Valvèdre. Жорж Санд
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Je me gardai bien de faire part de ces réflexions à Obernay. Je feignis, au contraire, d'acquiescer à tous ses jugements, et je le quittai sans lui avoir opposé la plus légère contradiction. – Je devais revoir Alida, comme la veille, à l'heure du signal de Valvèdre. Fatiguée de la journée de mulet qu'elle avait faite pour venir de Varallo à Saint-Pierre, elle gardait le lit. Paule travaillait à ranger des plantes qu'elle avait fait cueillir en route par les guides, et qu'elle devait, dans la soirée, examiner avec son fiancé, qui lui apprenait la botanique. Instruit de ces détails, et voyant Obernay partir tranquillement pour la promenade en attendant l'heure d'être admis à faire sa cour, je me dispensai de l'accompagner. J'errai à l'aventure autour de la maison et dans la maison même, observant les allées et venues du domestique et de la femme de chambre d'Alida, essayant de surprendre les paroles qu'ils échangeaient, espionnant en un mot, car il me venait comme des révélations d'expérience, et je me disais avec raison que, pour juger le problème de la conduite d'une femme, il fallait avant tout examiner l'attitude des gens qui la servaient. Ceux-ci me parurent empressés de la satisfaire; car, sonnés à plusieurs reprises, ils parcoururent la galerie, montèrent et redescendirent vingt fois l'escalier sans témoigner d'humeur.
J'avais laissé la porte de ma chambre ouverte; il n'y avait pas d'autres voyageurs que nous, et la belle auberge rustique d'Ambroise était si tranquille, que je ne perdais rien de ce qui s'y passait. Tout à coup j'entendis un grand frôlement de jupons au bout du corridor. Je m'élançai, croyant qu'on se décidait à sortir; mais je ne vis passer qu'une belle robe de soie dans les mains de la femme de chambre. Elle venait sans doute de la déballer, car un nouveau mulet chargé de caisses et de cartons était arrivé depuis quelques instants devant l'auberge. Cette circonstance me fit espérer un séjour de plusieurs journées à Saint-Pierre; mais comme celle dont j'attendais la fin me paraissait longue! Serait-elle donc perdue absolument pour mon amour? Que pouvais-je inventer pour la remplir, ou pour faire révoquer l'arrêt des convenances qui me tenait éloigné?
Je me livrai à mille projets plus fous les uns que les autres. Tantôt je voulais me déguiser en marchand d'agates herborisées pour me faire admettre dans ce sanctuaire dont je voyais la porte s'ouvrir à chaque instant; tantôt je voulais courir après quelque montreur d'ours et faire grogner ses bêtes de manière à attirer les voyageuses à leur fenêtre. Il me prit aussi envie de décharger un pistolet pour causer quelque inquiétude dans la maison; on croirait peut-être à un accident, on enverrait peut-être savoir de mes nouvelles, et même si j'étais un peu blessé…
Cette extravagance me sourit tellement, qu'il s'en fallut de bien peu qu'elle ne fût mise à exécution. Enfin je m'arrêtai à un parti moins dramatique qui fut déjouer du hautbois. J'en jouais très-bien, au dire de mon père, qui était bon musicien, et que ne contredisaient pas trop, sous ce rapport, les artistes qui fréquentaient notre maison belge. Ma porte était assez éloignée de celle de madame de Valvèdre pour que ma musique ne troublât pas trop son sommeil, si elle dormait, et, si, elle ne dormait pas, ce qui était plus que probable d'après les fréquentes entrées de sa suivante, elle s'informerait peut-être de l'agréable virtuose: mais quel fut mon dépit lorsqu'au beau milieu de ma plus belle mélodie le valet de chambre, ayant frappé discrètement à ma porte, me tint d'un air aussi embarrassé que respectueux le discours suivant:
– Je demande bien des pardons à monsieur; mais, si monsieur ne tient pas absolument à faire ses études dans une auberge, il y a madame qui est très-souffrante, et qui demande en grâce à monsieur…
Je lui fis signe que c'était assez d'éloquence, et je remis avec humeur mon instrument dans son étui. Elle voulait donc absolument dormir! Mon dépit devint une sorte de rage, et je fis des voeux pour qu'elle eût de mauvais rêves; mais un quart d'heure ne se passa pas sans que je visse reparaître le domestique. Madame de Valvèdre me remerciait beaucoup, et, ne pouvant dormir malgré mon silence, elle m'autorisait à reprendre mes études musicales; en même temps, elle me faisait demander si je n'avais pas un livre quelconque à lui prêter, pourvu que ce fût un ouvrage littéraire et pas scientifique. Le valet fit si bien cette commission, que je pensai qu'il l'avait, cette fois, apprise par coeur. J'avais, pour toute bibliothèque de voyage, un ou deux romans nouveaux en petit format, contrefaçon achetée à Genève, et un tout petit bouquin anonyme que j'hésitai un instant à joindre à mon envoi, et que j'y glissai, ou plutôt que j'y jetai tout à coup, avec l'émotion de l'homme qui brûle ses vaisseaux.
Ce mince bouquin était un recueil de vers que j'avais publié à vingt ans sous le voile de l'anonyme, encouragé par un oncle éditeur qui me gâtait, et averti par mon père que je ferais sagement de ne pas compromettre son nom et le mien pour le plaisir de produire cette bagatelle.
– Je ne trouve pas tes vers trop mauvais, m'avait dit cet excellent père; il y a même des pièces qui me plaisent; mais, puisque tu te destines aux lettres, contente-toi de lancer ceci comme un ballon d'essai, et ne t'en vante pas, si tu veux savoir ce qu'on en pense. Si tu es discret, cette première expérience te servira. Si tu ne l'es pas, et que ton livre soit raillé, d'une part tu en auras du dépit, de l'autre tu te seras créé un fâcheux précédent qu'il sera difficile de faire oublier.
J'avais religieusement suivi ce bon conseil. Mes petits vers n'avaient pas fait grand bruit, mais ils n'avaient pas déplu, et même quelques passages avaient été remarqués. Ils n'avaient, selon moi, qu'un mérite, ils étaient sincères. Ils exprimaient l'état d'une jeune âme avide d'émotions, qui ne se pique pas d'une fausse expérience, et qui ne se vante pas trop d'être à la hauteur de ses rêves.
C'était certes une grande imprudence que je venais de commettre en les envoyant à madame de Valvèdre. Si elle devinait l'auteur et qu'elle trouvât les vers ridicules, j'étais perdu. L'amour-propre ne m'aveuglait pas. Mon livre était l'oeuvre d'un enfant. Une femme de trente ans s'intéresserait-elle à des élans si naïfs, à une candeur si peu fardée?.. Mais pourquoi me devinerait-elle? n'avais-je pas su garder mon secret avec mes meilleurs amis? Et, si j'étais plus troublé à l'idée de ses sarcasmes que je ne pouvais l'être de ceux de toute autre personne, n'avais-je pas une chance de guérison dans le dépit que sa dureté me causerait?
Je ne voulais pourtant pas guérir, je ne le sentais que trop, et les heures se traînaient, mortellement lentes, plus cruelles encore depuis que j'avais fait ce coup de tête d'envoyer mon coeur de vingt ans à une femme nerveuse et ennuyée qui ne lui accorderait peut-être pas un regard. Aucune nouvelle communication ne m'arrivant plus, je sortis pour ne pas étouffer. J'accostai le premier passant, et parlai haut sous la fenêtre des voyageuses. Personne ne parut. J'avais envie de rentrer, et je m'éloignai pourtant, ne sachant où j'allais.
Je marchais à l'aventure sur le chemin qui mène à Varallo, lorsque je vis venir à moi un personnage que je crus reconnaître et dont l'approche me fit singulièrement tressaillir. C'était M. Moserwald, je ne me trompais pas. Il montait à pied une côte rapide; son petit char de voyage le suivait avec ses effets. Pourquoi le retour de cet homme me sembla-t-il un événement digne de remarque? Il parut s'étonner de mes questions. Il n'avait pas dit qu'il quittât la vallée définitivement. Il était allé faire une excursion dans les environs, et, comptant en faire d'autres, il revenait à Saint-Pierre comme au seul gîte possible à dix lieues à la ronde. Pour lui, il n'était pas grand marcheur, disait-il; il ne tenait pas à se casser le cou pour regarder de haut: il trouvait les montagnes plus belles, vues à mi-côte. Il admirait fort les chercheurs d'aventures, mais il leur souhaitait bonne chance et prenait ses aises le plus qu'il pouvait. Il ne comprenait pas qu'on parcourût les Alpes à pied et avec économie. Il fallait là plus qu'ailleurs dépenser beaucoup d'argent pour se divertir un peu.
Après beaucoup de lieux communs de ce genre, il me salua et remonta dans son véhicule; puis, arrêtant son conducteur au premier tour de roue, il me rappela en disant:
– J'y