Quelques créatures de ce temps. Edmond de Goncourt
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Nicholson se complaît aux causes d'adultère; il a fait son domaine des infortunes conjugales: tout le scandaleux judiciaire est bien venu de lui. En ces causes, les grasses façons de dire ont leurs coudées franches; les équivoques, les allusions, les demi-gros mots ont beau jeu dans ces libres plaisanteries, dont l'histoire du marron de Sterne est comme le type. C'est en plein croustillant que Nicholson excelle à faire les mille et une confusions de «l'Avocat patelin», à jeter au beau milieu d'une plaidoirie une interrogation cynique, à déchirer d'une phrase les gazes de pudeur de la défense; et pour peu que les tribunaux anglais aient évoqué quelque belle «conversation criminelle», aussitôt la parodie est prête, juge, avocat, greffier se donnant la main. Les causes s'improvisent, à peu près comme ces drôleries de la comédie italienne où les acteurs, avant d'entrer en scène, lisaient sur une pancarte accrochée dans les coulisses le canevas de leurs lazzis. Et cela dure tout autant qu'une petite pièce de nos boulevards: une vingtaine de jours, un mois. Nous avons vu toute une soirée débattre la vraisemblance d'un adultère en cab, avec des: Comment? que vous ne pourriez imaginer. – L'Anglais, qui aime à boire, va se coucher sur un verre de grog, et sur un résumé du chef baron de la plus impartiale salauderie.
Quelquefois la cour de justice du Trou à charbon évoque une cause politique réelle ou fictive; alors elle se met à être comme la face grotesque des haines anglaises. Tout Londres se rappelle le succès récent qu'obtint Nicholson avec son fameux procès: «Haynau et les ouvriers de la brasserie Barclay-Perkins.»
Licence singulière et sans précédent dans les mœurs d'un peuple! Parodie unique et surprenante! Le jury, et le juge, et l'accusé, et les témoins, et la défense, et l'accusation, – la Justice! abandonnés à tout l'humour d'un Swift de taverne, traduisant en libertines railleries l'amère parole de Shakspeare sur la jugeaillerie humaine: «L'homme, cet être vain et superbe, revêtu d'une autorité passagère, lui qui connaît le moins ce dont il est le plus certain, son existence fragile comme le verre, se plaît, comme un singe en fureur, à exercer les jeux de sa puérile et ridicule puissance à la face du ciel, et contriste les anges.» Et chez ce peuple religieux de sa loi, où les plus grands criminels baissent la tête sous la baguette du constable, cette farce quotidienne des assises anglaises! là, dans cette salle, un coquin de Rose-Mary-Lane que l'attorney enverra peut-être dans un mois à Botany-Bay, vient rire à cette répétition comique des vengeances sociales! Étrange comédie que cette comédie du Chief baron, où la Bible, et les balances, et le glaive sont chaque jour de l'année bafoués et traînés dans les éclats du rire! Étrange peuple où toute moquerie permise n'ôte rien au respect! où la caricature ne fait pas une rébellion! où, dans le fond d'une allée, au-dessus d'une bar à liqueurs, un homme peut, tous les soirs, toléré par la police anglaise, être l'Aristophane de la loi anglaise!
Nous ne voulons pas essayer une biographie de Benton Nicholson; c'est une célébrité que nous amenons sur le continent, et le public n'aime à entendre longuement parler que des gens qu'il connaît. Tout au plus, nous essayons quelques traits du Falstaff juge. «Les peintres, dit le vieil anecdotier, prennent la ressemblance de leurs portraits dans les yeux et les traits du visage où le naturel éclate plus sensiblement, et négligent le reste.» Ainsi faisons-nous, ne tentant qu'une animée silhouette et un buste rieur du Chief baron.
Nicholson a été rédacteur de quatre grands journaux; il a donné des articles au Times; il est l'auteur de Dombay et sa fille, roman dans la manière de Dickens. Après le succès de Gavarni in London, il a publié un journal périodique, sorte de Tintamarre anglais, intitulé Don Giovanni in London. Une chose que l'on ne sait guère, même en Angleterre, c'est que peu s'en est fallu que Nicholson ne fondât le Punch. Ce fut dans la chambre de Nicholson, alors prisonnier pour dettes, que fut discutée et résolue la venue au monde du drôlatique journal. M. A. Henning avait apporté le Charivari de Paris. Les questions matérielles du Charivari de Londres réglées, le bureau du journal fut ainsi composé: M. Nicholson, rédacteur; M. Landell, graveur; M. Last, imprimeur. Mais Nicholson ne put sortir de prison aussi vite qu'il le désirait, et MM. Last et Landell, privés du concours de Nicholson, appelèrent à la rédaction M. Gilbert Beckett, M. Henri Mayhew, M. Grattan, et M. Mark Lémon, qui fut le parrain du journal; et l'appela de ce bienheureux nom: Punch.
Nicholson commença son rôle sur une scène médiocre à la Tête de Garrick; mais il n'était alors qu'un juge d'occasion. Ce fut sous lord Melbourne que Nicholson fut élevé à la dignité de chef baron, et représenté dans une colossale peinture avec la robe d'hermine «de son feu regrettable confrère Jenterden». La première foi qu'il porta cette fameuse robe, il eut la visite de Jean Adolphus, le père du barreau anglais «qui joignait à l'esprit, à la sagesse, à la légale sagacité, le génie non encore vu de faire naître un scandale d'un scandale».
Depuis lors, sa réputation ne fit que grandir; il n'eut plus seulement des oisifs, ou de jeunes avocats venant apprendre «à cette mimique du Forum» la repartie vive et l'ironie improvisée, il eut des membres du parlement; que dis-je? il les fit jouer dans sa grave parade, et les fit s'asseoir comme jurés à son banc plaisant.
Ce fut un de ces jours-là sans doute que Nicholson, mis en verve par son public, prononça cette burlesquement sérieuse apologie de sa Mimic Court:
«Ce n'est pas, messieurs du jury, que je veuille médire du talent ou de la sagesse des cours inférieures, Courts of Chancery, Court of Queen's Bench Exchequer, Common-Pleas, Old-Bayley; non, messieurs, ils ont le génie, ils ont la science; mais, messieurs, il leur manque ce qui ne manque pas au savant conseil; il leur manque ce que nous avons: une bar au-dessous de la bar4. La bar du dessous donne l'inspiration, l'esprit, l'énergie à la bar du dessus. Messieurs du jury, croyez-vous que les arguments de sir William Follet perdraient de leur à-propos arrosés d'eau-chaude et de rhum? ou encore que les métaphores ingénieuses de L. Charles Phillips perdraient toute leur grâce pour tremper leurs lèvres à un verre de whiski? Songez encore, messieurs du jury, quel allégement ce serait à mon savant confrère Denman s'il pouvait seulement allumer un cigare et prendre un grog au gin. Messieurs du jury, la panacée des timidités, le coup de fouet de l'éloquence, le générateur de l'argument, le médecin de la raison, c'est un verre de champagne. Voltaire l'a dit:
«L'homme devient éloquent sous l'influence des grandes passions ou des grands intérêts. Mon grand intérêt, c'est l'excitant; ma grande passion, c'est le verre de champagne; et je suis appuyé par ce philosophe dans mon opinion que l'homme parle et argumente mieux sous l'impression des excitants que lorsqu'une sage sobriété siége seule, en son chagrin, sur le trône de l'intelligence.»
Nicholson est un homme de sport; c'est un parieur distingué. Un rédacteur du London-News nous disait qu'il avait une façon particulière de juger les chevaux à l'oreille. Il se fait remplacer pendant la saison des courses, où à Epsom, à Ascot, à Hampton, escortée de sa tente monstre en toile, sa seigneurie fatigue une salade, coupe une tranche de rosbeef, remplit un verre d'ale, «offrant le premier exemple du premier juge qui ait jamais vendu du bœuf à une course de chevaux».
Nicholson a un petit lever. Les boxeurs, les maquignons, quelques acteurs viennent lui faire leur cour. La ruelle est le rendez-vous des nouvelles du Ring; c'est l'endroit de Londres où on sait le mieux et le plus tôt combien de rounds a donnés Harry-Broome.
Ses occupations sévères de chef baron ne l'empêchent pas de revenir quelquefois à la littérature. Le grave emperruqué met alors à son esprit «des bas couleur de rose». Une fable s'échappe de sa plume entre deux résumés de la taverne:
«L'Amour et la Mort convinrent de voyager ensemble. La Discorde les surprit au milieu de leur sommeil et mêla leurs flèches. C'est ainsi que l'Amour, quand il se propose de frapper les jeunes d'une
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