La dégringolade. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La dégringolade - Emile Gaboriau страница 51
«La demie de onze heures sonnait, lorsque le général Delorge et le comte de Combelaine quittèrent précipitamment le salon.
«Si leur sortie ne fit pas scandale, si même elle ne fut remarquée que de quelques rares invités, c'est que depuis un instant une jeune fille anglaise, d'une rare beauté et d'un talent plus rare encore, venait de céder aux instances de ses admirateurs et de se mettre au piano.
«Cependant, plusieurs officiers s'élançaient sur les traces des deux adversaires, quand ils furent arrêtés par le vicomte de Maumussy.
«Trois de ces officiers ont été entendus au début de l'enquête, et la précision et l'accord de leurs dépositions fixent absolument les faits.
«M. de Maumussy était parfaitement calme et maître de soi.
« – Ne vous dérangez pas, messieurs, dit-il, ce n'est qu'une misère… Ce diable de Delorge s'emporte pour un rien comme une soupe au lait… Je vais arranger cela.
«Nonobstant, un ami du général, M. Fabio Farussi, dont le témoignage est décisif, insista pour descendre.
« – Prenez garde, lui dit M. de Maumussy, vous savez qu'une querelle est d'autant plus difficile à arranger qu'elle a plus de témoins…
«Mais M. Fabio Farussi s'entêta si fort, que M. de Maumussy céda, et ils descendirent ensemble…
«Cependant, cette discussion courtoise avait pris un peu de temps, et M. de Combelaine et le général Delorge étaient sortis depuis près d'un quart d'heure, lorsqu'ils s'élancèrent à leur poursuite.
« – Où sont-ils? demandèrent-ils à un des huissiers de service dans le grand vestibule.
« – Là, leur répondit cet homme, en leur montrant le jardin.
«Ils se hâtèrent de sortir, mais ils n'avaient pas descendu les marches du perron qu'ils virent accourir M. de Combelaine, pâle, défait, tenant à la main son épée nue.
« – C'est horrible! leur dit-il, horrible! et pour une misère!..
« – Quoi?..
« – Delorge!.. je crois que je l'ai tué. Il s'est jeté sur mon épée, et il est tombé sans pousser un cri…
« – Où?..
« – Derrière la charmille… là, tenez, où vous voyez de la lumière.
«Et, jetant son épée, M. de Combelaine s'enfuit comme un fou.
« – Jamais, dit M. Fabio Farussi dans sa déposition, jamais je n'ai vu un homme plus désespéré.
«Malheureusement, ce désespoir n'avait que trop de raison d'être.
«Lorsque MM. de Maumussy et Fabio Farussi arrivèrent près du général, il venait de rendre le derni er soupir…»
Stoïque autant que le misérable à qui la plus effroyable torture n'arrache pas un cri, Mme Delorge écoutait.
– Je ne récuse aucun de ces détails, monsieur, prononça-t-elle d'une voix étranglée, mais en est-il un seul, je vous le demande, qui prouve que mon mari n'a pas été traîtreusement assassiné?..
Mais c'était tout ce que M. d'Avranchel pouvait supporter de contradiction.
– Assez, madame, interrompit-il, écoutez la suite du rapport, et vous verrez que la justice a devancé et mis à néant toutes les objections.
Et reprenant son cahier:
«Que s'était-il passé, continua-t-il, entre le moment où les deux adversaires avaient quitté le salon ensemble, et celui où l'on retrouvait l'un d'eux étendu mort sur le sable du jardin?
«Voilà ce que le magistrat instructeur avait mission de rechercher.
«C'est pourquoi, avant d'interroger M. de Combelaine, il importait de rechercher des témoins.
«Le premier est un sieur Buc, un des huissiers du palais de l'Élysée, qui était de service sur le palier de l'escalier lorsque les deux adversaires descendirent.
«Ce qui se passait l'étonna trop pour qu'il l'oubliât.
«Le général descendait le premier, et presque à chaque marche, il se retournait pour provoquer M. de Combelaine par les injures les plus violentes.
« – Injures si grossières, dit le sieur Buc dans sa déposition, que moi, je sauterais à la gorge de quiconque me les adresserait.
«Deux autres serviteurs du palais les ont vus passer, et, sans entendre ce qu'ils disaient, ont remarqué leur agitation. Le général allait toujours le premier.
«Dans le grand vestibule, enfin, tout près de la porte du jardin, ils croisèrent un employé supérieur du ministère de l'intérieur, M. de Coutras.
«Frappé de l'étrangeté de leurs allures, il leur adressa la parole, mais ils ne purent l'entendre.
«M. de Combelaine répétait ce qu'il avait déjà dit dans le salon:
« – C'est insensé!.. Attendons demain…
«Sur ces mots, ils sortirent, laissant entr'ouverte la porte du jardin.
«Fort ému de ce qui arrivait, M. de Coutras s'avança sur le perron, et il entendit la voix de M. de Combelaine qui appelait un palefrenier et qui lui commandait de décrocher une lanterne d'écurie et de la lui apporter.
«Quelqu'un savait donc là vérité!.. Ce palefrenier signalé par la déposition de M. de Coutras avait assisté à la mort du général Delorge…
«La justice le fit rechercher et ne tarda pas à le découvrir…»
D'un bond, Mme Delorge s'était dressée.
– Quoi! s'écria-t-elle, vous l'avez retrouvé… vous l'avez interrogé, l'homme qui tenait la lanterne?
Le juge s'inclina.
– Je l'ai interrogé, dit-il… et pensant que ce serait un adoucissement à votre douleur de l'entendre, je l'ai mandé; il est là…
Et s'adressant à son greffier:
– Urbain, commanda-t-il, allez chercher le témoin.
Mme Delorge eût vu un fantôme surgir à la voix de M. Barban d'Avranchel, qu'elle n'eût pas été frappée d'une stupeur plus grande.
– Ainsi, monsieur, commença-t-elle d'une voix troublée, la justice a retrouvé ce malheureux homme que sa femme croit mort, et dont elle porte le deuil, ce pauvre Laurent Cornevin…
– Il ne s'agit pas ici de Cornevin, madame.
– Grand Dieu!.. monsieur, mais c'est lui…
– C'est lui que vous désignez dans votre plainte, comme ayant assisté aux derniers moments du général; c'est vrai. Seulement