Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 4 - Bastiat Frédéric

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voir aujourd'hui, en Prusse, en Autriche, en Saxe, en Suisse, en Italie, d'immenses manufactures fondées avec des capitaux anglais, servies par des ouvriers anglais et dirigées par des ingénieurs anglais.»

      Vous voyez bien que la nature, ou plutôt la Providence, plus ingénieuse, plus sage, plus prévoyante que ne le suppose votre étroite et rigide théorie, n'a pas voulu cette concentration de travail, ce monopole de toutes les supériorités dont vous arguez comme d'un fait absolu et irrémédiable. Elle a pourvu, par des moyens aussi simples qu'infaillibles, à ce qu'il y eût dispersion, diffusion, solidarité, progrès simultané; toutes choses que vos lois restrictives paralysent autant qu'il est en elles, car leur tendance, en isolant les peuples, est de rendre la diversité de leur condition beaucoup plus tranchée, de prévenir le nivellement, d'empêcher la fusion, de neutraliser les contre-poids et de parquer les peuples dans leur supériorité ou leur infériorité respective.

      III. En troisième lieu, dire que, par un droit protecteur, on égalise les conditions de production, c'est donner une locution fausse pour véhicule à une erreur. Il n'est pas vrai qu'un droit d'entrée égalise les conditions de production. Celles-ci restent après le droit ce qu'elles étaient avant. Ce que le droit égalise tout au plus, ce sont les conditions de la vente. On dira peut-être que je joue sur les mots, mais je renvoie l'accusation à mes adversaires. C'est à eux de prouver que production et vente sont synonymes, sans quoi je suis fondé à leur reprocher, sinon de jouer sur les termes, du moins de les confondre.

      Qu'il me soit permis d'éclairer ma pensée par un exemple.

      Je suppose qu'il vienne à l'idée de quelques spéculateurs parisiens de se livrer à la production des oranges. Ils savent que les oranges de Portugal peuvent se vendre à Paris 10 centimes, tandis qu'eux, à raison des caisses, des serres qui leur seront nécessaires, à cause du froid qui contrariera souvent leur culture, ne pourront pas exiger moins d'un franc comme prix rémunérateur. Ils demandent que les oranges de Portugal soient frappées d'un droit de 90 centimes. Moyennant ce droit, les conditions de production, disent-ils, seront égalisées, et la Chambre, cédant, comme toujours, à ce raisonnement, inscrit sur le tarif un droit de 90 centimes par orange étrangère.

      Eh bien! je dis que les conditions de production ne sont nullement changées. La loi n'a rien ôté à la chaleur du soleil de Lisbonne, ni à la fréquence ou à l'intensité des gelées de Paris. La maturité des oranges continuera à se faire naturellement sur les rives du Tage et artificiellement sur les rives de la Seine, c'est-à-dire qu'elle exigera beaucoup plus de travail humain dans un pays que dans l'autre. Ce qui sera égalisé, ce sont les conditions de la vente: les Portugais devront nous vendre leurs oranges à 1 franc, dont 90 centimes pour acquitter la taxe. Elle sera payée évidemment par le consommateur français. Et voyez la bizarrerie du résultat. Sur chaque orange portugaise consommée, le pays ne perdra rien; car les 90 centimes payés en plus par le consommateur entreront au Trésor. Il y aura déplacement, il n'y aura pas perte. Mais, sur chaque orange française consommée, il y aura 90 centimes de perte ou à peu près, car l'acheteur les perdra bien certainement, et le vendeur, bien certainement aussi, ne les gagnera pas, puisque, d'après l'hypothèse même, il n'en aura tiré que le prix de revient. Je laisse aux protectionistes le soin d'enregistrer la conclusion.

      IV. Si j'ai insisté sur cette distinction entre les conditions de production et les conditions de vente, distinction que messieurs les prohibitionistes trouveront sans doute paradoxale, c'est qu'elle doit m'amener à les affliger encore d'un autre paradoxe bien plus étrange, et c'est celui-ci: Voulez-vous égaliser réellement les conditions de production? laissez l'échange libre.

      Oh! pour le coup, dira-t-on, c'est trop fort, et c'est abuser des jeux d'esprit. Eh bien! ne fût-ce que par curiosité, je prie messieurs les protectionistes de suivre jusqu'au bout mon argumentation. Ce ne sera pas long. – Je reprends mon exemple.

      Si l'on consent à supposer, pour un moment, que le profit moyen et quotidien de chaque Français est de un franc, il s'ensuivra incontestablement que pour produire directement une orange en France, il faudra une journée de travail ou l'équivalent, tandis que, pour produire la contre-valeur d'une orange portugaise, il ne faudra qu'un dixième de cette journée, ce qui ne veut dire autre chose, si ce n'est que le soleil fait à Lisbonne ce que le travail fait à Paris. Or, n'est-il pas évident que, si je puis produire une orange, ou, ce qui revient au même, de quoi l'acheter, avec un dixième de journée de travail, je suis placé, relativement à cette production, exactement dans les mêmes conditions que le producteur portugais lui-même, sauf le transport, qui doit être à ma charge? Il est donc certain que la liberté égalise les conditions de production directe ou indirecte, autant qu'elles peuvent être égalisées, puisqu'elle ne laisse plus subsister qu'une différence inévitable, celle du transport.

      J'ajoute que la liberté égalise aussi les conditions de jouissance, de satisfaction, de consommation, ce dont on ne s'occupe jamais, et ce qui est pourtant l'essentiel, puisqu'en définitive la consommation est le but final de tous nos efforts industriels. Grâce à l'échange libre, nous jouirions du soleil portugais comme le Portugal lui-même; les habitants du Havre auraient à leur portée, tout aussi bien que ceux de Londres, et aux mêmes conditions, les avantages que la nature a conférés à Newcastle sous le rapport minéralogique.

      V. Messieurs les protectionistes, vous me trouvez en humeur paradoxale: eh bien! je veux aller plus loin encore. Je dis, et je le pense très-sincèrement, que, si deux pays se trouvent placés dans des conditions de production inégales, c'est celui des deux qui est le moins favorisé de la nature qui a le plus à gagner à la liberté des échanges. – Pour le prouver, je devrai m'écarter un peu de la forme qui convient à cet écrit. Je le ferai néanmoins, d'abord parce que toute la question est là, ensuite parce que cela me fournira l'occasion d'exposer une loi économique de la plus haute importance, et qui, bien comprise, me semble destinée à ramener à la science toutes ces sectes qui, de nos jours, cherchent dans le pays des chimères cette harmonie sociale qu'elles n'ont pu découvrir dans la nature. Je veux parler de la loi de la consommation, que l'on pourrait peut-être reprocher à la plupart des économistes d'avoir beaucoup trop négligée.

      La consommation est la fin, la cause finale de tous les phénomènes économiques, et c'est en elle par conséquent que se trouve leur dernière et définitive solution.

      Rien de favorable ou de défavorable ne peut s'arrêter d'une manière permanente au producteur. Les avantages que la nature et la société lui prodiguent, les inconvénients dont elles le frappent, glissent sur lui, pour ainsi dire, et tendent insensiblement à aller s'absorber et se fondre dans la communauté, la communauté, considérée au point de vue de la consommation. C'est là une loi admirable dans sa cause et dans ses effets, et celui qui parviendrait à la bien décrire aurait, je crois, le droit de dire: «Je n'ai pas passé sur cette terre sans payer mon tribut à la société.»

      Toute circonstance qui favorise l'œuvre de la production est accueillie avec joie par le producteur, car l'effet immédiat est de le mettre à même de rendre plus de services à la communauté et d'en exiger une plus grande rémunération. Toute circonstance qui contrarie la production est accueillie avec peine par le producteur, car l'effet immédiat est de limiter ses services et par suite sa rémunération. Il fallait que les biens et les maux immédiats des circonstances heureuses ou funestes fussent le lot du producteur, afin qu'il fût invinciblement porté à rechercher les unes et à fuir les autres.

      De même, quand un travailleur parvient à perfectionner son industrie, le bénéfice immédiat du perfectionnement est recueilli par lui. Cela était nécessaire pour le déterminer à un travail intelligent; cela était juste, parce qu'il est juste qu'un effort couronné de succès apporte avec lui sa récompense.

      Mais je dis que ces effets bons et mauvais, quoique permanents en eux-mêmes, ne le sont pas quant au producteur. S'il en eût

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