Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 2. Gustave Flaubert

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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 2 - Gustave Flaubert

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ailes de phénicoptères, emmanchées à des branches de corail noir, traînaient parmi les coussins de pourpre et les étrilles d'écaille, les coffrets de cèdre, les spatules d'ivoire. A des cornes d'antilope étaient enfilés des bagues, des bracelets; et des vases d'argile rafraîchissaient au vent, dans la fente du mur, sur un treillage de roseaux. Plusieurs fois il se heurta les pieds, car le sol avait des niveaux de hauteur inégale qui faisaient dans la chambre comme une succession d'appartements. Au fond, des balustres d'argent entouraient un tapis semé de fleurs peintes. Enfin il arriva contre le lit suspendu, près d'un escabeau d'ébène servant à y monter.

      La lumière s'arrêtait au bord; – et l'ombre, telle qu'un grand rideau, ne découvrait qu'un angle du matelas rouge avec le bout d'un petit pied nu posant sur la cheville. Mâtho tira la lampe tout doucement.

      Elle dormait la joue dans une main et l'autre bras déplié. Les anneaux de sa chevelure se répandaient autour d'elle si abondamment qu'elle paraissait couchée sur des plumes noires, et sa large tunique blanche se courbait en molles draperies, jusqu'à ses pieds, suivant les inflexions de sa taille. On apercevait un peu ses yeux sous ses paupières entre-closes. Les courtines, perpendiculairement tendues, l'enveloppaient d'une atmosphère bleuâtre, et le mouvement de sa respiration, en se communiquant aux cordes, semblait la balancer dans l'air. Un long moustique bourdonnait.

      Mâtho, immobile, tenait au bout de son bras la galère d'argent; la moustiquaire s'enflamma d'un seul coup, disparut, et Salammbô se réveilla.

      Le feu s'était de soi-même éteint. Elle ne parlait pas. La lampe faisait osciller sur les lambris de grandes moires lumineuses.

      « – Qu'est-ce donc?» dit-elle.

      Il répondit:

      « – C'est le voile de la Déesse!

      « – Le voile de la Déesse!» s'écria Salammbô; et, appuyée sur les deux poings, elle se penchait en dehors toute frémissante. Il reprit:

      « – J'ai été le chercher pour toi dans les profondeurs du sanctuaire! Regarde!» Le zaïmph étincelait tout couvert de rayons.

      « – T'en souviens-tu? – disait Mâtho. – La nuit, tu apparaissais dans mes songes; mais je ne devinais pas l'ordre muet de tes yeux!» Elle avança un pied sur l'escabeau d'ébène. «Si j'avais compris, je serais accouru; j'aurais abandonné l'armée; je ne serais pas sorti de Carthage. Pour t'obéir, je descendrais par la caverne d'Hadrumète dans le royaume des Ombres!.. Pardonne! c'étaient comme des montagnes qui pesaient sur mes jours; et pourtant quelque chose m'entraînait! Je tâchais de venir jusqu'à toi! Sans les Dieux, est-ce que jamais j'aurais osé!.. Partons! il faut me suivre! ou, si tu ne veux pas, je vais rester. Que m'importe!.. Noie mon âme dans le souffle de ton haleine! Que mes lèvres s'écrasent à baiser tes mains!

      « – Laisse-moi voir! – disait-elle. – Plus près! plus près!»

      L'aube se levait, et une couleur vineuse emplissait les feuilles de talc dans les murs. Salammbô s'appuyait en défaillant contre les coussins du lit.

      « – Je t'aime!» criait Mâtho.

      Elle balbutia: – «Donne-le!» Et ils se rapprochaient.

      Elle s'avançait toujours, vêtue de sa simarre blanche qui traînait, avec ses grands yeux attachés sur le voile. Mâtho la contemplait, ébloui par les splendeurs de sa tête, et tendant vers elle le zaïmph, il allait l'envelopper dans une étreinte. Elle écartait les bras. Tout à coup elle s'arrêta, et ils restèrent béants à se regarder.

      Sans comprendre ce qu'il sollicitait, une horreur la saisit. Ses sourcils minces remontèrent, ses lèvres s'ouvraient; elle tremblait. Enfin, elle frappa dans une des patères d'airain qui pendaient au coin du matelas rouge, en criant:

      « – Au secours! au secours! Arrière, sacrilège! infâme! maudit! A moi, Taanach, Kroûm, Ewa, Micipsa, Schaoûl!»

      Et la figure de Spendius effarée, apparaissant dans la muraille entre les buires d'argile, jeta ces mots:

      « – Fuis donc! ils accourent!»

      Un grand tumulte monta en ébranlant les escaliers, et un flot de monde, des femmes, des valets, des esclaves, s'élancèrent dans la chambre avec des épieux, des casse-tête, des coutelas, des poignards. Ils furent comme paralysés d'indignation en apercevant un homme; les servantes poussaient le hurlement des funérailles, et les eunuques pâlissaient sous leur peau noire.

      Mâtho se tenait derrière les balustres. Avec le zaïmph qui l'enveloppait, il semblait un dieu sidéral tout environné du firmament. Les esclaves s'allaient jeter sur lui. Elle les arrêta.

      « – N'y touchez pas! C'est le manteau de la Déesse!»

      Elle s'était reculée dans un angle; mais elle fit un pas vers lui, et allongeant son bras nu:

      « – Malédiction sur toi qui as dérobé Tanit! Haine, vengeance, massacre et douleur! Que Gurzil, dieu des batailles, te déchire! que Mastiman, dieu des morts, t'étouffe! et que l'autre, – celui qu'il ne faut pas nommer – te brûle!»

      Mâtho poussa un cri, comme à la blessure d'une épée. Elle répéta plusieurs fois: – «Va-t'en! va-t'en!»

      La foule des serviteurs s'écarta, et Mâtho, baissant la tête, passa lentement au milieu d'eux; à la porte il s'arrêta, car la frange du zaïmph s'était accrochée à une des étoiles d'or qui pavaient les dalles. Il le tira brusquement d'un coup d'épaule et descendit les escaliers.

      Spendius, bondissant de terrasse en terrasse et sautant par-dessus les haies, les rigoles, s'était échappé des jardins. Il arriva au pied du phare. Le mur en cet endroit se trouvait abandonné, tant la falaise était inaccessible. Il s'avança jusqu'au bord, se coucha sur le dos, et, les pieds en avant, se laissa glisser tout le long jusqu'en bas; puis il atteignit à la nage le cap des Tombeaux, fit un grand détour par la lagune salée, et le soir rentra au camp des Barbares.

      Le soleil s'était levé; et comme un lion qui s'éloigne, Mâtho descendait les chemins, en jetant autour de lui des yeux terribles.

      Une rumeur indécise arrivait à ses oreilles. Elle était partie du palais, et elle recommençait au loin, du côté de l'Acropole. Les uns disaient qu'on avait pris le trésor de la République dans le temple de Moloch; d'autres parlaient d'un prêtre assassiné. On s'imaginait ailleurs que les Barbares étaient entrés dans la ville.

      Mâtho, qui ne savait comment sortir des enceintes, marchait droit devant lui; on l'aperçut; une clameur s'éleva. Tous avaient compris; ce fut une consternation, puis une immense colère.

      Du fond des Mappales, des hauteurs de l'Acropole, des catacombes, des bords du lac, la multitude accourut. Les patriciens sortaient de leurs palais, les vendeurs de leurs boutiques; les femmes abandonnaient leurs enfants; on saisit des épées, des haches, des bâtons; mais l'obstacle qui avait empêché Salammbô les arrêta. Comment reprendre le voile? Sa vue seule était un crime; il était de la nature des Dieux et son contact faisait mourir.

      Sur le péristyle des temples, les prêtres désespérés se tordaient les bras. Les gardes de la Légion galopaient au hasard; on montait sur les maisons, sur les terrasses, sur l'épaule des colosses et dans la mâture des navires. Il s'avançait cependant, et à chacun de ses pas la rage augmentait, mais la terreur aussi. Les rues se vidaient à son approche, et ce torrent d'hommes qui fuyaient rejaillissait des deux côtés jusqu'au sommet des muraille. Il ne distinguait partout que des yeux grands ouverts comme pour le dévorer, des dents qui claquaient,

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