La Daniella, Vol. II. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. II - Жорж Санд

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les autres bienfaits dont j'ai à te récompenser?

      – Nous parlerons de récompense plus tard. Pour le moment, sachez que tous les avertissements et renseignements que la Daniella et la Mariuccia ont reçus à temps pour vous faire cacher, et pour soustraire vos effets aux recherches, viennent de moi, qui suis un homme de tête, et non de ce capucin, qui est une huître au soleil.

      – De toi? J'aurais dû m'en douter? Mais pourquoi m'a-t-on dit les tenir du capucin?

      – C'est la Daniella qui vous a dit ça? Je comprends! Elle sait que vous vous méfiez de moi. Heureusement, elle n'est pas comme vous; elle m'estime, elle sait qui je suis… sous tous les rapports! Car si, dans le temps, j'avais voulu abuser de son innocence… mais je ne l'ai pas voulu, mossiou!

      Il s'arrêta, voyant qu'il rouvrait ma blessure, et que, lié par la reconnaissance qu'il me fallait lui devoir, je résistais avec peine à l'envie de le jeter à la porte. Je crois que le drôle sait le défaut de la cuirasse et qu'il se venge ainsi, par le menu, du peu de cas que je fais de lui. Mais il est poltron en face de moi, et le moindre froncement de sourcil coupe court à ses velléités de représailles.

      Il détourna la conversation en essayant de me parler de Medora.

      – On dit à Rome, reprit-il, qu'elle est allée à Florence pour épouser son cousin; mais je sais qu'il n'y a rien de vrai. Elle ne l'aime pas.

      – Comment sais-tu cela, maintenant que la Daniella n'est plus auprès d'elle pour te révéler ses pensées?

      – Eh! mon Dieu! je le sais par milord B***, qui croit être bien réservé, et à qui je fais dire tout ce que je veux… après dîner.

      – Et comment sais-tu ce qui me concerne dans l'affaire de l'image de la madone?

      – Vous allez me dire encore que je suis dans la police? Cela n'est pas! mais on a des amis partout. Je sais tout ce qui vous concerne, et bien plus de choses que je ne vous en dis.

      – Il faudrait cependant, si tu as tant de zèle pour moi, me mettre à même de lutter contre mes ennemis.

      – Cela viendra en temps et en lieu; rien ne presse. Mais vous êtes fatigué, mossiou! Comme on ne sait jamais ce qui peut arriver, vous feriez bien de dormir un peu et de vous tenir en force et santé devant les événements.

      J'étais fatigué, en effet. La brusque transition de ma belle vie de roman et d'amour à ce nouvel état de choses déplaisantes m'avait accablé comme si je fusse tombé matériellement au fond d'un abîme.

      – Voulez-vous que j'emporte la clef de votre chambre? dit Tartaglia d'un ton léger, en me souhaitant le bonsoir.

      La question était grave: il pouvait s'être chargé de me faire empoigner sans bruit, et de manière à laisser croire à mon protecteur que je m'étais rendu de bonne grâce, par ennui de la solitude. Jusque-là, il m'avait vu disposé à vendre ma liberté le plus cher possible. S'il me trahissait, il devait vouloir me surprendre endormi.

      Mais, comme je vous l'ai dit, j'étais déjà las de me méfier et de me préserver d'événements que je n'ai pu promettre à Daniella d'éviter; et d'ailleurs, si je devais être vendu par Tartaglia, je trouvais une sorte de plaisir amer à pouvoir dire un jour à ma maîtresse imprudente: «Voilà l'effet de votre amitié pour ce coquin». Si, au contraire, le coquin était loyal envers moi, je lui devais réparation formelle da mes injustices.

      – Prends la clef, lui dis-je et bonne nuit!

      Il me parut enchanté de cette réponse. Ses yeux de Scapin brillèrent soit d'une joie de chat qui happe sa proie, soit de reconnaissance pour mon bon procédé.

      – Dormez en paix, Excellence, me dit-il, et sachez que personne au monde ne viendra vous troubler! Il y a défense absolue d'entrer ici, où l'on sait que vous êtes et où vous voyez qu'on vous laisse tranquille.

      – On le sait donc positivement? Tu ne me l'avais pas dit!

      – On le sait positivement, Excellence! et on espère que vous ferez une tentative d'évasion, ce qui serait une imprudence et une folie. On croit que vous serez chassé du gîte par la faim; mais ils ont compté sans Tartaglia, ces bons messieurs!

      Il prit mes habits et se mit à les brosser dans l'antichambre. J'étais si fatigué, que je m'endormis à demi, au bruit de sa vergette.

      Je m'éveillai au bout d'une heure, et je vis mon drôle assis devant mon feu, occupé à lire tranquillement, en se chauffant les pieds, l'album qui contient ce récit depuis le jour de Pâques. (Vous avez dû recevoir tout ce qui précède; je vous l'ai envoyé de Rome, ce jour-là, par Brumières, qui a un ami à l'ambassade française.)

      En voyant ce coquin feuilleter mon journal et s'arrêter sur quelques pages qui semblaient l'intéresser, je fus sur le point de me lever pour lui administrer à l'improviste une grêle de soufflets; mais cette réflexion me retint:

      – S'il est; comme je n'en peux guère douter, de la police, il va se convaincre que je n'ai pas la plus petite préoccupation ni affiliation politique, et mon principal moyen de salut est dans ses mains. Laissons-le faire.

      Il y avait, d'ailleurs, dans la tranquillité de sa lecture, quelque chose qui me rassurait sur ses projets immédiats: il n'avait nullement l'air et l'attitude d'un homme qui se dispose à un coup de main. Tout à coup, il fut pris d'un fou rire qu'il contint pendant quelques instants en se tenant le ventre, et qui finit par éclater. C'était un motif suffisant pour m'éveiller ostensiblement. Je me soulevai sur mon lit et le regardai en face. Le rire se figea sur sa figure burlesque. Ce fut une scène muette comme dans les pantomimes italiennes.

      Son premier mouvement avait été de cacher l'album; mais, voyant qu'il était trop tard, il prit bravement son parti.

      – Mon Dieu, mossiou, s'écria-t-il, que c'est donc joli et amusant de se voir raconté comme ça jour par jour et mot pour mot! Je vous demande bien pardon si j'ai été indiscret; mais j'aime tant les arts, qu'en voyant là votre album, je n'ai pas pu résister à l'envie de l'ouvrir; je croyais y trouver des dessins, des vases du pays, et pas du tout, le nom de Tartaglia m'est sauté aux yeux. Ça m'est égal, mossiou, d'être là dedans trait pour trait; Tartaglia n'est pas mon vrai nom, pas plus que Benvenuto, et ça ne peut pas me compromettre. Et puis vous avez tant d'esprit et vous dites si bien les choses, que je suis content de me les rappeler comme ça en détail, telles qu'elles se sont passées. Oui, voilà notre promenade de nuit sur les chevaux de la Medora, et toutes mes paroles, comme je vous les disais, sur les brigands, sur l'illumination de Saint-Pierre et sur la manière habile dont je vous ai forcé à vous servir de ces chevaux dérobés par moi pour la circonstance. Avouez, mossiou, que vous avez beau vous méfier de moi, vous êtes content de reconnaître que je ne suis pas un engourdi ni un imbécile?

      – Comme tu es charmé de mon opinion sur ton compte, tout est pour le mieux, et nous sommes satisfaits l'un de l'autre, n'est-il pas vrai?

      – Excellence, je vous l'ai dit, s'écria-t-il avec conviction en se levant, et je ne m'en dédis pas, je vous aime! Vous me traitez de canaille et de gredin en écrit et en paroles; mais, avec la certitude d'avoir un jour votre amitié comme vous avez la mienne, je prends tous ces mots-là pour des facéties qu'on peut se permettre entre amis.

      – A la bonne heure, ami de mon coeur! A présent, tu es bien sûr que je ne conspire pas contre le pape, et tu voudras bien ne plus toucher à ce que j'écris, à moins qu'il ne te plaise recevoir…

      – Bah!

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