Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3 - Bastiat Frédéric

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bien plus simple et bien plus raisonnable de porter les aliments vers nous, que de nous porter vers les aliments.» (Applaudissements.) Car pourquoi expatrier le peuple? quel est le but de cette mesure? C'est littéralement pour le nourrir; il n'y a pas d'autre raison de le jeter sur des plages étrangères. – Mais recherchons un moment la possibilité pratique de ce système d'émigration. Nous sommes dans une période de détresse accablante; dans quelle mesure l'émigration pourrait-elle y remédier? Et d'abord, comment transporter un million et demi de pauvres à travers les mers? Consultez l'histoire; fait-elle mention qu'aucun gouvernement, quelque puissant qu'il fût, ait jamais fait traverser l'Océan à une armée de cinquante mille hommes? Et puis, que ferez-vous d'un million et demi de pauvres, dans le Canada, par exemple? Même en Angleterre, malgré l'accumulation des capitaux et des ressources de dix siècles, vous trouvez que les maintenir est déjà une charge assez lourde. Qui donc les maintiendra au Canada? Ceux qui s'adressent à sir Robert Peel imaginent-ils qu'il soit possible de jeter sur une terre déserte une population succombant sous le poids d'une détresse invétérée, sans apporter sur cette terre le capital par lequel cette population sera employée? Si vous transportez dans de vastes solitudes une population nombreuse, elle doit comprendre tous les éléments de société et de vie qui la composent dans la mère patrie. Vous voyez bien qu'il vous faudra transporter en même temps des fermiers, des armateurs, des fabricants et même des banquiers… (Applaudissements prolongés qui ne nous permettent pas de saisir la fin de la phrase.) N'est-il pas déplorable de voir, dans cette métropole, proposer de tels remèdes à de telles souffrances? Je crois apercevoir devant moi quelques-uns des signataires de la pétition, et je m'en réjouis; ce sera peut-être l'occasion d'imprimer une autre direction à l'esprit de la cité de Londres. (Écoutez!) Ces messieurs ont été circonvenus. Ainsi que je l'ai dit souvent, tout se fait moutonnièrement dans cette cité. Il semble que ses habitants ont renoncé à penser par eux-mêmes. Si j'avais à faire prévaloir quelque résolution, comment pensez-vous que je m'y prendrais? Je m'adresserais à M. tel, puis à M. tel, et, quand j'aurais une demi-douzaine de signatures, les autres viendraient à la file. Personne ne lirait le mémoire, mais chacun le signerait. (Rires et cris: Oui, cela se ferait ainsi.) – Je dois quelques mots d'avis à ceux de mes amis, parmi les membres de la Ligue, qui ont attaché leur nom à cette pétition. Qu'ils se donnent la peine de remonter à sa source, qu'ils recherchent quels en sont les principaux colporteurs. Ne sont-ce point des armateurs habitués à passer avec le gouvernement des contrats de transport? des propriétaires de terres dans le Canada, ou des actionnaires dans les spéculations onéreuses de la Nouvelle-Zélande ou de la Nouvelle-Galles du Sud? Oh! laissons-les suivre leurs plans tant qu'ils ne font des dupes que parmi les monopoleurs. Mais je tiens à voir les membres de la Ligue passer pour des hommes trop avisés pour tomber dans ces piéges grossiers. Oh! comme le gouvernement et les monopoleurs se riraient de nous, si nous leur apportions ce moyen de diversion, ce prétexte pour ajourner l'affranchissement du commerce! Sans doute, sir Robert Peel, qui, vous le savez, est un admirable tacticien, ne se ferait pas personnellement le patron de la pétition, mais avec quel empressement ne saisirait-il pas cette excellente occasion de venir dire: «Je suis forcé de reconnaître que la question est grave, entourée de grandes difficultés, et qu'elle exige, de la part du gouvernement de Sa Majesté, une prudente réserve (rire général); quelles que soient mes vues personnelles sur ce sujet, on ne peut s'empêcher d'admettre qu'une proposition de cette nature, émanée du corps respectable des banquiers et négociants de cette vaste métropole, mérite une considération lentement mûrie, laquelle ne lui manquera pas.» (L'orateur excite les applaudissements et les rires de toute l'assemblée par la manière heureuse dont il contrefait la pose, les gestes et jusqu'à l'organe du très-honorable baronnet à la tête du gouvernement.) Qui sait alors si la Chambre ne se formera pas en comité, et ne nommera pas un commissaire pour rechercher lentement jusqu'à quel point l'exportation des hommes est praticable et peut suppléer à l'importation du blé? Quelle joie pour les monopoleurs! Je suis bien sûr que la moitié des pétitionnaires ont donné leurs signatures sans en connaître la portée.

      Il y a d'ailleurs à ce système d'émigration systématique par les soins du gouvernement un obstacle auquel ses promoteurs n'ont probablement pas songé; c'est que le peuple ne consentira pas à se laisser transporter. Je puis dire du moins que les habitants de Stockport17, quoique arrivés au dernier degré de misère, seraient unanimes pour répondre: «Nous savons trop bien ce qu'est la tendre clémence du gouvernement chez nous pour nous mettre à sa merci de l'autre côté de l'Atlantique.» (Applaudissements.) Je n'ai aucune objection à faire contre l'émigration volontaire. Dans un pays comme celui-ci, il y a toujours des hommes que leur goût ou les circonstances poussent vers d'autres régions. Mais l'émigration, lorsqu'elle provient de la nécessité de fuir la famine légale, c'est de la déportation et pas autre chose. (Bruyantes acclamations.) Si l'on venait vous raconter qu'il existe une île dans l'océan Pacifique, à quelques milles du continent, dont les habitants sont devenus les esclaves d'une caste qui s'empara du sol il y a quelque sept siècles; si l'on vous disait que cette caste fait des lois pour empêcher le peuple de manger autre chose que ce qu'il plaît au conquérant de lui vendre; si l'on ajoutait que ce peuple est devenu si nombreux, que le territoire ne suffit plus à sa subsistance, et qu'il est réduit à se nourrir de racines; enfin, si l'on vous apprenait que ce peuple est doué d'une grande habileté, qu'il a inventé les machines les plus ingénieuses, et que néanmoins ses maîtres l'ont dépouillé du droit d'échanger les produits de son travail contre des aliments; si ces détails vous étaient rapportés par quelque voyageur philanthrope, par quelque missionnaire récemment arrivé des mers du Sud, et s'il concluait enfin en vous annonçant que la caste dominante de cette île s'apprête à en transporter l'habile et industrieuse population vers de lointaines et stériles solitudes, que diriez-vous, habitants de Londres? que dirait-on à Exeter-Hall18, dans cette enceinte dont l'usage a été refusé à la ligue? (Honte! honte!) Oh! Exeter-Hall retentirait des cris d'indignation de ces philanthropes dont la charité ne s'exerce qu'aux antipodes! On verrait la foule des dames élégantes tremper leurs mouchoirs brodés de larmes de pitié, et le clergé appellerait le peuple à souscrire pour que des flottes anglaises aillent arracher ces malheureux aux mains de leurs oppresseurs! (Applaudissements.) Mais cette hypothèse, c'est la réalité pour nos compatriotes! (Nouveaux applaudissements.) Rendez au peuple de ce pays le droit d'échanger le fruit de ses labeurs contre du blé étranger, et il n'y a pas en Angleterre un homme, une femme ou un enfant qui ne puisse pourvoir à sa subsistance et jouir d'autant de bonheur, sur sa terre natale, qu'il en pourrait trouver dans tout autre pays sur toute la surface de la terre.

      Mais puisqu'il s'agit de plans, j'en ai aussi un à proposer aux monopoleurs-gouvernants. – Qu'ils laissent les manufacturiers travailler en entrepôt, qu'ils mettent la population du Lancastre en entrepôt; – non pour qu'elle échappe aux contributions dues à la reine, – non, nous ne voulons pas soustraire un farthing au revenu public, – mais qu'ils tirent un cordon autour du Lancastre, afin que le duc de Buckingham soit bien assuré qu'aucun grain de cet infâme blé étranger ne pénètre dans le Cheshire et le Buckinghamshire. Là, les fabricants travailleront à l'entrepôt, payant exactement leur subside à la reine, mais affranchis des exactions des monopoleurs oligarques. Si l'on nous permet de suivre ce plan, nous ne serons pas embarrassés pour obtenir des subsistances abondantes pour la population du Lancastre, quelque dense qu'elle soit; et bien loin de redouter de la voir s'augmenter, nous la verrons avec joie croître de génération en génération. Le plan que je propose, au lieu de dissoudre le lien social, donnera de l'emploi et du bien-être à tous; il montrera combien réagirait sur le commerce intérieur un peu d'encouragement donné au commerce extérieur par l'admission du blé étranger. Cela ne vaut-il pas mieux que d'expatrier les hommes?

      Mais la question a encore des aspects moraux qu'il est de notre devoir d'examiner. L'homme, a-t-on dit, est de tous les êtres créés le plus difficile à déplacer du lieu de sa naissance. L'arracher à son pays est une tâche plus lourde que celle de déraciner un chêne. (Applaudissements.) Oh! les signataires de la pétition se sont-ils jamais trouvés au dock de Sainte-Catherine au moment où un des navires de l'émigration s'apprêtait à entreprendre

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<p>17</p>

M. Cobden représente au parlement la ville de Stockport.

<p>18</p>

C'est la salle où se tiennent les assemblées de l'association pour la propagation des missions étrangères.