Valvèdre. Жорж Санд

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Valvèdre - Жорж Санд

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je l'ai vu avant-hier pour la première fois.

      – Il vous avait dit en partant qu'il reviendrait bientôt?

      – Non, monsieur, il ne m'avait rien dit du tout.

      Je ne sais quelle sourde colère s'était emparée de moi en apprenant que ce juif avait eu l'audace ou l'habileté, à peine débarqué, de pénétrer auprès d'Alida, qu'il prétendait ne pas connaître. Obernay s'attarda beaucoup, il faisait nuit quand il rentra; je l'avais attendu pour dîner, et sans mérite aucun, je n'avais certes pas faim. Je ne lui parlai pas de Moserwald, craignant de trahir ma jalousie.

      – Mets-toi à table, me dit-il, il me faut absolument un quart d'heure pour arranger quelques plantes fontinales extrêmement délicates que je rapporte.

      Il me quitta, et Antoine me servit mon repas, disant qu'il connaissait les quarts d'heure d'Obernay déballant son butin de botaniste, et que ce n'était pas une raison pour me faire manger un rôti desséché. J'étais à peine assis, que Moserwald parut, s'écria qu'il était charmé de ne pas souper seul, et ordonna à notre hôte de le servir vis-à-vis de moi, ceci sans m'en demander aucunement la permission. Cette familiarité, qui m'eût diverti dans une autre situation d'esprit, me parut intolérable, et j'allais le lui faire entendre quand, la curiosité dominant toutes mes autres angoisses, je résolus de me contenir et de le faire parler. C'était une curiosité douloureuse et indignée; mais je fus stoïque, et, d'un air tout à fait dégagé, je lui demandai s'il avait réussi à voir madame de Valvèdre.

      – Non, répondit-il en se frottant les mains; mais je la verrai tantôt avec vous, dans une heure.

      – Ah! vraiment?

      – Cela vous étonne? C'est pourtant bien simple. Ma figure et ma voix étaient déjà connues de la belle-soeur, qui m'avait remarqué à Varallo. Oh! je dis cela sans fatuité, je n'ai pas de prétention de ce côté-là. Je note qu'elle m'avait remarqué avant-hier en passant dans ce village où nous nous croisions. Eh bien, nous nous sommes rencontrés de nouveau tout à l'heure, là-haut, dans la galerie. Elle est toute franche, toute confiante, cette grande fille; elle est venue à moi pour savoir si je n'avais pas recueilli sur mon chemin quelque nouvelle de son frère.

      – Dont vous ne saviez rien?

      – Pardon! avec de l'argent, on sait toujours ce qu'on veut savoir. Voyant ces dames inquiètes, j'avais, dès hier au soir, dépéché le plus hardi montagnard de Varallo vers la station présumée de M. de Valvèdre. Ah! dame! cela m'a coûté cher; pendant la nuit et par des sentiers impossibles, il a prétendu que cela valait…

      – Faites-moi grâce des écus que vous avez dépensés. Vous avez des nouvelles de l'expédition?

      – Oui, et de très-bonnes. La soeur a failli me sauter au cou. Elle voulait tout de suite me présenter à madame de Valvèdre; mais celle-ci, qui avait passé la journée dans son lit, était en train de se lever et m'a remis à tantôt. Voilà, mon cher! ce n'est pas plus malin que ça?

      Moserwald ne dissimulait plus ses projets; il avait trop besoin de se vanter de son habileté et de sa libéralité pour être prudent. Ma jalousie essaya de se calmer. Que pouvais-je craindre d'un concurrent si vain et si vulgaire? N'était-ce pas faire injure à une femme exquise comme l'était Alida que de redouter pour elle les séductions d'un Moserwald?

      J'allais le questionner davantage quand Obernay vint manger à la hâte et avec préoccupation un reste de volaille; après quoi, il regarda sa montre et nous dit qu'il était temps de monter chez ces dames pour voir partir les fusées.

      – Il paraît, dit-il à Moserwald, que vous êtes invité à prendre le thé là-haut en remerciement des bonnes nouvelles que vous avez données, ce dont, pour ma part, je vous sais gré; mais permettez-moi une question.

      – Mille, si vous voulez, mon très-cher, répondit Moserwald avec aisance.

      – Vous avez dépêché un montagnard vers la pointe de l'Ermitage; il s'y est rendu à travers mille périls, et vous l'avez attendu à Varallo jusqu'à ce matin. A-t-il vu M. de Valvèdre? lui a-t-il parlé?

      – Il l'a vu de trop loin pour lui parler, mais il l'a vu.

      – C'est fort bien; mais, s'il vous prenait l'obligeante fantaisie d'envoyer encore des exprès et qu'ils parvinssent jusqu'à lui, veuillez ne pas les charger de lui dire que sa femme et sa soeur sont à sa recherche.

      – Pas si sot! s'écria Moserwald avec un rire d'une ingénuité admirable.

      – Comment, pas si sot? répliqua Obernay surpris en le regardant entre les deux yeux.

      Moserwald fut embarrassé un instant; mais son esprit délié lui suggéra vite une réponse assez ingénieuse.

      – Je sais fort bien, reprit-il, que votre savant ami serait fort contrarié de l'arrivée et de l'inquiétude de ces dames. Quand on risque ses os dans une pareille campagne et que l'on a dans l'esprit les grands problèmes de science auxquels je déclare ne rien comprendre, mais dont j'admets la passion, vu que je comprends toutes les passions, moi qui vous parle…

      Obernay l'interrompit avec impatience en jetant sa serviette.

      – Enfin, dit-il, vous avez deviné la vérité. M. de Valvèdre a besoin de toute la liberté d'esprit possible en ce moment. Montons, nous n'avons plus le temps de causer.

      Alida était mise plus simplement que la veille. Je lui sus un gré infini de ne pas s'être parée pour Moserwald; elle n'en était, d'ailleurs, que plus belle. Je ne sais pas si sa belle-soeur était moins négligée que le jour précédent; je crois que je ne la vis pas du tout ce soir-là. J'étais si rempli de mon drame intérieur, que je m'imaginais presque être en tête-à-tête avec madame de Valvèdre.

      Son premier accueil fut froid et méfiant. Elle parut être impatiente de voir partir la fusée. Je ne la suivis pas sur le balcon. Je ne sais pas si les signaux furent de bon augure, je ne me souviens pas de m'en être enquis. Je sais seulement qu'un quart d'heure après, Paule de Valvèdre et son fiancé étaient assis à une grande table, et qu'ils examinaient des plantes, baptisant de noms barbares ou pompeux la bourrache et le chiendent, pendant que madame de Valvèdre, à demi couchée sûr sa chaise longue, avec un guéridon placé entre elle et moi, brodait nonchalamment sur du gros canevas, comme pour se dispenser de rencontrer les regards. Je voyais bien, à ses mains distraites, qu'elle ne travaillait que pour se renfermer en elle-même. Ses traits expressifs avaient en ce moment une placidité mystérieuse. Il n'y avait, à coup sûr, aucune affinité sympathique entre elle et Moserwald. Je remarquai même avec plaisir qu'au fond des paroles de politesse et de remerciement qu'elle lui adressa dans une forme très-laconique, il y avait un léger dédain.

      Je me rassurai tout à fait en remarquant aussi que l'israélite, d'abord plein d'aplomb vis-à-vis d'elle, perdait à chaque minute un peu de sa vitalité. Sans doute, il avait compté, comme d'habitude, sur les saillies enjouées et paradoxales de son esprit naturel pour faire passer son manque d'éducation; mais sa faconde l'avait rapidement abandonné. Il ne disait plus que des platitudes, et je l'y aidais cruellement, devinant un imperceptible sourire d'ironie sur les lèvres closes de madame de Valvèdre.

      Pauvre Moserwald! il était pourtant meilleur et plus vrai en ce moment de sa vie qu'il ne l'avait peut-être jamais été. Il était amoureux et très-réellement ému. Comme moi, il buvait l'étrange poison de passion irrésistible qui m'avait enivré, et, quand je songe à tout ce que par la suite cette passion lui a fait faire de contraire à ses théories, à ses idées et à ses instincts, je me demande avec

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