Le comte de Moret. Dumas Alexandre

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Le comte de Moret - Dumas Alexandre

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recommandations, la marquise avait relevé sa tête et dit en souriant:

      – Très nobles et très chers seigneurs, très précieuses et très bonnes amies, quand je ne vous eusse invités à passer la soirée chez moi aujourd'hui que pour vous faire entendre les vers de M. Corneille, vous n'auriez déjà point à vous plaindre; mais je vous ai convoqués dans une intention plus matérielle, dans un but moins éthéré. Je vous ai souvent parlé de la supériorité des sorbets et des glaces d'Italie sur les glaces et les sorbets de France; or, j'ai tant et si bien cherché, que j'ai trouvé un glacier arrivant tout droit de Naples, et que je puis enfin vous en faire goûter. Je ne dirai donc pas: Qui m'aime me suive, mais: Qui aime les glaces me suive. Monsieur de Corneille, donnez moi le bras.

      – Voici mon bras, monsieur de Rotrou, dit Mme la princesse, qui avait résolu de suivre en tout, ce soir-là, l'exemple de Mme la marquise.

      Corneille, tout tremblant, et avec la gaucherie d'un homme de génie qui arrive de sa province, tendit son bras à la marquise, en même temps que Rotrou, galamment et comme un cavalier accompli, présentait en l'arrondissant le sien à Mme de Condé. Le comte de Salles, le cadet des deux frères Montausier et le marquis de Montausier s'offrirent, l'un à être le cavalier de la belle Julie, l'autre, celui de Mlle Paulet. Gambaull s'accommoda de Mlle de Scudéri, et les derniers s'arrangèrent comme ils l'entendirent.

      Mme de Combalet, qui, avec son habit de carmélite, dont la sévérité n'était mitigée que par un frais bouquet de violettes et de boutons de roses qu'elle portait à sa guimpe, ne pouvait donner le bras à aucun homme, avait pris son rang immédiatement après Mme la princesse, appuyée à celui de Mme de Saint-Etienne, la seconde fille de la marquise, qui, elle aussi, était en religion. Cependant, il y avait cette différence entre elle et Mme de Combalet, que chaque jour Mme de Saint-Etienne faisait un pas de plus pour y entrer et Mme de Combalet un pas de plus pour en sortir.

      Jusque-là, il n'y avait rien qui eût surpris la société dans l'invitation de Mme de Rambouillet; mais l'étonnement fut grand lorsque l'on vit la marquise, qui avait, en sa qualité de guide, passé devant la princesse, se diriger vers un endroit de la muraille où l'on savait qu'il n'existait ni porte ni issue.

      Arrivée là, elle frappa la muraille de son éventail.

      Aussitôt la muraille s'ouvrit comme par enchantement, et l'on se trouva sur le seuil d'une magnifique chambre parée d'un ameublement de velours bleu, rehaussé d'or et d'argent; les tentures étaient de velours pareil à celui des meubles, avec des ornements semblables. Au milieu de cette chambre s'élevait une espèce d'étagère à quatre faces, chargée de fleurs, de fruits, de gâteaux et de glaces, dont deux charmants petits génies, qui n'étaient autres que les deux sœurs cadettes de Julie d'Angennes et de Mme de Saint-Etienne, faisaient les honneurs.

      Le cri d'admiration poussé par la société fut unanime. On savait qu'il n'y avait derrière la muraille que le jardin des Quinze-Vingts, et l'on voyait tout à coup apparaître une chambre si bien meublée, si bien tapissée, avec un plafond si bien peint, que l'on pouvait croire qu'il n'y avait qu'une fée qui en pût être l'architecte, et un magicien le décorateur.

      Pendant que chacun s'extasiait sur le goût et la richesse de ce cabinet qui, sous le nom de la chambre bleue, devait devenir si célèbre par la suite, Chapelain avait pris crayon et papier, et, dans un coin du salon, il esquissait les trois premières stances de cette fameuse ode à Zirphée, qui fit presque autant de bruit que la Pucelle, et qui eut l'honneur de lui survivre.

      On avait vu l'acte de Chapelain, et l'on avait deviné son intention; aussi se fit-il un profond silence, lorsque celui qui passait pour le premier poète de son temps se leva, et l'œil inspiré, la main étendue, la jambe en avant, dit d'une voix sonore les vers suivants:

      Urgande sut bien autrefois,

      En faveur d'Amadis et de sa noble bande,

      Par ses charmes fixer les lois

      Du temps à qui les cieux veulent que tout se rende.

      J'ai dû faire à vos yeux ce qu'on a fait jadis,

      Conserver Arthénice avec l'art dont Urgande

      A su conserver Amadis.

      Par la puissance de cet art,

      J'ai construit cette loge, aux maux inaccessible,

      Du temps et du sort à l'écart,

      Franche des changements de l'être corruptible,

      Pour qui, seule en roulant, les cieux ne roulent pas,

      Bref où ne montrent pas leur visage terrible,

      La vieillesse, ni le trépas.

      Cette incomparable beauté,

      Que cent maux attaquaient et pressaient de se rendre,

      Par cet édifice enchanté

      Trompera leurs efforts et s'en pourra défendre;

      Elle y brille en son trône et son éclat divin

      De là sur les mortels va désormais s'épandre

      Sans nuage, éclipse, ni fin.

      Trois salves d'applaudissements et des cris d'enthousiasme accueillaient cette improvisation, lorsqu'au milieu des hourrahs et des bravos, un homme se précipita dans la chambre que l'on venait d'inaugurer, pâle et couvert de sang, en s'écriant:

      – Un chirurgien! un chirurgien! Le marquis Pisani vient de se battre avec Souscarrières et il est dangereusement blessé.

      Et en effet, en même temps, on voyait au fond du salon le marquis Pisani que deux valets soutenaient entre leurs bras, sans connaissance et pâle comme un mort.

      – Mon fils! Mon frère! Le marquis! furent les trois cris qui retentirent; et sans s'occuper davantage de la chambre bleue, si tristement inaugurée, chacun se précipita du côté du blessé.

      Au moment même où le marquis Pisani était rapporté évanoui à l'hôtel Rambouillet, un événement inattendu, qui allait singulièrement compliquer la situation, jetait dans l'étonnement les commensaux de l'hôtel de la Barbe Peinte.

      Etienne Latil, que l'on croyait mort, et que l'on avait couché sur une table en attendant que l'on cousît son linceul et qu'on eût assemblé les planches de sa bière, fit un soupir, ouvrit les yeux, et murmura d'une voix faible, mais parfaitement intelligible, ces deux mots:

      – J'ai soif!

      CHAPITRE VI.

      MARINA ET JAQUELINO

      Quelques minutes avant que Latil ne manifestât son existence par les deux mots qu'en général prononce tout blessé revenant à la vie, et qui d'ailleurs faisaient en première ligne partie du répertoire de notre spadassin, un jeune homme s'était présenté à l'hôtel de la Barbe Peinte, et s'était informé si la chambre n. 13, située au premier étage, n'était point occupée par une paysanne des environs de Paris, nommée Marina. Elle était, avait-il ajouté, reconnaissable à ses beaux cheveux et à ses beaux yeux noirs, que faisait valoir le cacolet ponceau qui devait leur servir de cadre, et à sa mise tout entière qui rappelait celle de ces âpres montagnes de Navarre que Henri IV avait, tête et pieds nus, tant de fois escaladées tout enfant.

      Mme Soleil, avec un charmant sourire, laissa au jeune homme tout le temps de s'informer, car sans doute lui plaisait-il de regarder dans tous ses détails cette tête juvénile; après quoi sa réponse, accompagnée d'un coup d'œil d'intelligence, fut que la jeune paysanne, désignée sous le nom de Marina, était dans la chambre indiquée et attendait depuis une demi-heure à peu près.

      Et,

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