Le Vicaire de Wakefield. Oliver Goldsmith

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Le Vicaire de Wakefield - Oliver Goldsmith

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que le plus léger contact cause de la douleur: ce que certaines personnes out ainsi souffert physiquement, ce gentilhomme le ressentait dans son esprit. La plus légère infortune, réelle ou feinte, le touchait au vif, et son âme était travaillée par une sensibilité maladive pour les misères des autres. Ainsi disposé à soulager, on peut facilement deviner qu’il trouva quantité de gens disposés à solliciter. Sa profusion finit par altérer sa fortune, mais non son bon naturel; on voyait, au contraire, celui-ci augmenter à mesure que l’autre paraissait décroître; il devenait imprévoyant en devenant pauvre; et, bien qu’il parlât comme un homme de sens, ses actions étaient celles d’un fou. Cependant, toujours assiégé d’importunités et incapable désormais de satisfaire à toutes les demandes qui lui étaient faites, au lieu d’argent il donna des promesses. C’était tout ce qu’il avait à accorder, et il n’avait pas assez d’énergie pour causer à personne le chagrin d’un refus. Par là, il attira autour de lui une foule de clients, auxquels il était sûr de manquer de parole et que pourtant il désirait soulager. Ils s’attachèrent à lui pendant un temps, puis le laissèrent avec des reproches et un mépris mérités. Mais à proportion qu’il devenait méprisable vis-à-vis des autres, il devenait avili vis-à-vis de lui-même. Son esprit s’était reposé sur leurs adulations et, cet appui enlevé, il ne savait point trouver de plaisir dans les applaudissements de son propre cœur, qu’il n’avait jamais appris à respecter.

      «Le monde commença alors à prendre un autre aspect: la flatterie de ses amis dégénéra en simple approbation. L’approbation prit bientôt la forme plus familière de conseils, et les conseils, une fois rejetés, amenèrent les reproches. Aussi vit-il alors que ces amis, que les bienfaits avaient rassemblés autour de lui, étaient peu estimables; il vit alors qu’il faut toujours qu’un homme donne son propre cœur pour gagner celui d’un autre. Je vis alors que… que… Je ne sais plus ce que j’allais dire. Bref, monsieur, il résolut de se respecter lui-même et forma un plan pour rétablir sa fortune écroulée. Dans ce but, et toujours avec ses façons bizarres, il parcourut l’Europe à pied, et maintenant, quoiqu’il ait à peine atteint l’âge de trente ans, ses biens sont plus abondants que jamais. Ses libéralités, il est vrai, sont plus raisonnables et plus modérées à présent que jadis; mais il conserve encore le caractère d’un original, et c’est dans les vertus excentriques qu’il trouve le plus de plaisir.»

      Mon attention était si absorbée par le récit de M. Burchell qu’à peine regardais-je devant moi pendant qu’il allait, lorsque les cris de ma famille me jetèrent dans l’alarme. Je retournai la tête et j’aperçus ma plus jeune fille an milieu d’un cours d’eau rapide, renversée de son cheval et luttant contre le torrent. Elle avait disparu deux fois, et je ne pouvais me précipiter à temps pour lui porter secours. Mes sensations mêmes étaient trop violentes pour me permettre d’essayer de la sauver. Elle périssait certainement, si mon compagnon, apercevant son danger, n’avait immédiatement plongé à son secours et ne l’avait, avec quelque difficulté, portée sur l’autre rive. En prenant le courant un peu plus haut, le reste de la famille passa en sûreté, et nous eûmes alors la possibilité de joindre l’expression de notre reconnaissance à la sienne. Sa gratitude peut plus facilement s’imaginer que se décrire: elle remerciait son sauveur par ses regards plutôt que par ses paroles, et elle continuait de s’appuyer sur son bras, comme si elle eût encore voulu recevoir assistance. Ma femme, de son côté, manifesta à M. Burchell l’espoir d’avoir un jour le plaisir de lui rendre ses bontés chez elle. Cependant, après nous être reposés à l’auberge la plus proche et avoir dîné ensemble, M. Burchell, qui allait dans une autre partie du pays, prit congé, et nous poursuivîmes notre voyage. Pendant qu’il s’éloignait, ma femme déclara qu’elle l’aimait extrêmement, protestant que s’il avait une naissance et une fortune qui lui donnassent le droit de s’allier à une famille comme la nôtre, elle ne connaissait personne capable de fixer plus promptement son choix. Je ne pus que sourire de l’entendre parler sur ce ton superbe; mais ces illusions innocentes qui tendent à nous rendre plus heureux ne m’ont jamais beaucoup déplu.

      CHAPITRE IV

Preuve que même la plus humble fortune peut donner le bonheur, lequel dépend, non des circonstances, mais du caractère

      LE lieu de notre retraite n’avait pour voisinage qu’un petit nombre de fermiers, qui tous cultivaient leurs propres terres et étaient également étrangers à l’opulence et à la pauvreté. Comme ils avaient presque toutes les commodités de la vie chez eux, ils allaient rarement dans les villes ou les cités chercher le superflu. Loin de la société polie, ils gardaient encore la simplicité primitive des mœurs; et, sobres par habitude, à peine savaient-ils que la tempérance est une vertu. Ils travaillaient gaiement les jours ouvriers, mais ils observaient les fêtes comme des intervalles de délassement et de plaisir. Ils chantaient l’hymne populaire à Noël, envoyaient des lacs d’amour le matin de la Saint-Valentin, mangeaient des crêpes au carnaval, montraient leur esprit le 1er avril et cassaient religieusement des noix la veille de la Saint-Michel. Ayant appris notre approche, la population tout entière sortit à la rencontre de son ministre, revêtue de ses plus beaux habits et précédée d’une flûte et d’un tambourin. On avait aussi préparé pour notre réception un festin auquel nous nous assîmes gaiement; et, dans la conversation, le rire suppléa à ce qui manquait en esprit.

      Notre petite habitation était située au pied d’une colline en pente douce, abritée par un beau taillis derrière et par une rivière bavarde devant; d’un côté une prairie, de l’autre une pelouse. Ma ferme consistait en vingt ares environ d’excellentes terres, pour lesquels j’avais donné cent livres de pot-de-vin à mon prédécesseur. Rien ne pouvait surpasser la propreté de mon petit enclos; les ormes et les haies vives avaient un aspect de beauté indescriptible. Ma maison ne se composait que d’un étage et était couverte en chaume, ce qui lui donnait un air de calme bien-être; les murs à l’intérieur étaient gentiment blanchis à la chaux, et mes filles entreprirent de les orner de tableaux de leur composition. La même pièce nous servait de salon et de cuisine, il est vrai; mais cela ne la rendait que plus chaude. D’ailleurs, comme elle était tenue avec la plus extrême propreté, – les plats, les assiettes et les cuivres bien écurés et disposés en rangées brillantes sur les étagères, – l’œil était agréablement récréé et n’éprouvait pas le besoin de meubles plus riches. Il y avait trois autres pièces, une pour ma femme et pour moi, une pour nos deux filles qui donnait dans la nôtre, et la troisième, avec deux lits, pour le reste des enfants.

      La petite république à laquelle je donnais des lois était réglée de la façon suivante: au lever du soleil, nous nous assemblions tous dans notre salle commune, où le feu avait été allumé d’avance par la servante. Après nous être salués les uns les autres avec les formes convenables, car j’ai toujours pensé qu’il était bien de maintenir certains signes matériels de bonne éducation, sans lesquels la liberté détruit infailliblement l’amitié, – nous nous inclinions tous avec reconnaissance devant cet être qui nous donnait encore un jour. Ce devoir accompli, mon fils et moi nous allions nous livrer à nos travaux habituels au dehors, tandis que ma femme et mes filles s’occupaient du déjeuner, qui était toujours prêt à heure fixe. J’accordais une demi-heure pour ce repas et une heure pour le dîner; ce temps se passait en gaietés innocentes entre ma femme et mes filles, et en argumentations philosophiques entre mon fils et moi.

      Comme nous nous levions avec le soleil, nous ne poursuivions jamais notre labeur après qu’il était couché; mais nous revenions à la maison, où la famille nous attendait avec des visages souriants, et où un foyer brillant et un bon feu étaient préparés pour nous recevoir. Et nous ne manquions pas de convives: quelquefois le fermier Flamborough, notre loquace voisin, et souvent le joueur de flûte aveugle, nous rendaient visite et goûtaient notre vin de groseille, pour la fabrication duquel nous n’avions perdu ni notre recette ni notre réputation. Ces braves gens avaient plusieurs moyens de faire apprécier leur compagnie; pendant que l’un jouait, l’autre chantait quelque touchante ballade, «le Dernier Bonsoir de Johnny Armstrong», ou «la Cruauté

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