Le comte de Moret. Dumas Alexandre
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Читать онлайн книгу Le comte de Moret - Dumas Alexandre страница 11
Mais, malgré ses dédains, Mélite a tout mon cœur;
Elle a sur mes esprits une entière puissance;
Si j'ose murmurer, ce n'est qu'en son absence,
Et je ménage en vain, dans un éloignement,
Un peu de liberté pour mon ressentiment;
D'un seul de ses regards, l'adorable contrainte
Me rend tous mes liens, en resserre l'étreinte,
Et par un si doux charme aveugle ma raison,
Que je cherche le mal et fuis la guérison.
Son œil agit sur moi d'une vertu si forte,
Qu'il ranime soudain mon espérance morte,
Combat les déplaisirs de mon cœur irrité
Et soutient mon amour contre sa cruauté.
Mais ce flatteur espoir qu'il rejette en mon âme
N'est qu'un doux imposteur qu'autorise ma flamme
Et qui, sans m'assurer ce qu'il semble m'offrir,
Me fait plaire en ma peine et m'obstine à souffrir.
Le jour qu'elle naquit, Vénus, bien qu'immortelle,
Pensa mourir de honte en la voyant si belle;
Les Grâces, à l'envi, descendirent des cieux
Pour se donner l'honneur d'accompagner ses jeux,
Et l'amour, qui ne put entrer dans son corsage,
Voulut obstinément loger sur son visage.
Deux ou trois fois, des murmures flatteurs avaient salué des vers qui prouvaient que le pur Phœbus, si fort à la mode dans la société parisienne, avait fait invasion dans la société de province, et que les beaux esprits n'étaient pas tous hôtel Rambouillet et place Royale, mais à ce dernier vers:
Voulut absolument loger sur son visage,
les applaudissements éclatèrent, Mme de Rambouillet ayant donné la première le signal. Quelques hommes seulement, au nombre desquels était le plus jeune des frères Montausier, qui ne pouvait souffrir cette poésie de concetti et d'antithèses, protestèrent par leur silence.
Mais le poëte ne les remarqua même point, et, enivré de ces applaudissements que lui donnait la fleur des beaux esprits parisiens, il s'inclina en disant:
– Vient ensuite le sonnet à Mélite, dois-je le dire?
– Oui! oui! oui! s'écrièrent à la fois Mme la princesse, Mme de Rambouillet, la belle Julie, Mlle Paulet, et tous ceux qui modelaient leur goût sur celui de la maîtresse de la maison.
Corneille continua:
Après l'œil de Mélite, il n'est rien d'admirable,
Il n'est rien de solide après ma loyauté.
Mon feu, comme son teint, se rend incomparable
Et je suis en amour ce qu'elle est en beauté!
Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté,
Mon cœur à tous les traits demeure invulnérable
Et, quoiqu'elle ait au sien la même cruauté,
Ma foi pour ses rigueurs n'en est pas moins durable.
C'est donc avec raison que mon extrême ardeur
Trouve chez cette belle une extrême froideur
Et que sans être aimé, je brûle pour Mélite.
Car de ce que les dieux, nous envoyant au jour,
Donnèrent pour nous deux d'amour et de mérite:
Elle a tout le mérite, et moi j'ai tout l'amour.
Les sonnets avaient sur toutes les poésies le privilége de soulever l'enthousiasme, et quoique Boileau n'eût pas encore dit, puisqu'il ne devait naître que huit ans plus tard celui-là, trouvé sans défaut, surtout par les femmes, fut applaudi à outrance, et Mlle Scudéri elle-même daigna rapprocher les mains.
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme,
Rotrou surtout jouissait du triomphe de son ami, et, cœur loyal, plein de tendresse et de dévouement, était au comble de la joie.
– En vérité, monsieur de Rotrou, dit madame la princesse, vous aviez raison, et votre ami est un jeune homme qu'il faut soutenir.
– Si c'est votre avis, madame, est-ce que par Son Altesse monsieur le prince, vous ne pourriez pas obtenir pour lui quelque petite place? dit Rotrou, en baissant la voix, de manière à n'être entendu que de Mme de Condé seule; car il est sans fortune, et, vous le voyez, il serait fâcheux que, faute de quelques écus, un si beau génie avortât.
– Ah! bien oui, monsieur le prince! c'est bien à lui qu'il faut aller parler poésie. L'autre jour, il me trouve dînant avec M. Chapelain; il m'appelle pour me dire je ne sais quoi, puis, quand il a fini, il revient et me demande:
«A propos, quel est ce petit noireau qui dîne avec vous?
« – C'est M. Chapelain, lui répondis-je, croyant avoir tout dit.
«Qui est-ce cela? M. Chapelain!
«Celui qui a fait la Pucelle.
« – La Pucelle! ah! c'est donc un statuaire!..
– Mais j'en parlerai à Mme de Combalet qui en parlera au cardinal. Consentirait-il à travailler aux tragédies de Son Eminence?
– Il consentira à tout, pourvu qu'il puisse rester à Paris. Jugez, s'il a fait de pareils vers dans une étude de procureur, ce qu'il ferait dans un monde comme celui dont vous êtes la reine, et la marquise le premier ministre!
– C'est bon! faites jouer Mélite; qu'elle réussisse, et nous arrangerons tout cela!
Et elle tendit sa belle main princière à Rotrou, qui la prit dans la sienne et la regarda comme si elle lui appartenait.
– Eh bien! à quoi pensez-vous? demanda Mme la princesse.
– Je regarde s'il y a sur cette main place pour deux bouches de poëtes. Hélas! non, elle est trop petite!
– Par bonheur, dit Mme de Condé, le Seigneur m'en a donné deux, une pour vous, l'autre pour qui vous voudrez.
– Corneille! Corneille! cria Rotrou, viens ici. Mme la princesse, en faveur du sonnet à Mélite, permet que tu lui baises la main.
Corneille demeura stupéfait, il eut un éblouissement et faillit tomber. Dans une même soirée et le jour de son début dans le monde, baiser la main de Mme la princesse et être applaudi par Mme de Rambouillet, jamais ses rêves les plus ambitieux n'avaient prétendu à une seule de ces deux faveurs.
Pour qui était la gloire? était-ce pour Corneille et pour Rotrou, qui baisaient les deux mains de la femme du premier prince du sang; était-ce pour Mme de Condé, dont les deux mains étaient baisées à la fois par les deux futurs auteurs de Venceslas et du Cid.
La postérité consultée a dit que l'honneur était pour Mme la princesse.
Pendant ce temps, maître Claude, la baguette à la main, comme le Polonius d'Hamlet,