Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3. Bastiat Frédéric
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Il y a d'ailleurs à ce système d'émigration systématique par les soins du gouvernement un obstacle auquel ses promoteurs n'ont probablement pas songé; c'est que le peuple ne consentira pas à se laisser transporter. Je puis dire du moins que les habitants de Stockport17, quoique arrivés au dernier degré de misère, seraient unanimes pour répondre: «Nous savons trop bien ce qu'est la tendre clémence du gouvernement chez nous pour nous mettre à sa merci de l'autre côté de l'Atlantique.» (Applaudissements.) Je n'ai aucune objection à faire contre l'émigration volontaire. Dans un pays comme celui-ci, il y a toujours des hommes que leur goût ou les circonstances poussent vers d'autres régions. Mais l'émigration, lorsqu'elle provient de la nécessité de fuir la famine légale, c'est de la déportation et pas autre chose. (Bruyantes acclamations.) Si l'on venait vous raconter qu'il existe une île dans l'océan Pacifique, à quelques milles du continent, dont les habitants sont devenus les esclaves d'une caste qui s'empara du sol il y a quelque sept siècles; si l'on vous disait que cette caste fait des lois pour empêcher le peuple de manger autre chose que ce qu'il plaît au conquérant de lui vendre; si l'on ajoutait que ce peuple est devenu si nombreux, que le territoire ne suffit plus à sa subsistance, et qu'il est réduit à se nourrir de racines; enfin, si l'on vous apprenait que ce peuple est doué d'une grande habileté, qu'il a inventé les machines les plus ingénieuses, et que néanmoins ses maîtres l'ont dépouillé du droit d'échanger les produits de son travail contre des aliments; si ces détails vous étaient rapportés par quelque voyageur philanthrope, par quelque missionnaire récemment arrivé des mers du Sud, et s'il concluait enfin en vous annonçant que la caste dominante de cette île s'apprête à en transporter l'habile et industrieuse population vers de lointaines et stériles solitudes, que diriez-vous, habitants de Londres? que dirait-on à Exeter-Hall18, dans cette enceinte dont l'usage a été refusé à la ligue? (Honte! honte!) Oh! Exeter-Hall retentirait des cris d'indignation de ces philanthropes dont la charité ne s'exerce qu'aux antipodes! On verrait la foule des dames élégantes tremper leurs mouchoirs brodés de larmes de pitié, et le clergé appellerait le peuple à souscrire pour que des flottes anglaises aillent arracher ces malheureux aux mains de leurs oppresseurs! (Applaudissements.) Mais cette hypothèse, c'est la réalité pour nos compatriotes! (Nouveaux applaudissements.) Rendez au peuple de ce pays le droit d'échanger le fruit de ses labeurs contre du blé étranger, et il n'y a pas en Angleterre un homme, une femme ou un enfant qui ne puisse pourvoir à sa subsistance et jouir d'autant de bonheur, sur sa terre natale, qu'il en pourrait trouver dans tout autre pays sur toute la surface de la terre.
Mais puisqu'il s'agit de plans, j'en ai aussi un à proposer aux monopoleurs-gouvernants. – Qu'ils laissent les manufacturiers travailler en entrepôt, qu'ils mettent la population du Lancastre en entrepôt; – non pour qu'elle échappe aux contributions dues à la reine, – non, nous ne voulons pas soustraire un farthing au revenu public, – mais qu'ils tirent un cordon autour du Lancastre, afin que le duc de Buckingham soit bien assuré qu'aucun grain de cet infâme blé étranger ne pénètre dans le Cheshire et le Buckinghamshire. Là, les fabricants travailleront à l'entrepôt, payant exactement leur subside à la reine, mais affranchis des exactions des monopoleurs oligarques. Si l'on nous permet de suivre ce plan, nous ne serons pas embarrassés pour obtenir des subsistances abondantes pour la population du Lancastre, quelque dense qu'elle soit; et bien loin de redouter de la voir s'augmenter, nous la verrons avec joie croître de génération en génération. Le plan que je propose, au lieu de dissoudre le lien social, donnera de l'emploi et du bien-être à tous; il montrera combien réagirait sur le commerce intérieur un peu d'encouragement donné au commerce extérieur par l'admission du blé étranger. Cela ne vaut-il pas mieux que d'expatrier les hommes?
Mais la question a encore des aspects moraux qu'il est de notre devoir d'examiner. L'homme, a-t-on dit, est de tous les êtres créés le plus difficile à déplacer du lieu de sa naissance. L'arracher à son pays est une tâche plus lourde que celle de déraciner un chêne. (Applaudissements.) Oh! les signataires de la pétition se sont-ils jamais trouvés au dock de Sainte-Catherine au moment où un des navires de l'émigration s'apprêtait à entreprendre
17
M. Cobden représente au parlement la ville de Stockport.
18
C'est la salle où se tiennent les assemblées de l'association pour la propagation des missions étrangères.