Pauline. Жорж Санд

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Pauline - Жорж Санд

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dans la lumière de l'embrasure, et semblait placée là, comme à dessein, pour ressortir seule et par sa propre beauté dans le tableau: c'était Pauline.

      Elle était bien changée, et, comme la voyageuse ne pouvait voir son visage, elle douta longtemps que ce fût elle. Elle avait laissé Pauline plus petite de toute la tête, et maintenant Pauline était grande et d'une ténuité si excessive qu'on eût dit qu'elle allait se briser en changeant d'attitude; elle était vêtue de brun, avec une petite collerette d'un blanc scrupuleux et d'une égalité de plis vraiment monastique. Ses beaux cheveux châtains étaient lissés sur ses tempes avec un soin affecté; elle se livrait à un ouvrage classique, ennuyeux, odieux à toute organisation pensante: elle faisait de très-petits points réguliers avec une aiguille imperceptible sur un morceau de batiste dont elle comptait la trame fil par fil. La vie de la grande moitié des femmes se consume, en France, à cette solennelle occupation.

      Quand la voyageuse eut fait quelques pas, elle distingua, dans la clarté de la fenêtre, les lignes brillantes du beau profil de Pauline: ses traits réguliers et calmes, ses grands yeux voilés et nonchalants, son front pur et uni, plutôt découvert qu'élevé, sa bouche délicate qui semblait incapable de sourire. Elle était toujours admirablement belle et jolie! mais elle était maigre et d'une pâleur uniforme, qu'on pouvait regarder comme passée à l'état chronique. Dans le premier instant, son ancienne amie fut tentée de la plaindre; mais, en admirant la sérénité profonde de ce front mélancolique doucement penché sur son ouvrage, elle se sentit pénétrée de respect bien plus que de pitié.

      Elle resta donc immobile et muette à la regarder; mais, comme si sa présence se fût révélée à Pauline par un mouvement instinctif du coeur, celle-ci se tourna tout à coup vers elle et la regarda fixement sans dire un mot et sans changer de visage.

      – Pauline! ne me reconnais-tu pas? s'écria l'étrangère; as-tu oublié la figure de Laurence?

      Alors Pauline jeta un cri, se leva, et retomba sans force sur un siège. Laurence était déjà dans ses bras, et toutes deux pleuraient.

      – Tu ne me reconnaissais pas? dit enfin Laurence.

      – Oh! que dis-tu là! répondit Pauline. Je te reconnaissais bien, mais je n'étais pas étonnée. Tu ne sais pas une chose, Laurence? C'est que les personnes qui vivent dans la solitude ont parfois d'étranges idées. Comment te dirai-je? Ce sont des souvenirs, des images qui se logent dans leur esprit, et qui semblent passer devant leurs yeux. Ma mère appelle cela des visions. Moi, je sais bien que je ne suis pas folle; mais je pense que Dieu permet souvent, pour me consoler dans mon isolement, que les personnes que j'aime m'apparaissent tout à coup au milieu de mes rêveries. Va, bien souvent je t'ai vue là devant cette porte, debout comme tu étais tout à l'heure, et me regardant d'un air indécis. J'avais coutume de ne rien dire et de ne pas bouger, pour que l'apparition ne s'envolât pas. Je n'ai été surprise que quand je t'ai entendue parler. Oh! alors ta voix m'a réveillée! elle est venue me frapper jusqu'au coeur! Chère Laurence! c'est donc toi vraiment! dis-moi bien que c'est toi!

      Quand Laurence eut timidement exprimé à son amie la crainte qui l'avait empêchée depuis plusieurs années de lui donner des marques de son souvenir, Pauline l'embrassa en pleurant.

      – Oh mon Dieu! dit-elle, tu as cru que je te méprisais, que je rougissais de toi! moi qui t'ai conservé toujours une si haute estime, moi qui savais si bien que dans aucune situation de la vie il n'était possible à une âme comme la tienne de s'égarer!

      Laurence rougit et pâlit en écoutant ces paroles; elle renferma un soupir, et baisa la main de Pauline avec un sentiment de vénération.

      – Il est bien vrai, reprit Pauline, que ta condition présente révolte les opinions étroites et intolérantes de toutes les personnes que je vois. Une seule porte dans sa sévérité un reste d'affection et de regret: c'est ma mère. Elle te blâme, il faut bien t'attendre à cela; mais elle cherche à t'excuser, et l'on voit qu'elle lance sur toi l'anathème avec douleur. Son esprit, n'est pas éclairé, tu le sais; mais son coeur est bon, pauvre femme!

      – Comment ferai-je donc pour me faire accueillir? demanda Laurence.

      – Hélas! répondit Pauline, il serait bien facile de la tromper; elle est aveugle.

      – Aveugle! ah! mon Dieu!

      Laurence resta accablée à cette nouvelle; et, songeant à l'affreuse existence de Pauline, elle la regardait fixement, avec l'expression d'une compassion profonde et pourtant comprimée par le respect. Pauline la comprit, et, lui pressant la main avec tendresse, elle lui dit avec une naïveté touchante:

      – Il y a du bien dans tous les maux que Dieu nous envoie. J'ai failli me marier il y a cinq ans; un an après, ma mère a perdu la vue. Vois, comme il est heureux que je sois restée fille pour la soigner! si j'avais été mariée, qui sait si je l'aurais pu?

      Laurence, pénétrée d'admiration, sentit ses yeux se remplir de larmes.

      – Il est évident, dit-elle en souriant à son amie à travers ses pleurs, que tu aurais été distraite par mille autres soins également sacrés, et qu'elle eût été plus à plaindre qu'elle ne l'est.

      – Je l'entends remuer, dit Pauline; et elle passa vivement, mais avec assez d'adresse pour ne pas faire le moindre bruit, dans la chambre voisine.

      Laurence la suivit sur la pointe du pied, et vit la vieille femme aveugle étendue sur son lit en forme de corbillard. Elle était jaune et luisante. Ses yeux hagards et sans vie lui donnaient absolument l'aspect d'un cadavre. Laurence recula, saisie d'une terreur involontaire. Pauline s'approcha de sa mère, pencha doucement son visage vers ce visage affreux, et lui demanda bien bas si elle dormait. L'aveugle ne répondit rien, et se tourna vers la ruelle du lit. Pauline arrangea ses couvertures avec soin sur ses membres étiques, referma doucement le rideau, et reconduisit son amie dans le salon.

      – Causons, lui dit-elle; ma mère se lève tard ordinairement. Nous avons quelques heures pour nous reconnaître; nous trouverons bien un moyen de réveiller son ancienne amitié pour toi. Peut-être suffira-t-il de lui dire que tu es là! Mais, dis-moi, Laurence, tu as pu croire que je te… Oh! je ne dirai pas ce mot! Te mépriser! Quelle insulte tu m'as faite là! Mais c'est ma faute après tout. J'aurais dû prévoir que tu concevrais des doutes sur mon affection, j'aurais dû t'expliquer mes motifs… Hélas! c'était bien difficile à te faire comprendre! Tu m'aurais accusée de faiblesse, quand, au contraire, il me fallait tant de force pour renoncer à t'écrire, à te suivre dans ce monde inconnu où, malgré moi, mon coeur a été si souvent te chercher! Et puis, je n'osais pas accuser ma mère; je ne pouvais pas me décider à t'avouer les petitesses de son caractère et les préjugés de son esprit. J'en étais victime; mais je rougissais de les raconter. Quand on est si loin de toute amitié, si seule, si triste, toute démarche difficile devient impossible. On s'observe, on se craint soi-même, et l'on se suicide dans la peur de se laisser mourir. À présent que te voilà près de moi, je retrouve toute ma confiance, tout mon abandon. Je te dirai tout. Mais d'abord parlons de toi, car mon existence est si monotone, si nulle, si pâle à côté de la tienne! Que de choses tu dois avoir à me raconter!

      Le lecteur doit présumer que Laurence ne raconta pas tout. Son récit fut même beaucoup moins long que Pauline ne s'y attendait. Nous le transcrirons en trois lignes, qui suffiront à l'intelligence de la situation.

      Et d'abord, il faut dire que Laurence était née à Paris dans une position médiocre. Elle avait reçu une éducation simple, mais solide. Elle avait quinze ans lorsque, sa famille étant tombée dans la misère, il lui fallut quitter Paris et se retirer en province avec sa mère. Elle vint habiter Saint-Front, où elle réussit à vivre quatre ans en qualité de sous-maîtresse dans un pensionnat

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