Horace. Жорж Санд

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Horace - Жорж Санд

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d'avoir été fouriériste, ou saint-simonien, ou révolutionnaire d'une manière quelconque; on n'ose pas trop raconter quelles motions audacieuses on a élevées ou soutenues dans les sociétés politiques, et puis on s'étonne d'avoir souhaité l'égalité dans toutes ses conséquences, d'avoir aimé le peuple sans frayeur, d'avoir voté la loi de fraternité sans amendement. Et au bout de peu d'années, c'est-à-dire quand on est établi bien ou mal, qu'on soit juste-milieu, légitimiste ou républicain, qu'on soit de la nuance des Débats, de la Gazette ou du National, on inscrit sur sa porte, sur son diplôme ou sur sa patente, qu'on n'a, en aucun temps de sa vie, entendu porter atteinte à la sacro-sainte propriété.

      Mais ceci est le procès à faire, je le répète, à la société bourgeoise qui nous opprime. Ne faisons pas celui de la jeunesse, car elle a été ce que la jeunesse, prise en masse et mise en contact avec elle-même, est et sera toujours, enthousiaste, romanesque et généreuse. Ce qu'il y a de meilleur dans le bourgeois, c'est donc encore l'étudiant; n'en doutez pas.

      Je n'entreprendrai pas de contredire dans le détail les assertions de l'auteur, que j'incrimine sans aucune aigreur, je vous jure. Il est possible qu'il soit mieux informé des moeurs des étudiants que je ne puis l'être relativement à ce qu'elles sont aujourd'hui; mais je dois en conclure, ou que l'auteur s'est trompé, ou que les étudiants ont bien changé; car j'ai vu des choses fort différentes.

      Ainsi, de mon temps, nous n'étions pas divisés en deux espèces, l'une, appelée les bambocheurs, fort nombreuse, qui passait son temps à la Chaumière, au cabaret, au bal du Panthéon, criant, fumant, vociférant dans une atmosphère infecte et hideuse; l'autre fort restreinte, appelée les piocheurs, qui s'enfermait pour vivre misérablement, et s'adonner à un travail matériel dont le résultat était le crétinisme. Non! il y avait bien des oisifs et des paresseux, voire des mauvais sujets et des idiots; mais il y avait aussi un très-grand nombre de jeunes gens actifs et intelligents, dont les moeurs étaient chastes, les amours romanesques, et la vie empreinte d'une sorte d'élégance et de poésie, au sein de la médiocrité et même de la misère. Il est vrai que ces jeunes gens avaient beaucoup d'amour-propre, qu'ils perdaient beaucoup de temps, qu'ils s'amusaient à tout autre chose qu'à leurs études, qu'ils dépensaient plus d'argent qu'un dévouement vertueux à la famille ne l'eût permis; enfin, qu'ils faisaient de la politique et du socialisme avec plus d'ardeur que de raison, et de la philosophie avec plus de sensibilité que de science et de profondeur. Mais s'ils avaient, comme je l'ai déjà confessé, des travers et des ridicules, il s'en faut de beaucoup qu'ils fussent vicieux, et que leurs jours s'écoulassent dans l'abrutissement, leurs nuits dans l'orgie. En un mot, j'ai vu beaucoup plus d'étudiants dans le genre d'Horace, que je n'en ai vu dans celui de l'Étudiant esquissé par l'écrivain que j'ose ici contredire.

      Celui dont j'ai maintenant à vous faire le portrait, Jean Laravinière, était un grand garçon de vingt-cinq ans, leste comme un chamois et fort comme un taureau. Ses parents ayant eu la coupable distraction de ne pas le faire vacciner, il était largement sillonné par la petite-vérole, ce qui était, pour son bonheur, un intarissable sujet de plaisanteries comiques de sa part. Quoique laide, sa figure était agréable, sa personne pleine d'originalité comme son esprit. Il était aussi généreux qu'il était brave, et ce n'était pas peu dire. Ses instincts de combativité, comme nous disions en phrénologie, le poussaient impétueusement dans toutes les bagarres, et il y entraînait toujours une cohorte d'amis intrépides, qu'il fanatisait par son sang-froid héroïque et sa gaieté belliqueuse. Il s'était battu très-sérieusement en juillet; plus tard, hélas! il se battit trop bien ailleurs.

      C'était un tapageur, un bambocheur, si vous voulez; mais quel loyal caractère, et quel dévouement magnanime! Il avait toute l'excentricité de son rôle, toute l'inconséquence de son impétuosité, toute la crânerie de sa position. Vous eussiez pu rire de lui; mais vous eussiez été forcé de l'aimer. Il était si bon, si naïf dans ses convictions, si dévoué à ses amis! Il était censé carabin, mais il n'était réellement et ne voulait jamais être autre chose qu'étudiant émeutier, bousingot, comme on disait dans ce temps-là. Et comme c'est un mot historique qui s'en va se perdre, si l'on n'y prend garde, je vais tâcher de l'expliquer.

      Il y avait une classe d'étudiants, que nous autres (étudiants un peu aristocratiques, je l'avoue) nous appelions, sans dédain toutefois, étudiants d'estaminet. Elle se composait invariablement de la plupart des étudiants de première année, enfants fraîchement arrivés de province, à qui Paris faisait tourner la tête, et qui croyaient tout d'un coup se faire hommes en fumant à se rendre malades, et en battant le pavé du matin au soir, la casquette sur l'oreille; car l'étudiant de première année a rarement un chapeau. Dès la seconde année, l'étudiant en général devient plus grave et plus naturel. Il est tout à fait retiré de ce genre de vie, à la troisième. C'est alors qu'il va au parterre des Italiens, et qu'il commence à s'habiller comme tout le monde. Mais un certain nombre de jeunes gens reste attaché à ces habitudes de flânerie, de billard, d'interminables fumeries à l'estaminet, ou de promenade par bandes bruyantes au jardin du Luxembourg. En un mot, ceux-là font, de la récréation que les autres se permettent sobrement, le fond et l'habitude de la vie. Il est tout naturel que leurs manières, leurs idées, et jusqu'à leurs traits, au lieu de se former, restent dans une sorte d'enfance vagabonde et débraillée, dans laquelle il faut se garder de les encourager, quoiqu'elle ait certainement ses douceurs et même sa poésie. Ceux-là se trouvent toujours naturellement tout portés aux émeutes. Les plus jeunes y vont pourvoir, d'autres y vont pour agir; et, dans ce temps-là, presque toujours tous s'y jetaient un instant et s'en retiraient vite, après avoir donné et reçu quelques bons coups. Cela ne changeait pas la face des affaires, et la seule modification que ces tentatives aient apportée, c'est un redoublement de frayeur chez les boutiquiers, et de cruauté brutale chez les agents de police. Mais aucun de ceux qui ont si légèrement troublé l'ordre public dans ce temps-là ne doit rougir, à l'heure qu'il est, d'avoir eu quelques jours de chaleureuse jeunesse. Quand la jeunesse ne peut manifester ce qu'elle a de grand et de courageux dans le coeur que par des attentats à la société, il faut que la société soit bien mauvaise!

      On les appelait alors les bousingots, à cause du chapeau marin de cuir verni qu'ils avaient adopté pour signe de ralliement. Ils portèrent ensuite une coiffure écarlate en forme de bonnet militaire, avec un velours noir autour. Désignés encore à la police, et attaqués dans la rue par les mouchards, ils adoptèrent le chapeau gris; mais ils n'en furent pas moins traqués et maltraités. On a beaucoup déclamé contre leur conduite; mais je ne sache pas que le gouvernement ait pu justifier celle de ses agents, véritables assassins qui en ont assommé un bon nombre sans que le boutiquier en ait montré la moindre indignation ou la moindre pitié.

      Le nom de bousingots leur resta. Lorsque le Figaro, qui avait fait une opposition railleuse et mordante sous la direction loyale de M. Delatouche, passa en d'autres mains, et peu à peu changea de couleur, le nom de bousingot devint un outrage; car il n'y eut sorte de moqueries amères et injustes dont on ne s'efforçât de le couvrir. Mais les vrais bousingots ne s'en émurent point, et notre ami Laravinière conserva joyeusement son surnom de président des bousingots, qu'il porta jusqu'à sa mort, sans craindre ni mériter le ridicule ou le mépris.

      Il était si recherché et si adoré de ses compagnons, qu'on ne le voyait jamais marcher seul. Au milieu du groupe ambulant qui chantait ou criait toujours autour de lui, il s'élevait comme un pin robuste; et fier au sein du taillis, ou comme la Calypso de Fénelon au milieu du menu fretin de ses nymphes, ou enfin comme le jeune Saül parmi les bergers d'Israël. (Il aimait mieux cette comparaison.) On le reconnaissait de loin à son chapeau gris pointu à larges bords, à sa barbe de chèvre, à ses longs cheveux plats, à son énorme cravate rouge sur laquelle tranchaient les énormes revers blancs de son gilet à la Marat. Il portait généralement un habit bleu à longues basques et à boutons de métal, un pantalon à larges carreaux gris et noirs, et un lourd bâton de cormier qu'il appelait son frère Jean, par souvenir du bâton de la croix dont le frère Jean des Entommeures fit, selon

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