Pauline. Жорж Санд

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Pauline - Жорж Санд

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l'artiste aimée du public est comme un enfant à qui l'univers sert de famille), elle sentait éclore en elle un sentiment à la fois enivrant et douloureux, quelque chose qui tenait le milieu entre l'admiration et la crainte, entre la tendresse et l'envie. Quant à l'aveugle, elle était instinctivement captivée et comme vivifiée par le beau son de cette voix, par la pureté de ce langage, par l'animation de cette causerie intelligente, colorée et profondément naturelle, qui caractérise les vrais artistes, et ceux du théâtre particulièrement. La mère de Pauline, quoique remplie d'entêtement dévot et de morgue provinciale, était une femme assez distinguée et assez instruite pour le monde où elle avait vécu. Elle l'était du moins assez pour se sentir frappée et charmée, malgré elle, d'entendre quelque chose de si différent de son entourage habituel, et de si supérieur à tout ce qu'elle avait jamais rencontré. Peut-être ne s'en rendait-elle pas bien compte à elle-même; mais il est certain que les efforts de Laurence pour la faire revenir de ses préventions réussissaient au delà de ses espérances. La vieille femme commençait à s'amuser si réellement de la causerie de l'actrice, qu'elle l'entendit avec regret, presque avec effroi, demander des chevaux de poste. Elle fit alors un grand effort sur elle-même, et la pria de rester jusqu'au lendemain. Laurence se fit un peu prier. Sa mère, retenue à Paris par une indisposition de sa seconde fille, n'avait pu partir avec elle. Les engagements de Laurence avec le théâtre d'Orléans l'avaient forcée de les y devancer; mais elle leur avait donné rendez-vous à Lyon, et Laurence voulait y arriver en même temps qu'elles, sachant bien que sa mère et sa soeur, après quinze jours de séparation (la première de leur vie), l'attendraient impatiemment. Cependant l'aveugle insista tellement, et Pauline, à l'idée de se séparer de nouveau, et pour jamais sans doute, de son amie, versa des larmes si sincères, que Laurence céda, écrivit à sa mère de ne pas être inquiète si elle retardait d'un jour son arrivée à Lyon, et ne commanda ses chevaux que pour le lendemain soir. L'aveugle, entraînée de plus en plus, poussa la gracieuseté jusqu'à vouloir dicter une phrase amicale pour son ancienne connaissance, la mère de Laurence.

      – Cette pauvre madame S… ajouta-t-elle lorsqu'elle eut entendu plier la lettre et pétiller la cire à cacheter, c'était une bien excellente personne, spirituelle, gaie, confiante… et bien étourdie! car enfin, ma pauvre enfant, c'est elle qui répondra devant Dieu du malheur que tu as eu de monter sur les planches. Elle pouvait s'y opposer, et elle ne l'a pas fait! Je lui ai écrit trois lettres à cette occasion, et Dieu sait si elle les a lues! Ah! si elle m'eût écoutée, tu n'en serais pas là!..

      – Nous serions dans la plus profonde misère, répondit Laurence avec une douce vivacité, et nous souffririons de ne pouvoir rien faire l'une pour l'autre, tandis qu'aujourd'hui j'ai la joie de voir ma bonne mère rajeunir au sein d'une honnête aisance; et elle est plus heureuse que moi, s'il est possible, de devoir son bien-être à mon travail et à ma persévérance. Oh! c'est une excellente mère, ma bonne madame D… et, quoique je sois actrice, je vous assure que je l'aime autant que Pauline vous aime.

      – Tu as toujours été une bonne fille, je le sais, dit l'aveugle. Mais enfin comment cela finira-t-il? Vous voilà riches, et je comprends que ta mère s'en trouve fort bien, car c'est une femme qui a toujours aimé ses aises et ses plaisirs; mais l'autre vie, mon enfant, vous n'y songez ni l'une ni l'autre!.. Enfin, je me réfugie dans la pensée que tu ne seras pas toujours au théâtre, et qu'un jour viendra où tu feras pénitence.

      Cependant le bruit de l'aventure qui avait amené à Saint-Front, route de Paris, une dame en chaise de poste qui croyait aller à Villiers, route de Lyon, s'était répandue dans la petite ville, et y donnait lieu, depuis quelques heures, à d'étranges commentaires. Par quel hasard, par quel prodige, cette dame de la chaise de poste, après être arrivée là sans le vouloir, se décidait-elle à y rester toute la journée? Et que faisait-elle, bon Dieu! chez les dames D…? Comment pouvait-elle les connaître? Et que pouvaient-elles avoir à se dire depuis si longtemps qu'elles étaient enfermées ensemble? Le secrétaire de la mairie, qui faisait sa partie de billard au café situé justement en face de la maison des dames D… vit ou crut voir passer et repasser derrière les vitres de cette maison la dame étrangère, vêtue singulièrement, disait-il, et même magnifiquement. La toilette de voyage de Laurence était pourtant d'une simplicité de bon goût; mais la femme de Paris, et la femme artiste surtout, donne aux moindres atours un prestige éblouissant pour la province. Toutes les dames des maisons voisines se collèrent à leurs croisées, les entr'ouvrirent même, et s'enrhumèrent toutes plus ou moins, dans l'espérance de découvrir ce qui se passait chez la voisine. On appela la servante comme elle allait au marché, on l'interrogea. Elle ne savait rien, elle n'avait rien entendu, rien compris; mais la personne en question était fort étrange, selon elle. Elle faisait de grands pas, parlait avec une grosse voix, et portait une pelisse fourrée qui la faisait ressembler aux animaux des ménageries ambulantes, soit à une lionne, soit à une tigresse; la servante ne savait pas bien à laquelle des deux. Le secrétaire de la mairie décida qu'elle était vêtue d'une peau de panthère, et l'adjoint du maire trouva fort probable que ce fût la duchesse de Berry. Il avait toujours soupçonné la vieille D… d'être légitimiste au fond du coeur, car elle était dévote. Le maire, assassiné de questions par les dames de sa famille, trouva un expédient merveilleux pour satisfaire leur curiosité et la sienne propre. Il ordonna au maître de poste de ne délivrer de chevaux à l'étrangère que sur le vu de son passe-port. L'étrangère, se ravisant et remettant son départ au lendemain, fit répondre par son domestique qu'elle montrerait son passe-port au moment où elle redemanderait des chevaux. Le domestique, fin matois, véritable Frontin de comédie, s'amusa de la curiosité des citadins de Saint-Front, et leur fit à chacun un conte différent. Mille versions circulèrent et se croisèrent dans la ville. Les esprits furent très-agités, le maire craignit une émeute; le procureur du roi intima à la gendarmerie l'ordre de se tenir sur pied, et les chevaux de l'ordre public eurent la selle sur le dos tout le jour.

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