Isidora. Жорж Санд

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Isidora - Жорж Санд

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vous êtes ma mie, une fille suivante,

      Un peu trop forte en gueule et fort impertinente.

      Le domino provocateur ne fit que rire de la citation; mais changeant bientôt de ton et de tactique:

      «Ton courroux me plaît, dit-elle, et me donne une excellente opinion de toi. Sache donc que tout ceci était une épreuve; que j'aime trop Julie pour l'attaquer sérieusement, et qu'elle saura demain combien tu es digne de l'honnête amitié qu'elle a pour ton personnage flegmatique, philosophique et botanique. Je veux que nous fassions connaissance chez elle à visage découvert, et que la paix soit signée entre nous sous ses auspices. Allons, viens t'asseoir avec moi sur un banc. Je suis déjà fatiguée de marcher, et mon envie de rire se passe. Julie prétend que tu es un grand philosophe, je serais bien aise d'en profiter.»

      Soit faiblesse, soit curiosité, soit un vague prestige qui, de Julie, se reflétait à mes yeux sur cette femme légère, comme la brillante lueur de l'astre sur quelque obscur satellite, je la suivis, et bientôt nous nous trouvâmes dans une loge du quatrième rang, assis tellement au-dessus de la foule, que sa clameur ne nous arrivait plus que comme une seule voix, et que nous étions comme isolés à l'abri de toute surveillance et de toute distraction. Elle commença alors des discours étranges où le plus énergique enivrement se mêlait à la plus adroite réserve; elle paraissait continuer l'entretien piquant que nous avions commencé en bas, ou du moins passer naturellement de ce fait particulier à une théorie générale sur l'amour. Et comme il me semblait que c'était ou une provocation directe, ou le désir de m'arracher par surprise quelque secret de coeur relatif à Julie, je me tenais sur mes gardes. Mais elle se railla de ma prudence, et après avoir finement fustigé la présomption qu'elle m'attribuait dans les deux cas, elle me força à ne voir dans ses discours qu'une provocation à des théories sérieuses de ma part sur la question brûlante qu'elle agitait. J'étais scandalisé d'abord de cette facilité sans retenue et sans fierté à soulever devant moi le voile sacré à travers lequel j'ai à peine osé jusqu'ici interroger le coeur des femmes; mais son esprit souple et fécond, une sorte d'éloquence fiévreuse quelle possède, réussirent peu à peu à me captiver. Après tout, me disais-je, voici une excellente occasion d'étudier un nouveau type de femme, qui, dans sa fougue audacieuse, m'est tout aussi inconnu que me l'était il y a peu de jours le calme divin de Julie. Voyons à quelle distance de l'homme peut s'élever ou s'abaisser la puissance de ce sexe!

      – Allons, me disait-elle, réponds, mon pauvre philosophe! n'as-tu donc rien à m'enseigner? Je t'ai attiré ici pour m'instruire. Moralise-moi si tu peux. De quoi veux-tu parler au bal masqué avec une femme, si ce n'est d'amour? Eh bien, prononce-toi, admets ou réfute mes objections. Que feras-tu de la passion dans ta république idéale? Dans quelle série de mérites rangeras-tu la pécheresse qui a beaucoup aimé? Sera-ce au-dessous, ou au-dessus, ou simplement à côté de la vierge qui n'a point aimé encore, ou de la matrone à qui les soins vertueux du ménage n'ont pas permis d'être aimable, et, par conséquent, d'être émue et enivrée de l'amour d'un homme? Voueras-tu un culte exclusif à ces fleurs sans parfum et sans éclat qui végètent à l'ombre, et qui, ne connaissant pas le soleil, croient que le soleil est l'ennemi de la vie? Je sais que tu adores le camélia; apparemment tu méprises la rose?

      – La rose est enivrante, répondis-je, mais elle ne vit qu'un instant. Je voudrais lui donner la persistance et la durée du camélia blanc, symbole de pureté.

      – C'est cela, tu voudrais lui enlever sa couleur et son parfum, et tu oserais dire aux jardiniers de ton espèce: «Voyez, chers cuistres, mes frères, quel beau monstre vient d'éclore sous mon châssis!» Tiens, froid rêveur, regarde toutes ces femmes qui sont ici! Je voudrais te faire soulever leurs masques et lire dans leurs âmes. La plupart sont belles, belles de corps et d'intelligence. Celles que tu croirais les plus dépravées sont souvent celles qui ont le plus tendre coeur, l'esprit le plus spontané, les plus nobles intelligences, les entrailles les plus maternelles, les dévouements les plus romanesques, les instincts les plus héroïques. Songes-y, malheureux, toutes ces femmes de plaisir et d'ivresse, c'est l'élite des femmes, ce sont les types les plus rares et les plus puissants qui soient sortis des mains de la nature; et c'est pourquoi, grâce aux législateurs pudiques de la société, elles sont ici, cherchant l'illusion d'un instant d'amour, au milieu d'une foule d'hommes qui feignent de les aimer, et qui affectent entre eux de les mépriser. Les plus beaux et les meilleurs êtres de la création sont là, forcés de tout braver, ou de se masquer et de mentir, pour n'être pas outragés à chaque pas. Et c'est là votre ouvrage, hommes clairvoyants, qui avez fait de votre amour un droit, et du nôtre un devoir!

      Elle me parla longtemps sur ce ton, et me fit entendre de si justes plaintes, elle sut donner tant d'attraits et de puissance è ce dieu d'Amour dont elle semblait vouloir élever le culte sur les ruines de tous les principes, que les heures de la nuit s'envolèrent pour moi comme un songe. La parole de celle femme me subjuguait; la laideur de son déguisement, l'effroi que m'inspirait son masque, et jusqu'à l'éclat lugubre de la fête où elle m'avait entraîné, tout cela disparaissait autour de moi. Toute son âme, tout son être semblaient être passés dans cette parole ardente, et cette voix feinte, qu'elle maintenait avec art pour ne pas se faire reconnaître, cette voix de masque qui m'avait blessé le tympan d'abord, prenait pour moi des inflexions étranges, quelque chose d'incisif, de pénétrant, qui agissait sur mes nerfs, si ce n'est sur mon âme. Je me sentais vaincu, modifié et comme transformé dans mes opinions en l'écoutant. Je lui demandai grâce. Je suis trop agité pour répondre, lui dis-je, je veux rentrer en moi-même, et savoir si à l'abri de votre éloquence je dois vous admirer ou vous plaindre.

      – Eh bien, dit-elle en se levant, consulte l'oracle! Demande à Julie ce qu'elle doit penser du caquet de sa femme de chambre. Je te donne rendez-vous ici, à cette place et à cette heure, d'aujourd'hui en huit. Si tu n'y viens pas, je te regarderai comme vaincu, et je regretterai le temps que j'aurai perdu à provoquer un adversaire si faible.

      Elle disparut. J'étais si accablé, que je ne songeai pas à la suivre. Puis je le regrettai aussitôt, et me mis à sa recherche, mais inutilement. Il y avait dans le bal plus de cent dominos à noeuds roses. Une ouvreuse de loges, avec qui je sus engager une conversation, m'apprit que les femmes comme il faut ne portaient jamais aucun ornement, et que leur costume était uniformément noir comme la nuit.

      Cette femme m'a bouleversé le cerveau. 0 Julie! j'ai besoin de vous revoir et de vous entendre pour effacer ce mauvais rêve, pour me rattacher à l'adoration fervente et inviolable de la clarté sans ombre et de la pudeur sans trouble.

      8 janvier.

      Un mauvais génie a présidé au destin de la semaine. Une fois je suis allé au jardin, elle n'a point paru; une autre fois j'ai essayé de pénétrer dans l'enclos par le rez-de-chaussée; les portes étaient replacées, les serrures posées et fermées. J'ai fait une tentative désespérée auprès de madame Germain; j'ai humblement demandé la permission de prendre un peu d'air et de mouvement dans ce jardin inoccupé. Elle m'a aigrement refusé.

      «De l'air et du mouvement, Monsieur n'en manque pas, puisqu'il passe les nuits à courir!»

      J'ai offert de l'argent; mais je ne suis pas assez riche pour corrompre.

      «Monsieur n'en aura pas de trop pour acquitter les dettes des locataires insolvables. D'ailleurs, c'est ma consigne: le jardin n'est ouvert à personne.»

      J'irai au bal de l'Opéra ce soir: je ferai cette folie. J'interrogerai ce masque, je saurai si Julie est malade ou si elle a quelque chagrin. Je ferai semblant d'être galant pour me rendre favorable cette femme étrange qui prétend la connaître… et qui m'a peut-être trompé. Comment Julie pourrait-elle se lier d'amitié avec un, caractère si différent du sien?

      10 janvier

      Me voilà brisé, anéanti! Non, je n'aurai

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