Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 2. Gustave Flaubert

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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 2 - Gustave Flaubert

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d'innombrables ouvertures perçaient sa voûte; en levant la tête on pouvait voir les étoiles. Tout autour de la muraille, dans des corbeilles de roseau, s'amoncelaient des barbes et des chevelures, prémices des adolescences; et, au milieu de l'appartement circulaire, le corps d'une femme sortait d'une gaine couverte de mamelles. Grasse, barbue et les paupières baissées, elle avait l'air de sourire, en croisant ses mains sur le bas de son gros ventre, – poli par les baisers de la foule.

      Puis ils se retrouvèrent à l'air libre, dans un corridor transversal, où un autel de proportions exiguës s'appuyait contre une porte d'ivoire. On n'allait point au delà; les prêtres seuls pouvaient l'ouvrir, car un temple n'était pas un lieu de réunion pour la multitude, mais la demeure particulière de la divinité.

      « – L'entreprise est impossible, disait Mâtho. Tu n'y avais pas songé! Retournons!» Spendius examinait les murs.

      Il voulait le voile, non qu'il eût confiance en sa vertu (Spendius ne croyait qu'à l'Oracle), mais persuadé que les Carthaginois, s'en voyant privés, tomberaient dans un grand abattement. Pour trouver quelque issue, ils firent le tour par derrière.

      On apercevait, sous des bosquets de térébinthe, des édicules de forme différente. Çà et là un phallus de pierre se dressait, et de grands cerfs erraient tranquillement, poussant de leurs pieds fourchus des pommes de pin tombées.

      Ils revinrent sur leurs pas entre deux longues galeries qui s'avançaient parallèlement. De petites cellules s'ouvraient au bord. Des tambourins et des cymbales étaient accrochés à leurs colonnes de cèdre. Des femmes dormaient en dehors des cellules, étendues sur des nattes. Leurs corps, tout gras d'onguents, exhalaient une odeur d'épices et de cassolettes éteintes; elles étaient si couvertes de tatouage, de colliers, d'anneaux, de vermillon et d'antimoine, qu'on les eût prises, sans le mouvement de leur poitrine, pour des idoles ainsi couchées par terre. Des lotus entouraient une fontaine, où nageaient des poissons pareils à ceux de Salammbô; puis au fond, contre la muraille du temple, s'étalait une vigne dont les sarments étaient de verre et les grappes d'émeraude; les rayons des pierres précieuses faisaient des jeux de lumière, entre les colonnes peintes, sur les visages endormis.

      Mâtho suffoquait dans la chaude atmosphère que rabattaient sur lui les cloisons de cèdre. Tous ces symboles de la fécondation, ces parfums, ces rayonnements, ces haleines l'accablaient. A travers les éblouissements mystiques, il songeait à Salammbô. Elle se confondait avec la Déesse elle-même; et son amour s'en dégageait plus fort, comme les grands lotus qui s'épanouissaient sur la profondeur des eaux.

      Spendius calculait quelle somme d'argent il aurait autrefois gagnée à vendre ces femmes; et, d'un coup d'œil rapide, en passant, il pesait les colliers d'or.

      Le temple était, de ce côté comme de l'autre, impénétrable. Ils revinrent derrière la première chambre. Pendant que Spendius cherchait, furetait, Mâtho, prosterné devant la porte, implorait Tanit. Il la suppliait de ne point permettre ce sacrilège. Il tâchait de l'adoucir avec des mots caressants, comme on fait à une personne irritée.

      Spendius remarqua au-dessus de la porte une ouverture étroite.

      « – Lève-toi!» dit-il à Mâtho, et il le fit s'adosser contre le mur, tout debout. Alors, posant un pied dans ses mains, puis un autre sur sa tête, il parvint jusqu'à la hauteur du soupirail, s'y engagea et disparut. Puis Mâtho sentit tomber sur son épaule une corde à nœuds, celle que Spendius avait enroulée autour de son corps avant de s'engager dans les citernes; et, s'y appuyant des deux mains, bientôt il se trouva près de lui dans une grande salle pleine d'ombre.

      De pareils attentats étaient une chose extraordinaire. L'insuffisance des moyens pour les prévenir témoignait assez qu'on les jugeait impossibles. La terreur, plus que les murs, défendait les sanctuaires. Mâtho, à chaque pas, s'attendait à mourir.

      Une lueur vacillait au fond des ténèbres; ils s'en rapprochèrent. C'était une lampe qui brûlait dans une coquille sur le piédestal d'une statue, coiffée du bonnet des Cabires. Des disques en diamant parsemaient sa longue robe bleue; et des chaînes, qui s'enfonçaient sous les dalles, l'attachaient au sol par les talons. Mâtho retint un cri. Il balbutiait: – «Ah! la voilà! la voilà!» Spendius prit la lampe, afin de s'éclairer.

      « – Quel impie tu es!» murmura Mâtho. Il le suivait pourtant.

      L'appartement où ils entrèrent n'avait rien qu'une peinture noire représentant une autre femme. Ses jambes montaient jusqu'au haut de la muraille. Son corps occupait le plafond tout entier. De son nombril pendait à un fil un œuf énorme, et elle retombait sur l'autre mur, la tête en bas, jusqu'au niveau des dalles, où atteignaient ses doigts pointus.

      Pour passer plus loin, ils écartèrent une tapisserie; mais le vent souffla, et la lumière s'éteignit.

      Alors ils errèrent, perdus dans les complications de l'architecture. Tout à coup, ils sentirent sous leurs pieds quelque chose d'une douceur étrange. Des étincelles pétillaient, jaillissaient; ils marchaient dans du feu. Spendius tâta le sol et reconnut qu'il était soigneusement tapissé avec des peaux de lynx; puis il leur sembla qu'une grosse corde mouillée, froide et visqueuse glissait entre leurs jambes. Des fissures, taillées dans la muraille, laissaient tomber de minces rayons blancs. Ils s'avançaient à ces lueurs incertaines. Enfin ils distinguèrent un grand serpent noir. Il s'élança vite et disparut.

      « – Fuyons! – s'écria Mâtho. – C'est elle! je la sens; elle vient.

      « – Eh non! – répondit Spendius, – le temple est vide.»

      Une lumière éblouissante leur fit baisser les yeux. Puis ils aperçurent tout à l'entour une infinité de bêtes, efflanquées, haletantes, hérissant leurs griffes, et confondues les unes par-dessus les autres dans un désordre mystérieux qui épouvantait. Des serpents avaient des pieds, des taureaux avaient des ailes, des poissons à têtes d'homme dévoraient des fruits, des fleurs s'épanouissaient dans la mâchoire des crocodiles, et des éléphants, la trompe levée, passaient en plein azur, orgueilleusement, comme des aigles. Un effort terrible distendait leurs membres incomplets ou multipliés. Ils avaient l'air, en tirant la langue, de vouloir faire sortir leur âme; et toutes les formes se trouvaient là, comme si le réceptacle des germes, crevant dans une éclosion soudaine, se fût vidé sur les murs de la salle.

      Douze globes de cristal bleu la bordaient circulairement, supportés par des monstres qui ressemblaient à des tigres. Leurs prunelles saillissaient comme les yeux des escargots, et courbant leurs reins trapus, ils se tournaient vers le fond, où resplendissait, sur un char d'ivoire, la Rabbet suprême, l'Omniféconde, la dernière inventée.

      Des écailles, des plumes, des fleurs et des oiseaux lui montaient jusqu'au ventre. Pour pendants d'oreilles elle avait des cymbales d'argent qui lui battaient sur les joues. Ses grands yeux fixes vous regardaient; une pierre lumineuse, enchâssée à son front dans un symbole obscène, éclairait toute la salle, en se reflétant au-dessus de la porte, sur des miroirs de cuivre rouge.

      Mâtho fit un pas; une dalle fléchit sous ses talons, et voilà que les sphères se mirent à tourner, les monstres à rugir; une musique s'éleva, mélodieuse et ronflante comme l'harmonie des planètes; l'âme tumultueuse de Tanit ruisselait épandue. Elle allait se lever, grande comme la salle, avec les bras ouverts. Tout à coup les monstres fermèrent la gueule; les globes de cristal ne tournaient plus.

      Puis une modulation lugubre, pendant quelque temps, se traîna dans l'air et s'éteignit enfin.

      « – Le voile?» dit Spendius.

      Nulle part on ne l'apercevait. Où donc se trouvait-il? Comment le découvrir? Et si les prêtres l'avaient

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