Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4 - Bastiat Frédéric

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à la population, à l'association, à l'émigration, aux impôts, aux emprunts, ont encombré le champ de la science d'une foule d'arguments parasites, de sophismes qui sollicitent la houe et la binette de l'économiste diligent.

      Ce n'est pas que je ne reconnaisse le vice de ce plan ou plutôt de cette absence de plan. Attaquer un à un tant de sophismes incohérents, qui quelquefois se choquent et plus souvent rentrent les uns dans les autres, c'est se condamner à une lutte désordonnée, capricieuse, et s'exposer à de perpétuelles redites.

      Combien je préférerais dire simplement comment les choses sont, sans m'occuper de mille aspects sous lesquels l'ignorance les voit!.. Exposer les lois selon lesquelles les sociétés prospèrent ou dépérissent, c'est ruiner virtuellement tous les sophismes à la fois. Quand Laplace eut décrit ce qu'on peut savoir jusqu'ici du mouvement des corps célestes, il dissipa, sans même les nommer, toutes les rêveries astrologiques des Égyptiens, des Grecs et des Hindous, bien plus sûrement qu'il n'eût pu le faire en les réfutant directement dans d'innombrables volumes. – La vérité est une; le livre qui l'expose est un édifice imposant et durable:

      Il brave les tyrans avides,

      Plus hardi que les Pyramides

      Et plus durable que l'airain.

      L'erreur est multiple et de nature éphémère; l'ouvrage qui la combat ne porte pas en lui-même un principe de grandeur et de durée.

      Mais si la force et peut-être l'occasion31 m'ont manqué pour procéder à la manière des Laplace et des Say, je ne puis me refuser à croire que la forme que j'ai adoptée a aussi sa modeste utilité. Elle me semble surtout bien proportionnée aux besoins du siècle, aux rapides instants qu'il peut consacrer à l'étude.

      Un traité a sans doute une supériorité incontestable, mais à une condition, c'est d'être lu, médité, approfondi. Il ne s'adresse qu'à un public d'élite. Sa mission est de fixer d'abord et d'agrandir ensuite le cercle des connaissances acquises.

      La réfutation des préjugés vulgaires ne saurait avoir cette haute portée. Elle n'aspire qu'à désencombrer la route devant la marche de la vérité, à préparer les esprits, à redresser le sens public, à briser dans des mains impures des armes dangereuses.

      C'est surtout en économie sociale que cette lutte corps à corps, que ces combats sans cesse renaissants avec les erreurs populaires ont une véritable utilité pratique.

      On pourrait ranger les sciences en deux catégories.

      Les unes, à la rigueur, peuvent n'être sues que des savants. Ce sont celles dont l'application occupe des professions spéciales. Le vulgaire en recueille le fruit malgré l'ignorance; quoiqu'il ne sache pas la mécanique et l'astronomie, il n'en jouit pas moins de l'utilité d'une montre, il n'est pas moins entraîné par la locomotive ou le bateau à vapeur sur la foi de l'ingénieur et du pilote. Nous marchons selon les lois de l'équilibre sans les connaître, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.

      Mais il est des sciences qui n'exercent sur le public qu'une influence proportionnée aux lumières du public lui-même, qui tirent toute leur efficacité non des connaissances accumulées dans quelques têtes exceptionnelles, mais de celles qui sont diffusées dans la raison générale. Telles sont la morale, l'hygiène, l'économie sociale, et, dans les pays où les hommes s'appartiennent à eux-mêmes, la politique. C'est de ces sciences que Bentham aurait pu dire surtout: «Ce qui les répand vaut mieux que ce qui les avance.» Qu'importe qu'un grand homme, un Dieu même, ait promulgué les lois de la morale, aussi longtemps que les hommes, imbus de fausses notions, prennent les vertus pour des vices et les vices pour des vertus? Qu'importe que Smith, Say, et, selon M. de Saint-Chamans, les économistes de toutes les écoles aient proclamé, en fait de transactions commerciales, la supériorité de la liberté sur la contrainte, si ceux-là sont convaincus du contraire qui font les lois et pour qui les lois sont faites?

      Ces sciences, que l'on a fort bien nommées sociales, ont encore ceci de particulier que, par cela même qu'elles sont d'une application usuelle, nul ne convient qu'il les ignore. – A-t-on besoin de résoudre une question de chimie ou de géométrie? On ne prétend pas avoir la science infuse; on n'a pas honte de consulter M. Thénard; on ne se fait pas difficulté d'ouvrir Legendre ou Bezout. – Mais, dans les sciences sociales, on ne reconnaît guère d'autorités. Comme chacun fait journellement de la morale bonne ou mauvaise, de l'hygiène, de l'économie, de la politique raisonnable ou absurde, chacun se croit apte à gloser, disserter, décider et trancher en ces matières. – Souffrez-vous? Il n'est pas de bonne vieille qui ne vous dise du premier coup la cause et le remède de vos maux: «Ce sont les humeurs, affirme-t-elle, il faut vous purger.» – Mais qu'est-ce que les humeurs? et y a-t-il des humeurs? C'est ce dont elle ne se met pas en peine. – Je songe involontairement à cette bonne vieille quand j'entends expliquer tous les malaises sociaux par ces phrases banales: C'est la surabondance des produits, c'est la tyrannie du capital, c'est la pléthore industrielle, et autres sornettes dont on ne peut pas même dire: Verba et voces, prætereaque nihil, car ce sont autant de funestes erreurs.

      De ce qui précède il résulte deux choses: 1o Que les sciences sociales doivent abonder en sophismes beaucoup plus que les autres, parce que ce sont celles où chacun ne consulte que son jugement ou ses instincts; 2o que c'est dans ces sciences que le sophisme est spécialement malfaisant, parce qu'il égare l'opinion en une matière où l'opinion c'est la force, c'est la loi.

      Il faut donc deux sortes de livres à ces sciences: ceux qui les exposent et ceux qui les propagent, ceux qui montrent la vérité et ceux qui combattent l'erreur.

      Il me semble que le défaut inhérent à la forme de cet opuscule, la répétition, est ce qui en fait la principale utilité.

      Dans la question que j'ai traitée, chaque sophisme a sans doute sa formule propre et sa portée, mais tous ont une racine commune, qui est l'oubli des intérêts des hommes en tant que consommateurs. Montrer que les mille chemins de l'erreur conduisent à ce sophisme générateur, c'est apprendre au public à le reconnaître, à l'apprécier, à s'en défier en toutes circonstances.

      Après tout, je n'aspire pas précisément à faire naître des convictions, mais des doutes.

      Je n'ai pas la prétention qu'en posant le livre le lecteur s'écrie: Je sais; plaise au ciel qu'il se dise sincèrement: J'ignore!

      «J'ignore, car je commence à craindre qu'il n'y ait quelque chose d'illusoire dans les douceurs de la disette.» (Sophisme I.)

      «Je ne suis plus si édifié sur les charmes de l'obstacle.» (Sophisme II).

      «L'effort sans résultat ne me semble plus aussi désirable que le résultat sans effort.» (Sophisme III.)

      «Il se pourrait bien que le secret du commerce ne consiste pas, comme celui des armes (selon la définition qu'en donne le spadassin du Bourgeois gentilhomme), à donner et à ne pas recevoir.» (Sophisme VI.)

      «Je conçois qu'un objet vaut d'autant plus qu'il a reçu plus de façons; mais, dans l'échange, deux valeurs égales cessent-elles d'être égales parce que l'une vient de la charrue et l'autre de la Jacquart?» (Sophisme XXI.)

      «J'avoue que je commence à trouver singulier que l'humanité s'améliore par des entraves, s'enrichisse par des taxes; et franchement je serais soulagé d'un poids importun, j'éprouverais une joie pure, s'il venait à m'être démontré, comme l'assure l'auteur des Sophismes, qu'il n'y a pas incompatibilité entre le bien-être et la justice, entre la

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<p>31</p>

Nous avons fait remarquer, à la fin du chap. IV, qu'il contient le germe très-apparent des doctrines développées dans les Harmonies économiques. Ici maintenant se manifeste, de la part de l'auteur, le désir et l'intention d'écrire ce dernier ouvrage, à la première occasion favorable.

(Note de l'éditeur.)