Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870 - Victor Hugo

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bonne philosophie et de mauvaise politique. Si on l'ecoutait, on irait aux abimes. Ses conseils sont des conseils d'honnetete et de perdition. Les principes lui donnent raison, mais les faits lui donnent tort.

      Voyons les faits.

      John Brown est vaincu a Harper's Ferry. Les hommes d'etat disent: Pendez-le. Le proscrit dit: Respectez-le. On pend John Brown; l'Union se disloque, la guerre du Sud eclate. John Brown epargne, c'etait l'Amerique epargnee.

      Au point de vue du fait, qui a eu raison, les hommes pratiques, ou l'homme chimerique?

      Deuxieme fait. Maximilien est pris a Queretaro. Les hommes pratiques disent: Fusillez-le. L'homme chimerique dit: Graciez-le. On fusille Maximilien. Cela suffit pour rapetisser une chose immense. L'heroique lutte du Mexique perd son supreme lustre, la clemence hautaine. Maximilien gracie, c'etait le Mexique desormais inviolable, c'etait cette nation, qui avait constate son independance par la guerre, constatant par la civilisation sa souverainete; c'etait, sur le front de ce peuple, apres le casque, la couronne.

      Cette fois encore, l'homme chimerique voyait juste.

      Troisieme fait. Isabelle est detronee. Que va devenir l'Espagne? republique ou monarchie? Sois monarchie! disent les hommes d'etat! Sois republique! dit le proscrit. L'homme chimerique n'est pas ecoute, les hommes pratiques l'emportent; l'Espagne se fait monarchie. Elle tombe d'Isabelle en Amedee, et d'Amedee en Alphonse, en attendant Carlos; ceci ne regarde que l'Espagne. Mais voici qui regarde le monde: cette monarchie en quete d'un monarque donne pretexte a Hohenzollern; de la l'embuscade de la Prusse, de la l'egorgement de la France, de la Sedan, de la la honte et la nuit.

      Supposez l'Espagne republique, nul pretexte a un guet-apens, aucun Hohenzollern possible, pas de catastrophes.

      Donc le conseil du proscrit etait sage.

      Si par hasard on decouvrait un jour cette chose etrange que la verite n'est pas imbecile, que l'esprit de compassion et de delivrance a du bon, que l'homme fort c'est l'homme droit, et que c'est la raison qui a raison!

      Aujourd'hui, au milieu des calamites, apres la guerre etrangere, apres la guerre civile, en presence des responsabilites encourues de deux cotes, le proscrit d'autrefois songe aux proscrits d'aujourd'hui, il se penche sur les exils, il a voulu sauver John Brown, il a voulu sauver Maximilien, il a voulu sauver la France, ce passe lui eclaire l'avenir, il voudrait fermer la plaie de la patrie et il demande l'amnistie.

      Est-ce un aveugle? est-ce un voyant?

      XI

      En decembre 1851, quand celui qui ecrit ces lignes arriva chez l'etranger, la vie eut d'abord quelque durete. C'est en exil surtout que se fait sentir le res angusta domi.

      Cette esquisse sommaire de "ce que c'est que l'exil" ne serait pas complete si ce cote materiel de l'existence du proscrit n'etait pas indique, en passant, et du reste, avec la sobriete convenable.

      De tout ce que cet exile avait possede il lui restait sept mille cinq cents francs de revenu annuel. Son theatre, qui lui rapportait soixante mille francs par an, etait supprime. La hative vente a l'encan de son mobilier avait produit un peu moins de treize mille francs. Il avait neuf personnes a nourrir.

      Il avait a pourvoir aux deplacements, aux voyages, aux emmenagements nouveaux, aux mouvements d'un groupe dont il etait le centre, a tout l'inattendu d'une existence desormais arrachee de terre et maniable a tous les vents; un proscrit, c'est un deracine. Il fallait conserver la dignite de la vie et faire en sorte qu'autour de lui personne ne souffrit.

      De la une necessite immediate de travail.

      Disons que la premiere maison d'exil, Marine-Terrace, etait louee au prix tres modere de quinze cents francs par an.

      Le marche francais etait ferme a ses publications.

      Ses premiers editeurs belges imprimerent tous ses livres sans lui rendre aucun compte, entre autres les deux volumes des Oeuvres oratoires. Napoleon le Petit fit seul exception. Quant aux Chatiments, ils couterent a l'auteur deux mille cinq cents francs. Cette somme, confiee a l'editeur Samuel, n'a jamais ete remboursee. Le produit total de toutes les editions des Chatiments a ete pendant dix-huit ans confisque par les editeurs etrangers.

      Les journaux royalistes anglais faisaient sonner tres haut l'hospitalite anglaise, melangee, on s'en souvient, d'assauts nocturnes et d'expulsions, du reste comme l'hospitalite belge. Ce que l'hospitalite anglaise avait de complet, c'etait sa tendresse pour les livres des exiles. Elle reimprimait ces livres et les publiait et les vendait avec l'empressement le plus cordial au benefice des editeurs anglais. L'hospitalite pour le livre allait jusqu'a oublier l'auteur. La loi anglaise, qui fait partie de l'hospitalite britannique, permet ce genre d'oubli. Le devoir d'un livre est de laisser mourir de faim l'auteur, temoin Chatterton, et d'enrichir l'editeur. Les Chatiments en particulier ont ete vendus et se vendent encore et toujours en Angleterre au profit unique du libraire Jeffs. Le theatre anglais n'etait pas moins hospitalier pour les pieces francaises que la librairie anglaise pour les livres francais. Aucun droit d'auteur n'a jamais ete paye pour Ruy Blas, joue plus de deux cents fois en Angleterre.

      Ce n'est pas sans raison, on le voit, que la presse royaliste-bonapartiste de Londres reprochait aux proscrits d'abuser de l'hospitalite anglaise.

      Cette presse a souvent appele celui qui ecrit ces lignes, avare.

      Elle l'appelait aussi "ivrogne", abandonned drinker.

      Ces details font partie de l'exil.

      XII

      Cet exile ne se plaint de rien. Il a travaille. Il a reconstruit sa vie pour lui et pour les siens. Tout est bien.

      Y a-t-il du merite a etre proscrit? Non. Cela revient a demander: Y a-t-il du merite a etre honnete homme? Un proscrit est un honnete homme qui persiste dans l'honnetete. Voila tout.

      Il y a telle epoque ou cette persistance est rare. Soit. Cette rarete ote quelque chose a l'epoque, mais n'ajoute rien a l'honnete homme.

      L'honnetete, comme la virginite, existe en dehors de l'eloge. Vous etes pur parce que vous etes pur. L'hermine n'a aucun merite a etre blanche.

      Un representant proscrit pour le peuple fait un acte de probite. Il a promis, il tient sa promesse. Il la tient au dela meme de la promesse, comme doit faire tout homme scrupuleux. C'est en cela que le mandat imperatif est inutile; le mandat imperatif a le tort de mettre un mot degradant sur une chose noble, qui est l'acceptation du devoir; en outre, il omet l'essentiel, qui est le sacrifice; le sacrifice, necessaire a accomplir, impossible a imposer. L'engagement reciproque, la main de l'elu mise dans la main de l'electeur, le mandant et le mandataire se donnent mutuellement parole, le mandataire de defendre le mandant, le mandant de soutenir le mandataire, deux droits et deux forces meles, telle est la verite. Cela etant, le representant doit faire son devoir, et le peuple le sien. C'est la dette de la conscience acquittee des deux cotes. Mais quoi, se devouer jusqu'a l'exil? Sans doute. Alors c'est beau; non, c'est simple. Tout ce qu'on peut dire du representant proscrit, c'est qu'il n'a pas trompe sur la qualite de la chose promise. Un mandat est un contrat. Il n'y a aucune gloire a ne point vendre a faux poids.

      Le representant honnete homme execute le contrat. Il doit aller, et il va, jusqu'au bout de l'honneur et de la conscience. La il trouve le precipice. Soit. Il y tombe. Parfaitement.

      Y meurt-il? Non, il y vit.

      XIII

      Resumons-nous.

      Ce

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