Isidora. Жорж Санд

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Isidora - Жорж Санд

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de sourire en recevant mon dernier baiser.

      Deux heures après je recevais le billet suivant:

      «Ce que je prévoyais est arrivé: le lâche qui m'a insultée au bal a instruit le comte de mon escapade. Je viens d'avoir une scène affreuse avec ce dernier. Mais j'ai dominé sa colère par mon audace. Je ne veux pas être chassée par cet homme, je veux le quitter au moment où il sera le plus courbé à mes pieds. Pour écarter ses soupçons, je pars avec lui pour un de ses châteaux. Je serai bientôt de retour, et alors, Jacques, je verrai si tu m'aimes.»

      O Julie! votre immense et pauvre orgueil nous perdra!

      15 janvier.

      Elle pouvait quitter cet homme et fuir le mal à l'instant même. Elle ne l'a pas voulu!.. Est-ce la crainte de la misère? Non, Julie, tu ne sais pas mentir, mais la crainte d'un mépris qui devait t'honorer pour la première fois de ta vie, t'a rejetée dans l'abîme. Tu n'as pas compris que la raillerie des âmes vicieuses allait cette fois te réhabiliter devant Dieu! Et comment n'aurais-tu pas perdu la notion du vrai et du juste sur ces choses délicates! Pauvre infortunée, ta vie a été un long mensonge à tes propres yeux!

      Je l'attends toujours… Je l'aime toujours… Et pourtant elle a compté pour rien ma souffrance et ma honte. Elle subit l'amour avilissant de ce gentilhomme pour s'épargner le dépit d'être quittée, et pour se réserver la gloire de quitter la première! Dieu de bonté, ayez pitié d'elle et de moi!

      29 janvier.

      Elle n'est pas revenue! Elle ne reviendra peut-être pas!

      30 janvier.

      Billet de Julie, du château de***.

      «Jacques, je pars pour l'Italie. Ne songez plus à moi. J'ai réfléchi. Vous n'auriez jamais pu m'aimer sans vouloir me dominer et m'humilier. Je domine et j'humilie Félix. J'ai encore besoin de cette vengeance pendant quelque temps. Ne croyez pas que je sois heureuse: vingt fois par jour je suis comme prête à me tuer! Mais je veux mourir debout, vois-tu, et non pas vivre à genoux. J'ai trop bu dans cette coupe du repentir et de la pénitence, je ne veux pas surtout que la main d'un amant la porte à mes lèvres.»

      CAHIER № 4. TRAVAIL

      1er mai.

      Mon ouvrage est fort avancé, et la question des femmes est à peu près résolue pour moi. Etres admirables et divins, vous ne pouvez grandir que dans la vertu, et vous abjurez votre force en perdant la sainte pudeur. C'est un frein d'amour et de confiance qu'il fallait à votre expansion puissante, et nous vous avons forgé un joug de crainte et de haine! Nous en recueillons les fruits. Oh! qu'ils sont amers à nos lèvres et aux vôtres!

      DEUXIÈME PARTIE

      ALICE

      Dans un joli petit hôtel du faubourg Saint-Germain, plusieurs personnes étaient réunies autour de madame de T… Que madame de T… fût comtesse ou marquise, c'est ce que je n'ai pas retenu et ce qui importe le moins. Elle avait un nom plus doux à prononcer qu'un titre quelconque: elle s'appelait Alice.

      Elle était ce jour-là au milieu de ses nobles parents; aucun ne lui ressemblait. Ils étaient rogues et fiers. Elle était simple, modeste et bonne.

      C'était une femme de vingt-cinq ans, d'une beauté pure et touchante, d'un esprit mur et sérieux, d'une tournure jeune et pleine d'élégance. Au premier abord, cette beauté avait un caractère peut-être trop chaste et trop grave pour qu'il y eût moyen de mettre, comme on dit, un roman sur cette figure-là. L'extrême douceur du regard, la simplicité des manières et des ajustements, le parler un peu lent, l'expression plus juste et plus sensée qu'originale et brillante, tous ces dehors s'accordaient parfaitement avec tout ce que le monde savait de la vie d'Alice de T… Un mariage de convenance, un veuvage sans essai et sans désir de nouvelle union, une absence totale de coquetterie, aucune ambition de paraître, une conduite irréprochable, une froideur marquée et quelque peu hautaine avec les hommes à succès, une bienveillance désintéressée à l'égard des femmes, des amitiés sérieuses sans intimité exclusive, c'était là tout ce qu'on en pouvait dire. Lions et lionnes de salons la détestaient et la déclaraient impertinente, bien qu'elle fût d'une politesse irréprochable, savante même, et calculée comme l'est celle d'une personne fière à bon droit, au milieu des sots et des sottes. Les gens de coeur et d'esprit, qui sont en minorité dans le monde, l'estimaient au contraire; mais ils lui eussent voulu plus d'abandon et d'élan. Quelques observateurs l'étudiaient, cherchant à découvrir un secret de femme sous cette réserve inexplicable; mais ils y perdaient leur science. Cependant, disaient-ils, cet oeil noir si calme a des éclairs rapides presque insaisissables; ces lèvres qui parlent si peu ont quelquefois un tremblement nerveux, comme si elles refoulaient une pensée ardente; cette poitrine si belle et si froide a comme des tressaillements mystérieux. Puis tout cela s'efface avant qu'on ait pu l'étudier, avant qu'on puisse dire si c'est une aspiration violentée par la prudence, ou quelque bâillement de profond ennui étouffé par le savoir-vivre.

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      Le journal de Jacques Laurent est daté de 183x, époque à laquelle les dominos étaient seuls admis au bal de l'Opéra. On n'y dansait pas.

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