Le Vicaire de Wakefield. Oliver Goldsmith
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Comme mon fils aîné avait reçu une éducation savante, je pris le parti de l’envoyer à la ville, où ses capacités pourraient contribuer à notre bien-être et au sien. La séparation des amis et des familles est peut-être une des plus poignantes circonstances qui accompagnent la pauvreté. Le jour arriva bientôt où nous dûmes nous disperser pour la première fois. Mon fils, après avoir pris congé de sa mère et des autres qui mêlaient leurs larmes à leurs baisers, vint me demander ma bénédiction. Je la lui donnai du fond du cœur; c’était, avec cinq guinées, tout le patrimoine que j’eusse maintenant à lui octroyer. – «Vous allez à Londres à pied, mon garçon, m’écriai-je; c’est la manière dont Hooker, votre grand ancêtre, a fait le voyage avant vous. Recevez de moi le même cheval qui lui fut donné par le bon évêque Jewel, ce bâton; et prenez aussi ce livre, il vous fortifiera dans la route: ces deux lignes, qu’il contient, valent des millions: J’ai été jeune et aujourd’hui je suis vieux, mais je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni sa progéniture mendiant son pain. Que ceci soit votre consolation pendant votre voyage. Va, mon garçon; quelle que soit ta fortune, fais que je te voie une fois chaque année; aie toujours du cœur, et adieu!» – Comme il avait de l’intégrité et de l’honneur, j’étais sans appréhensions en le jetant nu dans l’arène de la vie, car je savais qu’il y jouerait un rôle honnête, vainqueur ou vaincu.
Son départ ne fit que préparer la voie au nôtre, qui eut lieu peu de jours après. L’éloignement d’un pays où nous avions joui de tant d’heures de tranquillité ne se fit pas sans des larmes, que la force d’âme elle-même avait peine à réprimer. Eu outre, un voyage de soixante-dix milles pour une famille qui, jusque-là, n’en avait jamais fait plus de dix hors de sa maison, nous remplissait d’appréhension; et les cris des pauvres, qui nous suivirent jusqu’à quelque distance, contribuaient à l’augmenter. La première journée de voyage nous mena sans accident à trente milles de notre future retraite, et nous nous arrêtâmes pour la nuit à une obscure auberge, dans un village près de la route. Lorsqu’on nous eut montré une chambre, je manifestai le désir, suivant mon habitude, que l’hôte nous accordât sa compagnie; ce à quoi il consentit, car ce qu’il boirait devait grossir la note le lendemain matin. Quoi qu’il en soit, il connaissait tout le monde dans le pays où je me rendais, particulièrement le squire2 Thornhill, qui devait être mon seigneur, et qui demeurait à quelques milles de ma résidence. Il représenta ce gentilhomme comme une personne qui ne se souciait guère de connaître du monde que ses plaisirs et qui se faisait particulièrement remarquer par son penchant vers le beau sexe. Il disait qu’aucune vertu n’était capable de résister à ses artifices et à ses assiduités, et qu’il n’y avait guère de fille de fermier à dix milles à la ronde qui ne l’eût vu heureux et infidèle. Bien que ces détails me causassent quelque peine, ils eurent un effet très différent sur mes filles, dont les traits semblaient briller de l’attente d’un prochain triomphe. Ma femme n’était pas moins satisfaite, ni moins confiante dans leurs charmes et leur vertu. Pendant que nous nous laissions aller à ces pensées, l’hôtesse entra dans la chambre pour informer son mari que le monsieur étranger qui était depuis deux jours dans la maison manquait d’argent et ne pouvait leur payer son compte. – «Manque d’argent! reprit l’hôte. Ce doit être impossible, car, pas plus tard qu’hier, il a donné trois guinées à notre bedeau pour lui faire ménager un vieux soldat estropié qui devait être fouetté par la ville comme voleur de chiens.» – Mais l’hôtesse persistant dans son dire, l’hôte se préparait à quitter la salle en jurant qu’il se ferait donner satisfaction d’une manière ou d’une autre, lorsque je le priai de me présenter à un étranger qu’il me dépeignait comme si charitable.
Il se rendit à mon désir et fit entrer un gentleman paraissant âgé d’environ trente ans et vêtu d’habits jadis galonnés. Il était bien fait de sa personne, et son visage était marqué des plis de la méditation. Il avait quelque chose de bref et de sec dans l’abord, et il semblait ne point comprendre les cérémonies, ou les mépriser. Dès que l’hôte eut quitté la salle, je ne pus m’empêcher d’exprimer à cet étranger mon chagrin de voir un gentleman dans un tel embarras, et je lui offris ma bourse pour parer à la nécessité présente. «Je la prends de tout mon cœur, monsieur, répliqua-t-il, et je suis bien aise qu’une récente étourderie, en me faisant donner ce que j’avais d’argent sur moi, me montre qu’il y a encore des hommes tels que vous. J’ai cependant à demander auparavant d’être informé du nom et de la résidence de mon bienfaiteur, afin de le rembourser aussitôt que possible.» Je le satisfis pleinement sur ce point, lui apprenant, non seulement mon nom et mes récentes infortunes, mais le lieu où j’allais m’établir à nouveau. «Cela tombe encore plus heureusement que je ne l’espérais, s’écria-t-il; car je fais moi-même la même route, et il y a deux jours que je suis retenu ici par la crue des eaux, qui se trouveront guéables demain, je l’espère.» Je protestai du plaisir que j’aurais dans sa compagnie, et ma femme et mes filles unissant leurs instances, il se laissa persuader de rester à souper. La conversation de l’étranger, à la fois agréable et instructive, m’inspirait le désir de la prolonger; mais il était grand temps de se retirer et de prendre des forces pour la fatigue du jour suivant.
Le lendemain matin, nous partîmes tous ensemble; ma famille était à cheval, et M. Burchell, notre nouveau compagnon, marchait sur la banquette, le long de la route, déclarant, avec un sourire, que, comme nous étions mal montés, il était trop généreux pour essayer de nous laisser derrière. Les eaux n’étant pas encore basses, nous fûmes obligés de louer un guide, qui trottait devant; M. Burchell et moi, nous fermions la marche. Nous allégions la fatigue de la route par des discussions philosophiques, qu’il semblait entendre parfaitement. Mais ce qui me surprenait le plus, c’était que, bien qu’il m’eût emprunté de l’argent, il défendait ses opinions avec autant d’acharnement que s’il eût été mon protecteur. De temps en temps aussi il m’apprenait à qui appartenaient les différentes résidences qui se présentaient à notre vue à mesure que nous avancions. – «Celle-là, s’écria-t-il en désignant une maison fort magnifique qui se dressait à quelque distance, appartient à M. Thornhill; ce jeune gentilhomme jouit d’une fortune considérable, mais qui dépend entièrement du bon plaisir de son oncle, sir William Thornhill, gentleman qui, se contentant de peu pour lui-même, permet à son neveu de jouir du reste et demeure presque toujours à Londres. – Quoi! m’écriai-je, est-ce que mon jeune seigneur serait le neveu d’un homme dont les vertus, la générosité et les bizarreries sont si universellement connues? J’ai entendu représenter sir William Thornhill comme une des personnes les plus généreuses, mais aussi les plus fantasques du royaume; ce serait un homme d’une bienfaisance accomplie. – Un peu exagérée même, peut-être, répliqua M. Burchell; du moins il a porté la bienfaisance au delà des bornes lorsqu’il était jeune; car ses passions étaient fortes alors, et comme elles étaient toutes du côté de la vertu, elles l’ont conduit à de romanesques excès. De bonne heure il aspira aux talents du militaire et du savant: il ne tarda pas à être distingué dans l’armée, et il acquit quelque réputation parmi les hommes instruits. L’adulation suit toujours les ambitieux, car seuls ils
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