Lélia. Жорж Санд

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Lélia - Жорж Санд

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de Sainte-Laure. Il s’approcha, austère et lent. Son visage inspirait un respect religieux; son regard calme et profond, qui semblait réfléchir le ciel, eût suffi pour donner la foi. Lélia, brisée par la souffrance, avait caché son visage sous son bras contracté, enlacé de ses cheveux noirs.

      «Ma sœur!» dit le prêtre d’une voix pleine et fervente.

      Lélia laissa retomber son bras, et retourna lentement son visage vers l’homme de Dieu.

      «Encore cette femme!» s’écria-t-il en reculant avec terreur.

      Alors sa physionomie fut bouleversée, ses yeux restèrent fixes et pleins d’épouvante, son teint devint livide, et Sténio se souvint du jour où il l’avait vu pâlir et trembler en rencontrant le regard sceptique de Lélia au dessus de la foule prosternée.

      «C’est toi, Magnus! lui dit-elle. Me reconnais-tu?

      – Si je te connais, femme! s’écria le prêtre avec égarement; si je te connais! Mensonge, désespoir, perdition!»

      Lélia ne lui répondit que par un éclat de rire.

      «Voyons, dit-elle en l’attirant vers elle de sa main froide et bleuâtre, approche, prêtre, et parle-moi de Dieu. Tu sais pourquoi l’on t’a fait venir ici: c’est une âme qui va quitter la terre, et qu’il faut envoyer au ciel. N’en as-tu pas la puissance?»

      Le prêtre garda le silence et resta terrifié.

      «Allons, Magnus, dit-elle avec une triste ironie et tournant vers lui son visage pâle déjà couvert des ombres de la mort, remplis la mission que l’Église t’a confiée, sauve-moi, ne perds pas de temps; je vais mourir!

      – Lélia, répondit le prêtre, je ne peux pas vous sauver, vous le savez bien; votre puissance est supérieure à la mienne.

      – Qu’est-ce que cela signifie? dit Lélia se dressant sur sa couche. Suis-je déjà dans le pays des rêves? Ne suis-je plus de l’espèce humaine qui rampe, qui prie et qui meurt? Le spectre effaré que voilà n’est-il pas un homme, un prêtre? Votre raison est-elle troublée, Magnus? Vous êtes là vivant et debout, et moi j’expire. Pourtant vos idées se troublent et votre âme faiblit, tandis que la mienne appelle avec calme la force de s’exhaler. Allons, homme de peu de foi, invoquez Dieu pour votre sœur mourante, et laissez aux enfants ces peurs superstitieuses qui devraient vous faire pitié. En vérité, qui êtes-vous tous? Voici Trenmor étonné; voici Sténio, le jeune poëte, qui regarde mes pieds et qui croit y apercevoir des griffes, et voilà un prêtre qui refuse de m’absoudre et de m’ensevelir! Suis-je déjà morte? Est-ce un songe que je fais?

      – Non, Lélia, dit enfin le prêtre d’une voix triste et solennelle, je ne vous prends pas pour un démon; je ne crois pas au démon, vous le savez bien.

      – Ah! ah! dit-elle en se tournant vers Sténio, entendez le prêtre: il n’y a rien de moins poétique que la perfection humaine. Soit, mon père, renions Satan, condamnons-le au néant. Je ne tiens pas à son alliance, quoique l’air satanique soit assez de mode, et qu’il ait inspiré à Sténio de fort beaux vers en mon honneur. Si le diable n’existe pas, me voici fort en paix sur mon avenir: je puis quitter la vie à cette heure, je ne tomberai pas dans l’enfer. Mais où irai-je, dites-moi? Où vous plaît-il de m’envoyer, mon père? au ciel, dites?

      – Au ciel! s’écria Magnus. Vous au ciel! Est-ce votre bouche qui a prononcé ce mot?

      – N’est-il point de ciel non plus? dit Lélia.

      – Femme, dit le prêtre, il n’en est point pour toi.

      – Voilà un prêtre consolant! dit-elle. Puisqu’il ne peut sauver mon âme, qu’on amène le médecin, et que, pour or ou pour argent, il se décide à sauver ma vie.

      – Je ne vois rien à faire, dit le docteur Kreyssneifetter; la maladie suit une marche régulière et bien connue. Avez-vous soif? que l’on vous apporte de l’eau, et puis calmez-vous, attendons. Les remèdes vous tueraient à l’heure qu’il est; laissons agir la nature.

      – Bonne nature! dit Lélia, je voudrais bien t’invoquer! Mais qui es-tu? où est la miséricorde? où est ton amour? où est ta pitié? Je sais bien que je viens de toi et que j’y dois retourner; mais à quel titre t’adjurerai-je de me laisser ici encore un jour? Il y a peut-être un coin de terre aride auquel il manque ma poussière pour y faire croître l’herbe: il faut donc que j’aille accomplir ma destinée. Mais vous, prêtre, appelez sur moi le regard de celui qui est au-dessus de la nature, et qui peut lui commander. Celui-là peut dire à l’air pur de raviver mon souffle, au suc des plantes de me ranimer, au soleil qui va paraître de réchauffer mon sang. Voyons, enseignez-moi à prier Dieu!

      – Dieu! dit le prêtre en laissant tomber avec accablement sa tête sur son sein; Dieu!»

      Des larmes brûlantes coulèrent sur ses joues flétries.

      «O Dieu! dit-il, ô doux rêve qui m’as fui! où es-tu? où te retrouverai-je? Espoir, pourquoi m’abandonnes-tu sans retour?.. Laissez-moi, Madame, laissez-moi sortir d’ici! Ici tous mes doutes reprennent leur funeste empire; ici, en présence de la mort, s’évanouit ma dernière espérance, ma dernière illusion! Vous voulez que je vous donne le ciel, que je vous fasse trouver Dieu. Eh! vous allez savoir s’il existe, vous êtes plus heureuse que moi qui l’ignore.

      – Allez-vous-en, dit Lélia: hommes superbes, quittez mon chevet. Et vous, Trenmor, voyez ceci, voyez ce médecin qui ne croit pas à sa science, voyez ce prêtre qui ne croit pas à Dieu: et pourtant ce médecin est un savant, ce prêtre est un théologien. Celui-ci, dit-on, soulage les moribonds, celui-là console les vivants; et tous deux ont manqué de foi auprès d’une femme qui se meurt!

      – Madame, dit Kreyssneifetter, si j’avais essayé de faire le médecin avec vous, vous m’auriez raillé. Je vous connais, vous n’êtes pas une personne ordinaire, vous êtes philosophe.

      – Madame, dit Magnus, ne vous souvient-il plus de notre promenade dans la forêt du Grimsel? Si j’avais osé faire le prêtre avec vous, n’auriez-vous pas achevé de me rendre incrédule?

      – Voilà donc, leur dit Lélia d’un ton amer, à quoi tient votre force! la faiblesse d’autrui fait votre puissance; mais, dès qu’on vous résiste, vous reculez et vous avouez en riant que vous jouez un faux rôle parmi les hommes, charlatans et imposteurs que vous êtes! Hélas! Trenmor, où en sommes-nous? Où en est le siècle? Le savant nie, le prêtre doute. Voyons si le poëte existe encore. Sténio, prends ta harpe et chante-moi les vers de Faust; ou bien ouvre tes livres et redis-moi les souffrances d’Obermann, les transports de Saint-Preux. Voyons, poëte, si tu comprends encore la douleurs; voyons, jeune homme, si tu crois encore à l’amour.

      – Hélas! Lélia, s’écria Sténio en tordant ses blanches mains, vous êtes femme et vous n’y croyez pas! Où en sommes-nous, où en est le siècle?»

      XXII

      «Dieu du ciel et de la terre, Dieu de force et d’amour, entends une voix pure qui s’exhale d’une âme pure et d’un sein vierge! Entends la prière d’un enfant; rends-nous Lélia!

      Pourquoi, mon Dieu, veux-tu nous arracher si tôt la bien-aimée de nos cœurs? Écoute la grande et puissante voix de Trenmor, de l’homme qui a souffert, de l’homme qui a vécu. Entends le vœu d’une âme encore ignorante des maux de la vie. Tous deux te demandent de leur conserver leur bien, leur poésie, leur espoir,

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