la navigation à voiles est moins chère et plus fertile en émotions que la monotone vapeur. Mais la saison est si avancée que ce serait imprudence, et je courrais le risque de passer un mois en mer.

      Je me suis un peu ennuyé à Lisbonne les premiers jours. Maintenant, à part le désir bien naturel de revenir chez moi, je me plais ici, quoique j'y mène une vie uniforme. Mais ce climat est si doux, si beau, cette nature si riche, et je me sens un bien-être, une plénitude de santé si inaccoutumée, que j'attribue à cela l'absence d'ennui.

      Voici un pays qui, je crois, te conviendrait bien: ni chaud, ni froid, ni brouillards, ni humidité; s'il pleut, ce sont des torrents pendant un jour ou deux, puis le ciel reprend sa sérénité, et l'atmosphère sa douce tiédeur. Partout on peut disposer d'un peu d'eau; ce sont des bosquets de myrtes, d'orangers, des treilles touffues, des héliotropes qui rampent le long des murs, comme chez nous les convolvulus. Maintenant je comprends la vie des Maures. Malheureusement les hommes ici ne valent pas la nature, ils ne veulent pas se donner la peine par laquelle les Arabes se donnaient tant de jouissances. Peut-être penses-tu que ces fervents catholiques dédaignent la fraîcheur et les parfums de l'oranger, et qu'ils se renferment dans les sévères plaisirs de la pensée et de la contemplation. Hélas! je reviendrai bien désabusé de la bonne opinion de Custine; il a cru voir ce qu'il désirait voir.

      Ce sera pour moi une étude fort curieuse que celle de l'Angleterre succédant à celle de la Péninsule. La comparaison serait plus intéressante encore, si le catholicisme était aussi vivace ici qu'on se le représente. Mais enfin je verrai un peuple dont la religion réside dans l'intelligence, après en avoir vu un pour qui elle est toute dans les sens. Ici les pompes du culte: des flambeaux, des parfums, des habits magnifiques, des statues; mais la démoralisation la plus complète. Là, au contraire, des liens de famille, l'homme et la femme chacun aux devoirs de son sexe, le travail ennobli par un but patriotique, la fidélité aux traditions des ancêtres, l'étude constante de la morale biblique et évangélique; mais un culte simple,

Скачать книгу