Lélia. Жорж Санд

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Lélia - Жорж Санд

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sont les femmes orgueilleuses et belles qui se drapaient dans ces lourdes étoffes, qui couvraient leurs riches chevelures de ces gothiques joyaux? Hélas! où sont-ils ces rois d’un jour qui ont brillé comme nous? Ils ont passé sans songer aux générations qui les avaient précédés, sans songer à celles qui devaient les suivre, sans songer à eux-mêmes qui se couvraient d’or et de parfums, qui s’entouraient de luxe et de mélodies, en attendant le froid du cercueil et l’oubli de la tombe.

      – Ils se reposent d’avoir vécu, dit Trenmor; heureux ceux qui dorment dans la paix du Seigneur!

      – Il faut que l’esprit de l’homme soit bien pauvre, reprit Lélia, et ses plaisirs bien vides; il faut que les jouissances simples et faciles s’épuisent bien vite pour lui, puisqu’au fond de sa joie et de ses pompes il retrouve toujours une impression si horrible de tristesse et de terreur. Voici un homme riche et joyeux, un heureux de la terre qui, pour s’étourdir et oublier que ses jours sont comptés, n’imagine rien de mieux que d’exhumer les dépouilles du passé, de couvrir ses hôtes des livrées de la mort, et de faire danser dans son palais les spectres de ses aïeux!

      – Ton âme est triste, Lélia, dit Trenmor; on dirait que seule ici tu crains de ne pas mourir à ton tour!»

      XV

      Ce jeune homme mérite plus de compassion, Lélia. Je croyais que vous n’aviez que les grâces et les adorables qualités de la femme. En auriez-vous aussi la féroce ingratitude et l’impudente vanité? Non, j’aimerais mieux douter de l’existence de Dieu que de la bonté de votre cœur. Lélia, dites-moi donc ce que vous voulez faire de cette âme de poëte qui s’est donnée à vous et que vous avez accueillie, imprudemment peut-être! Vous ne pouvez plus maintenant la repousser sans qu’elle se brise; et prenez garde, Lélia, Dieu vous en demandera compte un jour; car cette âme vient de lui et doit y retourner. Sans doute le jeune Sténio doit être un des enfants de sa prédilection. N’a-t-il pas mis en lui un reflet de la beauté des anges? Quoi de plus pur et de plus suave que cet enfant? Je n’ai point vu de physionomie d’un calme plus angélique, ni de bleu dans le plus beau ciel qui fût plus limpide et plus céleste que le bleu de ses yeux. Je n’ai pas entendu de voix plus harmonieuse et plus douce que la sienne; les paroles qu’il dit sont comme les notes faibles et veloutées que le vent confie aux cordes de la harpe. Et puis, sa démarche lente, ses attitudes nonchalantes et tristes, ses mains blanches et fines, son corps frêle et souple, ses cheveux d’un ton si doux et d’une mollesse si soyeuse, son teint changeant comme le ciel d’automne, ce carmin éclatant qu’un regard de vous répand sur ses joues, cette pâleur bleuâtre qu’un mot de vous imprime à ses lèvres, tout cela, c’est un poëte, c’est un jeune homme vierge, c’est une âme que Dieu envoie souffrir ici-bas pour l’éprouver avant d’en faire un ange. Et si vous livrez cette jeune âme au souffle des passions corrosives, si vous l’éteignez sous les glaces du désespoir, si vous l’abandonnez au fond de l’abîme, comment retrouvera-t-elle le chemin des cieux? O femme! prenez garde à ce que vous allez faire! N’écrasez pas ce frêle enfant sous le poids de votre affreuse raison! Ménagez-lui le vent et le soleil, et le jour, et le froid, et la foudre, et tout ce qui nous flétrit, nous renverse, nous dessèche et nous tue. Aidez-le à marcher, couvrez-le d’un pan de votre manteau, soyez son guide sur le bord des écueils. Ne pouvez-vous être son amie, ou sa sœur, ou sa mère?

      Je sais tout ce que vous m’avez dit déjà, je vous comprends, je vous félicite; mais puisque vous êtes heureuse ainsi (autant qu’il vous est donné de l’être!), ce n’est plus de vous que je m’occupe: c’est de lui, qui souffre et que je plains. Voyons! femme! vous qui savez tant de choses ignorées de l’homme, n’avez-vous pas un remède à ses maux? Ne pouvez-vous donner aux autres un peu de la science que Dieu vous a donnée? Est-il en vous de faire le mal et de ne pouvoir faire le bien?

      Eh bien, Lélia, s’il en est ainsi, il faut éloigner Sténio ou le fuir.

      XVI

      Éloigner Sténio ou le fuir! Oh! pas encore! Vous êtes si froid, votre cœur est si vieux, ami, que vous parlez de fuir Sténio comme s’il s’agissait de quitter cette ville pour une autre, ces hommes d’aujourd’hui pour les hommes de demain, comme s’il s’agissait pour vous, Trenmor, de me quitter, moi Lélia?

      Je le sais, vous avez touché le but, vous avez échappé au naufrage, vous voilà au port. Nulle affection en vous ne s’élève jusqu’à la passion, rien ne vous est nécessaire, personne ne peut faire ou défaire votre bonheur, vous en êtes vous-même l’artisan et le gardien. Moi aussi, Trenmor, je vous félicite, mais je ne puis vous imiter. J’admire l’ouvrage régulier et solide que vous avez fait, mais c’est une forteresse que cet ouvrage de votre vertu; et moi femme, moi artiste, il me faut un palais: je n’y serai point heureuse, mais du moins je n’y mourrai pas; dans vos murs de glace et de pierre, il ne me resterait pas un jour à vivre. Non, pas encore, non! Dieu ne le veut pas! est-ce qu’on peut devancer l’accomplissement de ses desseins? S’il m’est donné d’atteindre où vous êtes, du moins j’y veux arriver mûre pour la sagesse et assez sûre de moi pour ne pas regarder en arrière avec douleur.

      Je vous entends d’ici: – Faible et misérable femme, dites-vous, tu crains d’obtenir ce que tu demandes souvent; je t’ai vue aspirer au triomphe que tu repousses!.. Eh bien! va, je suis faible, je suis lâche; mais je ne suis ni ingrate ni vaine, je n’ai point ces vices de la femme. Non, mon ami, je ne veux point briser le cœur de l’homme, éteindre l’âme du poëte. Rassure-toi, j’aime Sténio.

      XVII

      Vous aimez Sténio! Cela n’est pas et ne peut pas être. Songez-vous aux siècles qui vous séparent de lui? Vous, fleur flétrie, battue des vents, brisée; vous, esquif ballotté sur toutes les mers du doute, échoué sur toutes les grèves du désespoir, vous oseriez tenter un nouveau voyage? Ah! vous n’y songez pas, Lélia! Aux êtres comme nous, que faut-il à présent? Le repos de la tombe. Vous avez vécu! laissez vivre les autres à leur tour; ne vous jetez pas, ombre triste et fugitive, dans les voies de ceux qui n’ont pas fini leur tâche et perdu leur espoir. Lélia, Lélia, le cercueil te réclame; n’as-tu pas assez souffert, pauvre philosophe? Couche-toi donc dans ton linceul, dors donc enfin dans ton silence, âme fatiguée que Dieu ne condamne plus au travail et à la douleur!

      Il est bien vrai que vous êtes moins avancée que moi. Il vous reste quelques réminiscences des temps passés. Vous luttez encore parfois contre l’ennemi de l’homme, contre l’espoir des choses d’ici-bas. Mais croyez-moi, ma sœur, quelques pas seulement vous séparent du but. Il est facile de vieillir, nul ne rajeunit.

      Encore une fois, laissez l’enfant croître et vivre, n’étouffez pas la fleur dans son germe. Ne jetez pas votre haleine glacée sur ses belles journées de soleil et de printemps. N’espérez pas donner la vie, Lélia: la vie n’est plus en vous, il ne vous en reste que le regret; bientôt, comme à moi, il ne vous en restera plus que le souvenir.

      XVIII

      Tu me l’as promis, tu m’aimeras doucement et nous serons heureux. Ne cherche point à devancer le temps, Sténio, ne t’inquiète pas de sonder les mystères de la vie. Laisse-la te prendre et te porter là où nous allons tous. Tu me crains? C’est toi-même qu’il faut craindre, c’est toi qu’il faut réprimer; car, à ton âge, l’imagination gâte les fruits les plus savoureux, appauvrit toutes les jouissances; à ton âge, on ne sait profiter de rien; on veut tout connaître, tout posséder, tout épuiser; et puis on s’étonne que les biens de l’homme soient si peu de chose, quand il faudrait s’étonner seulement du cœur de l’homme et de ses besoins. Va, crois-moi, marche doucement, savoure une à une toutes les ineffables jouissances d’un mot, d’un regard, d’une pensée, tous les riens immenses d’un amour naissant. N’étions-nous

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