Valvèdre. Жорж Санд

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Valvèdre - Жорж Санд

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et, tout en discutant de la sorte, je ne sais plus comment nous vînmes à parler de M. de Valvèdre et de sa femme. J'étais assez curieux de savoir ce qu'il y avait de vrai dans les commérages de Moserwald, et Obernay était précisément disposé à une extrême réserve. Il faisait le plus grand éloge de son ami, et il évitait d'avoir une opinion sur le compte de madame de Valvèdre; mais, malgré lui, il devenait nerveux et presque irascible en prononçant son nom. Il avait des réticences troublées; le rouge lui montait au front quand je lui en demandais la cause. Mon esprit fit fausse route. Je m'imaginai qu'en dépit de sa vertu, de sa raison et de sa volonté, il était amoureux de cette femme, et, dans un moment où il s'en défendait le plus, il m'échappa de lui dire ingénument:

      – Elle est donc bien séduisante!

      – Ah! s'écria-t-il en frappant du poing sur la boîte de métal qui contenait ses plantes et qui lui avait servi d'oreiller, je vois que les mauvaises pensées de ce juif ont déteint sur toi. Eh bien, puisque tu me pousses à bout, je te dirai la vérité. Je n'estime pas la femme dont tu me parles… A présent, me croiras-tu capable de l'aimer?

      – Eh! mais… c'est quelquefois une raison de plus; l'amour est si fantasque!

      – Le mauvais amour, ou l'amour des romans et des drames modernes; mais les mauvaises amours n'éclosent que dans les âmes malsaines, et, Dieu merci, la mienne est pure. La tienne est-elle donc déjà corrompue, que tu admets ces honteuses fatalités?

      – Je ne sais si mon âme est pure comme la tienne, mon cher Henri; mais elle est vierge, voilà ce dont je puis te répondre.

      – Eh bien, ne la laisse pas gâter et affaiblir d'avance par ces idées fausses. Ne te laisse pas persuader que l'artiste et le poëte soient destinés à devenir la proie des passions, et qu'il leur soit permis, plus qu'aux autres hommes, d'aspirer à une prétendue grande vie sans entraves morales; ne t'avoue jamais à toi-même, quand même cela serait, que tu peux tomber sous l'empire d'un sentiment indigne de toi!..

      – Mais, en vérité, tu vas me faire peur de moi-même, si tu continues! Tu me mets sous les yeux des dangers auxquels je ne songeais pas, et pour un peu je croirais que c'est moi qui suis épris, sans la connaître, de cette fameuse madame de Valvèdre.

      – Fameuse! Ai-je dit qu'elle était fameuse? reprit Obernay en riant avec un peu de dédain. Non; la renommée n'a rien à faire avec elle, ni en bien ni en mal. Sache que les aventures qu'on lui prête à Genève, selon M. Moserwald (et je crois qu'on ne lui en prête aucune), n'existent que dans l'imagination de ce triomphant israélite. Madame de Valvèdre vit à la campagne, fort retirée, avec ses deux belles-soeurs et ses deux enfants.

      – Je vois que Moserwald est, en effet, mal renseigné: il m'avait dit quatre enfants et une belle-soeur; mais, toi, sais-tu que tu te contredis beaucoup sur le compte de cette femme? Elle est irréprochable, et pourtant tu ne l'estimes pas!

      – Je ne sais rien à reprendre dans sa conduite; je n'estime pas son caractère, son esprit, si tu veux.

      – En a-t-elle, de l'esprit?

      – Moi, je ne trouve pas; mais elle passe pour en avoir.

      – Elle est toute jeune?

      – Non! Elle s'est mariée à vingt ans, il y a déjà… oui, il y a dix ans environ. Elle peut avoir la trentaine.

      – Eh! ce n'est pas si jeune, en effet! Et son mari?

      – Il a quarante ans, lui, et il est plus jeune qu'elle, car il est agile et fort comme un sauvage, tandis qu'elle est nonchalante et fatiguée comme une créole.

      – Qu'elle est?

      – Non, c'est la fille d'une Espagnole et d'un Suédois; son père était consul à Alicante, où il s'est marié.

      – Singulier mélange de races! Cela doit avoir produit un type bizarre?

      – Très-réussi comme beauté physique.

      – Et morale?

      – Morale, moins, selon moi… Une âme sans énergie, un cerveau sans étendue, un caractère inégal, irritable et mou; aucune aptitude sérieuse et de sots dédains pour ce qu'elle ne comprend pas.

      – Même pour la botanique?

      – Oh! pour la botanique plus que pour toute autre chose.

      – En ce cas, me voilà bien rassuré sur ton compte. Tu n'aimes pas, tu n'aimeras jamais cette femme-là!

      – Cela, je t'en réponds, dit gaiement mon ami en rebouclant son sac et en repassant sa _jeannette1 en sautoir. Il est permis aux fleurs de ne pas aimer les femmes; mais les femmes qui n'aiment pas les fleurs sont des monstres!

      Il me serait bien impossible de dire pourquoi et comment cet entretien brisé et repris plusieurs fois durant le reste de la journée, et toujours sans aucune préméditation de part ou d'autre, engendra en moi une sorte de trouble et comme une prédisposition à subir les malheurs dont Obernay voulait me préserver. On eût dit que, doué d'une subite clairvoyance, il lisait dans le livre de mon avenir. Et pourtant je n'étais ni un caractère passif, ni un esprit sans réaction; mais je croyais beaucoup à la fatalité. C'était la mode en ce temps-là, et croire à la fatalité, c'est la créer en nous-mêmes.

      – Qui donc va s'emparer de moi? me disais-je en m'endormant avec peine vers minuit, tandis qu'Obernay, couché à six heures du soir, se relevait pour se livrer aux observations scientifiques dont son ami lui avait confié le programme. Pourquoi Henri a-t-il paru si inquiet de moi? Son oeil exercé à lire dans les nuages a-t-il aperçu au delà de l'horizon les tempêtes qui me menacent? Qui donc vais-je aimer? Je ne connais aucune femme qui m'ait fait beaucoup songer, si ce n'est deux ou trois grandes artistes lyriques ou dramatiques auxquelles je n'ai jamais parlé et ne parlerai probablement jamais. J'ai eu la vie, sinon la plus calme, du moins la plus pure. J'ai senti en moi les forces de l'amour, et j'ai su les conserver entières pour un objet idéal que je n'ai pas encore rencontré.

      Je rêvai, en donnant, à une femme que je n'avais jamais vue, que, selon toute apparence, je ne devais jamais voir, à madame de Valvèdre. Je l'aimai passionnément durant je ne sais combien d'années dont la vision ne dura peut-être pas une heure; mais je m'éveillai surpris et fatigué de ce long drame dont je ne pus ressaisir aucun détail. Je chassai ce fantôme et me rendormis sur le côté gauche. J'étais agité. Le juif Moserwald m'apparut et m'offensa si cruellement, que je lui donnai un soufflet. Éveillé de nouveau, je retrouvai sur mes lèvres des mots confus qui n'avaient aucun sens. Dans mon troisième somme, je revis le même personnage, amical et railleur, sous la forme d'un oiseau fantastique énormément gras, qui s'enlevait lourdement de terre, et que je poursuivais cependant sans pouvoir l'atteindre. Il se posait sur les rochers les plus élevés, et, les faisant crouler sous son poids, il m'environnait en riant de lavanges de pierres et de glaçons. Toutes les métaphores dont Obernay m'avait régalé prenaient une apparence sensible, et je ne pus reposer qu'après avoir épuisé ces fantaisies étranges.

      Quand je me levai, Obernay, qui avait veillé jusqu'à l'aube, s'était recouché pour une heure ou deux. Il avait l'admirable faculté d'interrompre et de reprendre son sommeil comme toute autre occupation soumise à sa volonté. Je m'informai de Moserwald; il était parti au point du jour.

      J'attendis le réveil d'Henri, et, après un frugal déjeuner, nous partîmes ensemble pour une belle promenade qui dura une grande partie de la journée, et durant laquelle il ne fut plus question ni

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<p>1</p>

C'est la boîte de fer battu où les botanistes mettent leurs plantes à la promenade pour les conserver fraîches.