Quelques créatures de ce temps. Edmond de Goncourt

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Quelques créatures de ce temps - Edmond de Goncourt

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les ombres. Le sol, les murs, les accessoires du chenil, dans un certain brut pittoresque, viennent à l'œil dignes presque des bassets de Decamps.

      Puis, il s'abandonna à rêver. Au réalisme de sa première œuvre succèdent les pensées tournées vers les créations imaginatives, les aspirations, les songeries par les champs de l'inconnu, les contours ondoyants et à peine entrevus, la recherche de l'idéal; à la réalité rigoureuse succède le dédain des pensées trop écrites. Une effacée réminiscence d'un tableau italien du musée de Tournai lui tourmente la main, et sur le cuivre, dans les griffonnages à toute bride d'un paysage de Cythère, s'enlèvent discrètement le beau corps et la gorge milésienne d'une jeune Muse endormie. Les Amours ont volé ses vêtements, ils les ont livrés au Zéphyre,

      Zéphyre court de fleurs en fleurs,

      Et l'on n'attrape point Zéphyre.

      Par les fonds incertains, ce sont de mystérieuses envolées d'Amours, et les vagues des vêtements flottant dans l'air, – un rêve antique qui remonte au ciel sur le premier rayon de soleil.

      Cet homme à la façon des soldats de Salvator, une toque à plume sur la tête, torse à moitié nu, se caressant sa longue barbe avec sa main, est Finsonius:

      Belga Brugensis hic est, sed Parthenopensis amore

      Artis Finsonius sceptra jocosa gerens.

      -Une figure de peintre provincial retrouvée par un ami de l'aquafortiste, Philippe de Chennevières.

      Buisson se plaisait à ces illustrations d'ouvrages écrits par des plumes qui lui étaient chères et de préférence aimées. Ils étaient quatre en ce temps heureux de la gaie jeunesse, qui pensaient ensemble, et se parlaient et se répondaient l'un à l'autre en tout: prose, rimes ou dessins. Aussi, presque toujours, Buisson se fait écho de la poésie et de l'amitié; et Prarond et Levavasseur chantent tour à tour sous sa pointe, à moins que les Contes normands ne lui donnent l'idée de dessiner une vieille Normande, le nez crochu, le bonnet de coton en révolte, une bouteille sous le bras, trouvant que le vent est rude, l'équilibre difficile, et le pont étroit, et chantant son Ave d'ivrognesse:

      Ma bonne Vierge, laissez-mai passer

      Je n'berai pus quand il fera ner.

      Et tout après le «Chenil», le frontispice des fables de l'ami Prarond. Préault voulait exécuter ce frontispice en marbre. Des Amours entourent, avec la grâce perdue du XVIIIe siècle, un rustique médaillon de mademoiselle de la Sablière, jeté dans les feuilles. Au bas, les Amours jouent avec des fleurs, puis ils volent et s'asseyent et se renvolent, et le premier arrivé tend le bras et met une couronne de fleurs des champs sur la tête de l'hôtesse du fablier. – Et vraiment c'était un Clodion.

      Mais Levasseur a dit quelque part:

      La rime est une esclave

      Qui de dame Raison

      Fait le ménage et lave

      La petite maison.

      La maîtresse est hargneuse,

      Et du soir au matin

      La vieille besogneuse

      Met de l'eau dans son vin.

      La servante est folâtre

      Et dérobe au tonneau

      Le vin de la marâtre

      Qu'elle met dans son eau.

      Vite du giron de la servante décolletée, les épaules au vent, la chemise aux hanches, monte avec la fumée blanchâtre des fagots une ronde d'effrontés parpaillots qui embrassent et cajolent la servante, et grimpent boire le vin jusque sur le manteau de la cheminée. Bientôt voilà Buisson qui enfourche le balai, comme Penguilly; le fantastique le visite; et voilà les eaux-fortes de minuit. Tantôt c'est un cavalier fort maigre, et vêtu de noir, qui chante des séguedilles à la nymphe de l'Arnette; tantôt c'est un burg au haut d'un mont, soutenu par des consoles humaines; deux petits bonshommes grotesquement accoutrés sonnant de l'olifant, poussent avec leurs montures jusqu'au château magnifique, et dans un coin est accroupi, les coudes aux genoux et les mains aux oreilles, un petit Belzébuth cornu, grand comme l'ongle. – Eaux-fortes étranges, d'un ton roux qui rappelle l'encre rougie par le temps des dessins à la plume du Guerchin et du Vinci.

      Que Levavasseur, après avoir lu une parade de Dominique, fasse Pierrot couveur et roi, Buisson regarde une image de Watteau, et lui fait deux Pierrots: Pierrot pendu, la lune le regardant:

      Je n'aurais cru d'avance

      Qu'on pût être si bien au bout d'une potence.

      Que de sots préjugés on a sur terre, hélas

      Quand on voit en passant ces choses-là d'en bas!

      Puis Pierrot en collerette, son serre-tête noir un peu passant sous sa coiffe blanche, et faisant à deux mains un mémorable pied de nez; ceci est pour l'épilogue:

      Tes dix doigts allongeant ton nez original

      Nargueront le public dans un lazzi final.

      Levavasseur raconte-t-il, en bon Normand, la vie de Corneille, Buisson ne manque, comme vous imaginez, si belle occasion de portrait.

      Ici le fabuliste Prarond a le Cavalier et le cheval à faire sauter un fossé. Buisson se rappelle les fuites rapides, les croupes qui s'effacent, les cavaliers couchés à l'avant, les queues droites à l'horizon, les chevauchées tempétueuses, toute cette furia équestre qu'il livrait en ses heures de fièvre à des panneaux oubliés; il enlève d'un bond la fable de Prarond, et, la tête échauffée, sur un coin de la même planche, il jette pour l'ami Levavasseur une houle impétueuse de cavalerie tournoyante avec le mouvementé d'un Maturino dans un défilé du Guaspre. Dans ce griffonnis le Cid fait rage de la vieille épée de Murdora le Castillan. Écoutez le Romancero: «Il défit tous les Mores, prit les cinq rois, leur fit lâcher la grande prise et les gens qui allaient captifs.»

      Buisson est allé en Normandie. Il a rapporté de la lande de Laugé de solides études, de véritables études normandes; il a rapporté «les chemins verts, les mares perdues dans l'ombre du soir, les ciels verts, la prime verdure d'avril sur les haies et sous les futaies, les nappes vertes des prés déroulées sous les bois, les tons bleus et violets si légers des arbres qui vont ouvrir leurs premiers bourgeons». Mais le pays de Goya l'appelle, et en l'automne de l'an 1845 son ami Levavasseur lui écrit:

      Monsieur

      Buisson, peintre français, fonda de las Naranjas, calle de Jovellanos.

      C'est donc vrai, le soleil a des rayons étranges

      Qui naturellement font mûrir les oranges!

      Vous qui n'en aviez vu comme moi qu'au bazar,

      -Enfants emmaillottés dans un papier de soie,

      Vous en avez cueilli dans votre folle joie

      Aux orangers de l'Alcazar,

      Il court les Espagnes; il s'enivre de soleil, il s'enivre de haillons drapés avec un air de pourpre, de couleurs chatoyantes, d'ombres rousses, de terrains brûlés, d'horizons en incendie et de firmaments zébrés; il dessine le mendiant s'épouillant, et la manola alerte, et le presidio lézardé, et tout le peuple bariolé. Il essaye de fixer en des pages d'album cette lumière d'or, cette misère splendide. Il croque des brigands, lazaroni à fusils, se chauffant au crépuscule dans une gorge morne. Il court ce qu'on voit et ce qu'on montre, les Murillo de la rue et du Museo del Rey. Il s'éprend des vieux et des terribles, de Correa, d'Alonzo Beruguete, de Liaño, de Gaspar Becerra, de Dominique Théotocopuli.

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